28.10.11 - SUÈDE/RWANDA - LA COUR EUROPÉENNE FAVORABLE À L'EXTRADITION DE SYLVÈRE AHORUGEZE

Paris, 28 octobre 2011 (FH) - «S'il était extradé vers le Rwanda pour y être jugé, [Sylvère Ahorugeze] n'encourrait pas de flagrant déni de justice», a estimé jeudi la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg (CEDH) dans un arrêt qui pourrait renverser la jurisprudence en matière d'extradition vers le Rwanda.

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Dans cette procédure très sensible pour Kigali, l'ancien directeur de l'aviation civile rwandaise Sylvère Ahorugeze contestait devant la CEDH la décision du gouvernement suédois de l'extrader vers le Rwanda, pour qu'il y soit jugé pour génocide et crimes contre l'humanité. Il craignait, notamment, de ne pas bénéficier d'un procès équitable au Rwanda.

L'affaire débute en 2006, lorsque M. Ahorugeze est arrêté au Danemark, où il réside depuis 2001 et a obtenu le statut de réfugié. Il est relâché après deux ans d'enquête, faute de preuves, et Copenhague ne répond pas à une demande d'extradition rwandaise insuffisamment étayée.

L'ambassade du Rwanda signale alors le passage du Rwandais à Stockholm. Les autorités suédoises l'appréhendent et font droit à la demande du Rwanda, en juillet 2009. Ahorugeze fait appel devant la CEDH. Maintenu en détention préventive encore deux ans, il a été libéré le 27 juillet dernier, et autorisé à rejoindre sa famille au Danemark.

«Nous ne nous attendions pas à une telle décision. M. Ahorugeze est sous le choc», réagit son avocat suédois Hans Bredberg. Selon lui, une extradition vers le Rwanda rendrait impossibles les témoignages en faveur de son client, en particulier lorsqu'ils résident au Rwanda. «Même ses proches ne voudront pas témoigner», affirme-t-il.

L'avocat a l'intention de contester l'arrêt de la CEDH, dans le délai imparti de trois mois. Son appel, indique-t-il, tiendra compte de la décision que devrait prendre d'ici là la cour d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), dans le dossier Uwinkindi.

La décision prise par le TPIR, en première instance, de transférer le pasteur Uwinkindi vers le Rwanda, a influencé celle de la CEDH, qui y fait longuement référence. La Cour de Strasbourg a aussi tenu compte d'observations soumises par le gouvernement néerlandais, qui a investi ces dernières années plusieurs millions d'euros dans l'amélioration du système judiciaire et la construction de la prison de Mpanga, à Kigali, où le ministère de la Justice rwandais a assuré que Sylvère Ahorugeze serait détenu en cas d'extradition.

Cette nouvelle prison, l'abrogation de la peine de mort et de la détention en isolement à perpétuité constituent les principales réformes judicaires récentes citées par la CEDH.

«La question centrale réside dans la possibilité pour l'accusé de citer des témoins en sa faveur», souligne cependant l'arrêt du 27 octobre. Et pour la Cour de Strasbourg, des solutions existent : «En dehors des possibilités de faire une déposition devant un juge au Rwanda ou à l'étranger, l'évolution la plus importante à ce jour est peut-être que la loi permet maintenant d'entendre des témoins par connexion vidéo durant les procès».

L'organisation Amnesty International s'était opposée à l'extradition d'Ahorugeze. Pour Erwin van der Borght, directeur du programme Afrique, «cette décision est très importante mais ce n'est pas une surprise, car elle arrive après celle du TPIR. Et il est vrai qu'il y a eu des développements depuis que nous avions écrit en 2008 et 2009 aux autorités suédoises». Contacté vendredi par l'agence Hirondelle, il souhaitait «y réfléchir encore avant de prendre une position».

S'il est confirmé en appel, l'arrêt de la CEDH pourrait par ailleurs compliquer les relations entre les deux voisins scandinaves. Pour Björn Elmquist, l'avocat danois de Sylvère Ahorugeze, «on n'a jamais vu une telle différence de positions entre la Suède et le Danemark. Le Danemark a décidé de ne pas poursuivre M. Ahorugeze. A-t-il des informations qui lui permettent de revenir sur cette décision et de le transférer vers la Suède pour qu'il soit extradé au Rwanda ? Je ne le pense pas.»

FP/GF  

© Agence Hirondelle