7.12.13 - SENEGAL/HABRE - DES AVANCEES EN 2013 VERS LE PROCES DE HISSENE HABRE

Arusha, 07 décembre 2013 (FH) – Inauguration d’un tribunal spécial, inculpation du suspect, ouverture des auditions de témoins et victimes : des pas importants ont été franchis en 2013 vers la tenue du procès tant attendu de l’ancien président tchadien, Hissène Habré, en exil au Sénégal depuis plus de 20 ans.

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Arrivé à Dakar en décembre 1990 après avoir été chassé du pouvoir par le colonel Idriss Deby, le chef d’Etat déchu sera inculpé une première fois au Sénégal en 2000. Mais les tribunaux sénégalais se déclareront incompétents, obligeant les victimes à se tourner vers la Belgique. La justice belge est compétente parce que certaines victimes ont acquis la nationalité belge. En septembre 2005, après quatre années d’enquête, un juge belge inculpe Habré et Bruxelles demande son extradition. Après le refus du Sénégal d’extrader Habré vers la Belgique et trois années de négociations pointilleuses au sujet d’une demande de l’Union africaine (UA), la Belgique porte plainte contre le Sénégal devant la Cour internationale de Justice (CIJ). Cette dernière ordonnera au Sénégal, le 20 juillet 2012, de poursuivre Habré « sans aucun autre délai » à défaut de l’extrader.

Le dossier va avancer après l’élection du nouveau président du Sénégal Macky Sall. En février dernier, Dakar inaugure « les chambres africaines extraordinaires », en exécution d’un accord avec l’Union africaine. Ces chambres composées de magistrats du Sénégal et d’autres pays africains sont chargées de juger les auteurs présumés des  crimes les plus graves commis sur le territoire tchadien entre 1982 et 1990, autrement dit sous le régime Habré. Police politique Le 30 juin dernier, le fils du désert du Djourab est arrêté à son domicile dakarois. Deux jours plus tard, il est inculpé  pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. « C’est une première victoire pour les victimes », se réjouit Jacqueline Moudeina, avocate des victimes et présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDH). Même sentiment de la part de Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch (HRW). « Cette étape marque le début de la fin de cet interminable feuilleton politico-judiciaire auquel étaient soumises les victimes », déclare ce juriste américain qui travaille sur le dossier depuis 1999.

Hissène Habré, qui est présenté sur son site internet officiel comme « libérateur, sauveur et bâtisseur de la République du Tchad » est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture alors qu’il était au pouvoir. HRW a réussi à mettre la main sur des documents secrets de son ancienne police politique dénommée Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Selon Human Rights Watch, ces pièces révèlent les noms de 1. 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12. 321 victimes de violations des droits de l’homme sous le régime Habré. HRW vient de publier cette semaine les résultats de ses enquêtes dans un ouvrage de  714 pages, intitulé, La Plaine des Morts.  « Habré n’était pas un dirigeant distant qui ignorait tout des atrocités massives perpétrées en son nom », affirme Olivier Bercault, le principal auteur de cet ouvrage. « Nous avons constaté que Habré dirigeait et contrôlait les forces de police qui torturaient ceux qui s'opposaient à lui et ceux qui appartenaient simplement au ‘mauvais’ groupe ethnique », ajoute Bercault.

Après l’inculpation de l’ancien président, les juges d’instruction des chambres africaines se sont mis immédiatement à la tâche. Ils ont entamé au début de la semaine une deuxième commission rogatoire au Tchad, après une première mission dans le pays en août et septembre derniers. La nouvelle commission rogatoire « permettra », selon un communiqué des chambres africaines extraordinaires, de poursuivre les auditions des victimes et des témoins, l’exploitation des archives de la DDS et la visite des sites supposés abriter des charniers ».

« C’est une véritable farce judiciaire »

Mais Hissène Habré et ses avocats contestent la légalité et l’impartialité des chambres africaines qu’ils ont décidé de boycotter. «Nous ne participons pas au travail de ces chambres parce que nous considérons qu’elles ne sont ni indépendantes ni impartiales », a expliqué à l’agence Hirondelle Maître François Serres, l’un de ces plaideurs, estimant que « le président Habré a été victime d’un kidnapping ». « L’enquête est menée totalement à charge par le procureur qui veut protéger le président Deby. C’est une véritable farce judiciaire. Nous ne pouvons pas y participer », a ajouté l’avocat français.

Ainsi avant même que leur client ne soit arrêté, ses avocats avaient demandé à la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’annuler les procédures engagées devant ces chambres. Dans une décision rendue le 5 novembre, la Cour s’est déclarée incompétente et a jugé la demande irrecevable. Pour le Collectif des avocats des victimes, « la énième tentative de Hissène Habré de repousser le jour où il aura à rendre des comptes a échoué » et « les Chambres africaines extraordinaires ont été confortées dans leur travail ». Mais les avocats de l’ancien dirigeant refuse d’y voir un revers. «La défense garde sa sérénité et rappelle que c'est bien auprès de la justice sénégalaise qu'un recours a été déposé et que le Conseil Constitutionnel se prononcera sur la légalité et la conformité de la procédure d'exception mise en place par le Sénégal », réagissaient les avocats de Habré, dans un communiqué. Le même espoir est exprimé par Fatimé Raymonne, l’épouse de Hissène Habré, dans une récente lettre au présent Sall « Oui, M. le Président, le sort du Président Habré et celui de notre famille n’est pas, entre les mains des Chambres africaines financées par Deby, mais bel et bien, entre celles de la justice sénégalaise, du Conseil Constitutionnel ».

ER/ YL