La Bosnie se prépare à commémorer le génocide de Srebrenica perpétré il y a 30 ans, dans une société toujours divisée autour de ce massacre dans lequel environ 8.000 hommes et adolescents musulmans ont été abattus par les forces serbes bosniennes.
Le 11 juillet 1995, la ville de Srebrenica située dans l'est de la Bosnie frontalier de la Serbie, déclarée "zone protégée de l'ONU" dans laquelle vivent alors plus de 40.0000 personnes, dont beaucoup de déplacés, est prise d'assaut par les forces Serbes de Bosnie, dirigées par le général Ratko Mladic, surnommé "le boucher des Balkans".
La conquête éclair de la ville confrontée à un manque d'armes, de combattants et de vivres, est suivie par des exécutions de masse d'hommes et d'adolescents jetés dans des dizaines de fosses communes.
Trente ans plus tard, environ 7.000 victimes de ce massacre ont été identifiées et enterrées, et quelque mille autres sont toujours recherchées par leurs familles.
Mais les découvertes de charniers sont désormais rares. La dernière remonte à 2021, lorsque les restes de dix victimes ont été exhumées.
Cette année, les restes de sept victimes identifiées seront enterrés lors des commémorations du 11 juillet dans le Centre mémorial de Srebrenica-Potocari, dont ceux de deux jeunes qui avaient 19 ans à l'époque, et aussi d'une femme qui était âgée de 67 ans.
- "un seul os" -
"Cette année, je fais enterrer mon père. Mais il n'y a qu'un seul os, sa mâchoire inférieure retrouvée il y a trois ans. Ma mère est très malade et elle souhaite que ce soit fait", sans attendre que d'autres restes soient éventuellement retrouvés, dit à l'AFP, Mirzeta Karic, 50 ans.
Son père, Sejdalija Alic, avait 46 ans en juillet 1995.
Malade, il avait rejoint plusieurs milliers d'hommes et d'adolescents qui avaient essayé de fuir en s'aventurant dans les forêts voisines.
Il n'a pas réussi à sauver sa vie. Son fils Sejdin, qui avait 22 ans, a été tué aussi, tout comme ses trois frères et leurs quatre fils.
Dans la lignée de trois générations d'hommes de cette famille, "seul un fils de l'un de mes trois oncles a survécu", raconte Mme Karic, précisant que son père sera "le 50e homme de la famille proche" à être enterré dans le cimetière de Potocari. Son frère Sejdin y a été inhumé en 2003.
"J'ai tout pu supporter, mais je pense que cet enterrement sera le pire. On fait inhumer un os. Je ne peux pas décrire cette douleur", explique la fille de Sejdalija Alic.
- "Négation banalisée" -
Les chefs politique et militaire des Serbes de Bosnie pendant le conflit de 1992 à 1995, qui a fait au total près de 100.000 morts, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, ont été condamnés à perpétuité pour génocide et crime de guerre par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à la Haye.
Mais la gravité de ces crimes continue d'être relativisée, notamment par des dirigeants politiques de l'entité serbe de Bosnie (la Republika Srpska) et de la Serbie, qui rejettent la qualification de génocide.
"Cette négation est banalisée", explique à l'AFP Neira Sabanovic, chercheuse à l'Université libre de Bruxelles dont les travaux portent sur la mémoire et l'instrumentalisation des identités ethniques dans les Balkans.
"Il est très rare de trouver quelqu'un en Republika Srpska qui reconnaît qu'il y a eu génocide", dit-elle.
Le chef politique des serbes de Bosnie, Milorad Dodik, nie régulièrement le génocide et remet en question le nombre de victimes.
Sur 305 cas de déni ou de relativisation dans les médias en Republika Srpska et en Serbie durant 2024, M. Dodik est en tête et apparaît 42 fois, selon une étude annuelle publiée par le Centre mémorial de Srebrenica.
L'Assemblée générale de l'ONU a créé en 2024 une Journée internationale de commémoration du génocide de Srebrenica, le 11 juillet, malgré la colère de Belgrade.
- "monologue" -
Samedi, les dirigeants politiques de l'entité serbe de Bosnie et de la Serbie, ainsi que les dignitaires de l'Eglise orthodoxe serbe se réuniront à Bratunac, près de Srebrenica, pour une commémoration en hommage à plus de 3.200 militaires et civils serbes de Bosnie orientale tués pendant la guerre.
Les portraits de quelque 600 de ces victimes ont été accrochés cette semaine le long de la route à proximité du Centre mémorial de Srebrenica.
"Ces gens-là ne participent pas au même débat. Ils sont dans un monologue et ils sont toujours en 1995", a commenté jeudi le directeur du Centre mémorial de Srebrenica, Emir Suljagic, à une télévision locale.
"Nous avons gagné un combat très important, c'est le combat pour la reconnaissance" internationale, a-t-il ajouté, en référence à la résolution de l'ONU.