Les avocats d'Hissène Habré contre-attaquent

Les avocats d'Hissène Habré contre-attaquent©gouvernement de l'Afrique du Sud
Le président Idriss Deby
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Suivant la ligne de conduite de leur client, les avocats de l'ancien président tchadien jugé à Dakar, pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture, passent à la contre-attaque en dehors du tribunal qu'ils boycottent. Première cible : Idriss Deby, tombeur et successeur d'Hissène Habré. N'est pas non plus épargné le président sénégalais Macky Sall que Mes Ibrahima Diawara et François Serres accusent de protéger l'homme fort de N'Djamena qui, selon eux, mérite sa place, non pas aux commandes de son pays, mais dans une cellule  de la prison dakaroise du Cap Manuel où est logé son prédécesseur.

Hissène Habré, qui a régné sur le Tchad de 1982 à 1990, est poursuivi, devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) créées au sein de la justice sénégalaise. Il doit répondre de crimes perpétrés par sa célèbre Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) et auxquels il est lié, selon l'accusation, par des chaînes de commandement aussi bien civil que militaire.

Le mercredi 22 juillet, deux jours après l'ouverture du procès d'Hissène Habré, deux ministres du gouvernement Deby avaient invité la presse à Dakar pour saluer l'ouverture de ce «  procès historique » mais aussi redire que leur président était plutôt une « victime » et non un complice d'Hissène Habré et de sa DDS.

Idriss Deby « n'a jamais été associé, ni de près, ni de loin, à la Direction de la documentation et de la sécurité, la machine de répression aujourd'hui en cause », avait affirmé le ministre tchadien de la Communication Hassan Sylla Bakari, concédant seulement que l'homme qui préside actuellement aux destinées du Tchad était chef d'état-major de l'armée à l'époque des faits.

 

« Deby coiffait tous les services de sécurité »

 « C'est difficile de falsifier l'histoire ou de la réécrire », rétorquent, dans un communiqué, les deux avocats attitrés de l'ancien président. « S'il est vrai qu'Idriss Deby a été chef d'Etat - major de l'armée, comme l'ont reconnu les deux ministres, Deby a été, par la suite, nommé comme conseiller chargé à la présidence de toutes les questions de défense et de sécurité. Cela signifie qu'il coiffait tous les services de sécurité et de défense, y compris la DDS », soutiennent Mes Ibrahima Diawara et François Serres qui, à l'instar de leur client, boycottent les Chambres africaines dont ils contestent la légalité et l'indépendance.

Les deux avocats affirment que les CAE  ont convoqué Idriss Deby « à deux reprises, pour répondre sur des faits relevant de leur compétence et pour lesquels son implication directe et personnelle était retenue ».

Selon eux, le président Deby a refusé de répondre à la convocation car il craignait de se retrouver finalement inculpé. Mais, toujours selon la défense, une occasion s'est présentée, que les CAE n'ont pas eu le courage de saisir. « Les juges  avaient même la possibilité de l'interroger alors qu'à Dakar, voici quelques mois, il participait à une conférence internationale sur la sécurité », indiquent les deux avocats.

 « Les juges ont préféré y renoncer, violant par là - même les obligations et leurs missions et prouvant, s'il en était encore besoin, leur manque d'indépendance, leur soumission aux deux exécutifs politiques (du Tchad et du Sénégal :ndlr) et traçant le chemin de ce qui allait permettre à Idriss Deby de refuser de coopérer avec les CAE, en ne remettant pas d'autres personnes visées par les CAE et réduisant ainsi à néant l'image de cette juridiction internationale à compétence exclusive au rang de machine à exécuter le président Habré ».

 

Le refus de transférer Saleh Younouss et Mahamat Djibrine

Alors que le gouvernement tchadien avait auparavant coopéré avec les Chambres, les relations avaient connu une tension en août 2014 après que N'Djamena eut été débouté de sa demande de se constituer partie civile dans l'affaire. Par rétorsion, le Tchad avait refusé, fin octobre 2014, de recevoir une cinquième commission rogatoire et opposé une fin de non - recevoir à la demande de transfèrement à Dakar de deux complices présumés de l'accusé principal, Saleh Younouss et Mahamat Djibrine, qui ont été jugés avec une vingtaine d'autres par un tribunal tchadien et  condamnés en mars dernier à la perpétuité.

Pour les avocats d'Hissène Habré, « ce recadrage par les juges (des CAE) fut source de conflit avec les CAE et constitua l'un des éléments à l'origine de son refus de coopérer, comme sa crainte de voir révéler aux yeux du monde la véritable histoire du Tchad ».

« Le régime n'a cessé de terroriser les Tchadiens tout au long de l'instruction, et (avec) la complicité des CAE qui n'ont cité aucun témoin à décharge », accuse la défense.

Tout en rappelant que « le procès pénal suppose la recherche avant tout de la vérité des faits », les défenseurs de l'ancien président sont d'avis que Deby, « chef d'état-major des forces armées, présent physiquement sur le terrain des opérations, ne peut en aucun cas échapper à la justice, comme c'est le cas d'ailleurs de l'ensemble des responsables politiques et militaires de cette période, de celle qui l'a précédée et de celle qui a suivi la chute du président Habré ».

Et les deux avocats de conclure : « les juges des CAE coiffés par le président (sénégalais) Macky Sall ne rendent pas la justice. Ils exécutent un contrat conclu avec les ennemis de l'Afrique, celui d'une justice sélective et politique, et sont motivés en cela par les milliards (de francs CFA) du peuple tchadien détournés pour financer une condamnation achetée d'avance ». Une allusion aux 2 milliards de francs CFA accordés par le gouvernement tchadien pour le fonctionnement des Chambres africaines extraordinaires.

Le mardi 21 juillet, le procès d'Hissène Habré a été reporté au 7 septembre pour donner aux trois avocats commis d'office le délai nécessaire pour la compréhension du dossier.