28.09.11 - FRANCE/RWANDA - L'ANCIEN MINISTRE NSENGIYUMVA REMIS EN LIBERTÉ

Paris, 28 septembre 2011 - Interpellé le 9 août dernier à son domicile de Créteil (sud-est de Paris), l'ancien ministre des Transports du gouvernement intérimaire rwandais a été remis en liberté sous contrôle judiciaire après 51 jours de détention ce mercredi, à l'issue d'une audience préliminaire devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

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Trois heures plus tôt, cette même cour avait rejeté la demande d'extradition émise par le Rwanda contre Agathe Habyarimana.   

Homme d'imposante stature portant chemise blanche à rayures et lunettes, Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva a répondu d'un sourire aimable aux questions de la présidente, Edith Boizette.

Une question d'identité tout d'abord, en contradiction avec celle indiquée sur le mandat d'arrêt transmis par Kigali. « Non je ne suis pas né au Rwanda », mais au Congo, le 7 juillet 1960, confirme l'ancien haut responsable à la présidente, qui choisit par commodité de l'appeler « Rafiki ». Mais « oui cette demande me concerne bien », admet-il.

La présidente lui rappelle les actes successifs qui ont conduit à sa détention à la maison d'arrêt de la Santé, en région parisienne : « M. Rafiki a été interpellé au vu d'une notice rouge diffusée par Interpol, valant demande d'arrestation provisoire, au vu d'un mandat international émis par le procureur général du Rwanda le 24 juin 2008 ».

L'ancien ministre est accusé, selon ce mandat, de crimes de génocide et de meurtres commis « entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, à Kigali, Gitarama et ailleurs au Rwanda ». « Ce mandat, dont on peut supposer qu'il est arrivé via Interpol, la cour n'en dispose que d'une copie en anglais, non traduite », précise Mme Boizette.

Un second mandat a été émis par Kigali après l'arrestation du Rwandais, le 17 août, et transmis au ministère de la Justice français le 5 septembre. « Je n'ai pas trouvé tant de demande d'arrestation provisoire que de demande d'extradition formulée par le Rwanda. C'est implicitement que l'on peut supposer qu'il s'agit d'une demande d'extradition », détaille prudemment la présidente.

« Qu'a fait le gouvernement rwandais ? », enchaîne l'avocat de l'ancien ministre. « Surpris de cette arrestation, il a émis un acte d'accusation de trois ans postérieur au mandat d'arrêt. Ce n'est pas sérieux, et cette arrestation cautionne la désinvolture avec laquelle travaille le procureur rwandais.»

« M. Nsengiyumva n'est pas un homme qui se cache dans la forêt pour échapper à la justice », poursuit Vincent Courcelle-Labrousse, qui brandit un courrier écrit en 1995 par l'ancien ministre des Transports pour dit-il « se mettre à la disposition de Richard Goldstone », le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

« Le TPIR, qui a mis en accusation la plupart des anciens ministres du gouvernement intérimaire, ne l'a jamais poursuivi. Il n'y a que le Rwanda qui s'est aperçu, 14 ans après les faits, qu'il était un dangereux génocidaire », ajoute l'avocat français, qui défend par ailleurs un autre ministre - de la Jeunesse - devant le tribunal d'Arusha. « Il y a de plus, selon lui, une erreur manifeste, car pendant la période où on l'accuse d'avoir commis des faits atroces, je peux apporter la preuve qu'il n'était pas au Rwanda ».

Venue assister à l'audience, sa femme a expliqué à l'agence Hirondelle que « le 8 avril [1994] dans l'après-midi mon mari m'avait amené à l'hôpital pour accoucher ». Ce n'est que « plus tard dans la soirée » que Théoneste Bagosora, directeur de cabinet au ministère de la Défense, est venu le chercher, décrit-elle, pour former le gouvernement qui restera en place durant le génocide.

Hyacinthe Rafiki Nsengiyumva, alors directeur de cabinet du ministère des Transports, était membre du bureau politique du PSD, parti d'opposition à celui du président Habyarimana, tué deux jours plus tôt dans l'attentat qui a déclenché les massacres.

« Le 12 avril, nous avons quitté Kigali pour Gitarama avec tout le gouvernement, raconte Mme Nsengiyumva. Quatre ou cinq jours plus tard, nous sommes partis à Gisenyi, puis au Kenya le 21 avril, via Goma, pour nous mettre à l'abri moi et les enfants. » « Ce n'est que le 16 mai, poursuit Me Courcelle-Labrousse, comme l'atteste son visa de sortie du Kenya, qu'il est rentré au Rwanda. » Soit plusieurs semaines après le massacre de Nyundo, auquel Hyacinthe Rafiki Nsengyiumva est accusé par le Rwanda d'avoir participé.

Après le génocide, tandis que sa femme et ses enfants s'installent en France et y obtiennent la nationalité, Rafiki Nsengyiumva réside au Kenya, puis au Congo. Il ne les rejoindra que le 24 décembre 2008, indique encore le mémoire déposé à la cour d'appel de Paris pour sa défense, avec un visa Schengen obtenu de l'ambassade de France à Kinshasa six mois après l'émission du premier mandat d'arrêt. La France ne fera pas plus de difficulté pour lui accorder rapidement un titre de séjour. Jusqu'à son arrestation le 9 août dernier.

« Avez-vous quelque chose à ajouter M. Rafiki ? », l'interroge la présidente à la fin de l'audience. « J'ai à ajouter qu'aujourd'hui je suis content car ces mandats délivrés par le Rwanda me posent problème depuis longtemps. Cette fois-ci je me trouve devant une vraie justice, et je suis heureux que cette histoire d'extradition se vide devant vous ».

« Cela fait beaucoup de compliments, ironise Mme Boizette, que nous n'avons pas l'habitude de recevoir de nos justiciables et de nos politiques. » La présidente fixe l'audience d'extradition sur le fond au 9 novembre.

FP/GF

© Agence Hirondelle