Myanmar : interdire tout retour

Ce lundi 29 septembre, le Mécanisme d'enquête indépendant pour le Myanmar (IIMM) de l’Onu publie un rapport sur « la destruction et la saisie des maisons, fermes, mosquées et autres biens des Rohingyas en 2017 ». L'intention était de « réaffecter les terres afin d'effacer toute trace de la longue présence des Rohingyas » au Myanmar, dit-il. Montrant comment la destruction de biens peut être un élément essentiel du génocide.

Au Myanmar, la population Rohingya a été victime en 2017 de crimes qui pourraient être reliés à une volonté de génocide, dont des destructions de terres et villages. Photo : un village brûle tandis que des hommes munis de poignards et de lance-pierres passent au premier plan.
Des hommes non identifiés, munis de poignards et de lance-pierres, passent à côté d’un village en feu, dans L’État de Rakine, en septembre 2017. Photo : © STR/AFP
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Les dirigeants militaires du Myanmar font l'objet de multiples poursuites judiciaires visant à les tenir responsables de l'expulsion massive des Rohingyas, en 2017, au cours de laquelle des centaines de milliers de personnes ont quitté leurs villages dans l'État de Rakhine, au sud-ouest du pays, pour se réfugier principalement dans des camps situés à la frontière avec le Bangladesh.

Devant la Cour internationale de justice (CIJ), la Gambie a invoqué contre le Myanmar la convention de 1948 sur le génocide, dans un dossier soutenu par au moins 11 autres États. Devant la Cour pénale internationale (CPI), le procureur a demandé un mandat d'arrêt contre le président et commandant en chef du Myanmar, Min Aung Hlaing, soulignant les crimes contre l'humanité présumés commis par le régime en expulsant de force les Rohingyas.

Créé en 2018 par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le Mécanisme d'enquête indépendant pour le Myanmar (IIMM), basé à Genève, a pour mandat de collecter et de conserver les preuves pertinentes et de préparer des analyses afin de faciliter les poursuites pénales. Dans un nouveau rapport publié le 29 septembre, il inclut une analyse juridique de la manière dont les crimes qu'il a identifiés peuvent être qualifiés de génocide, affirmant que « le fait d'infliger délibérément des conditions de vie calculées pour provoquer la destruction physique d'un groupe comprend l'expulsion systématique et la destruction de leurs maisons ».

Le rapport s'appuie sur les analyses précédentes de l'IIMM sur les actions menées par le Myanmar en 2017, appelées « opérations de nettoyage », et souligne à nouveau qu'il y a eu une « campagne d'atrocités de masse contre la population rohingya de l'État de Rakhine, marquée par l'incendie de villages, des massacres et des violences sexuelles généralisées ». Il s'agissait de « l'aboutissement de décennies de persécution systématique et de privation des droits civiques de la population rohingya », aux racines profondes, selon l'IIMM : « Bien avant les atrocités de 2017, les Rohingyas ont été privés de leur citoyenneté, exclus de l'éducation, privés de soins de santé et mis en marge de la participation politique. »

« Est-ce que mon nom peut apparaître ? »

L’analyse se concentre sur « les entités et les individus liés à elles qui ont ordonné, supervisé, exécuté et tiré un profit financier de la destruction et de la démolition des villages rohingyas ». Elle détaille également comment des bases de gardes-frontières ont été construites « sur les villages rasés » et quelles entreprises et quels individus pourraient être tenus pour responsables.

Le rapport prend en exemple sept villages spécifiques « car ils illustrent un schéma systématique » de destruction et ont été transformés en bases de gardes-frontières. Ces villages « fournissent les preuves les plus solides à ce jour que les opérations de nettoyage de 2017 ont combiné confiscation des terres, destruction ciblée des moyens de subsistance et déplacement forcé, afin d'effacer la présence des Rohingyas de leur terre ancestrale ».

Les preuves vont « d’images géospatiales [qui] montrent terres brûlées, décombres et arbres calcinés » aux « rescapés [qui] ont rapporté que des zones entières ont été rasées au bulldozer, ne laissant qu’une végétation envahissante là où se trouvaient autrefois maisons, écoles et commerces de communautés rohingyas florissantes », en passant par « les forces de sécurité du Myanmar et les entreprises sous contrat avec l'État [qui] ont délibérément détruit les cimetières, les mosquées et autres monuments communautaires rohingyas », jusqu'à « l'absorption des terres rohingyas » dans des bases rendant « permanent le déplacement des Rohingyas... et l'effacement de leurs villages ». « En recouvrant d'asphalte des espaces sacrés et communautaires, les autorités ont effacé les preuves matérielles de l'histoire des Rohingyas, rendant plus difficiles les futures revendications d'appartenance ou de retour. En détruisant des biens culturels et religieux, les forces de sécurité du Myanmar et les autorités de l'État de Rakhine ont physiquement déplacé les communautés rohingyas et perturbé leur continuité culturelle dans le nord de l'État de Rakhine », indique le rapport. « Un homme originaire de l'un des villages, Ah Lel Chaung, où la base du bataillon n° 8 de la BGP [Police des gardes-frontière] a été construite, a établi un lien entre la confiscation des terres et son déplacement, déclarant : ‘Nos terres nous ont été enlevées, nous n'avons plus rien à faire ici et nous ne pourrons pas survivre ici, nous devrons donc partir’. »

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Dans la version publique de 19 pages du rapport, certains détails ont été expurgés. « Je pense qu'il est toujours bon que les personnes susceptibles d'être impliquées dans le financement des crimes se demandent : « Est-ce que je peux vendre ces armes ? Est-ce que mon nom peut apparaître ? Je veux que chaque auteur de crime pense qu'il existe un dossier sur lui, ou du moins qu'il s'endorme le soir en s'en inquiétant », explique Nicholas Koumjian, directeur de l'IIMM, dans une interview accordée à Justice Info.

Un vrai manuel du génocide

Les informations citées proviennent de « sources très variées », insiste Koumjian. « Nous n'avons pas accès au Myanmar. Mais aujourd'hui, il existe de nombreuses preuves sur les réseaux sociaux. Même des éléments tels que la chaîne de commandement peuvent être trouvés sur Internet. Il est très important de disposer d'une unité sur les sources ouvertes. Elle a beaucoup contribué à ce rapport », tout comme les témoins qui « nous ont montré les documents dont ils disposent concernant leurs droits fonciers ».

Une partie des documents a été recueillie par l'ONG Commission for International Justice & Accountability (CIJA) dans des avant-postes militaires abandonnés, dont 206 pages de documents. « J'ai travaillé sur cinq dossiers distincts de génocide dans le passé et c'est l'une des preuves les plus convaincantes que j'ai jamais vues », déclare un ancien membre de CIJA, sous couvert d'anonymat. « Le dossier était clair grâce à un ensemble d’excellentes preuves. Nous disposions de bonnes sources ouvertes, telles que des posts Facebook révélant la politique de l'État, ainsi que de bons documents sur les crimes commis sur le terrain. Et puis, ces documents internes abandonnés dont nous avons pris possession ont vraiment bouclé la boucle. Ces documents internes du gouvernement démontraient clairement une politique d'État visant à contrôler la population rohingya, à surveiller et cibler les communautés rohingyas par la violence, y compris par des crimes contre les propriétés, puis à dissimuler le traitement réservé à la population rohingya. Au final, il s'agit d'un dossier quasi irréfutable de crimes atroces, y compris de génocide. »

Melanie O'Brien, spécialiste du génocide et professeure à l'université d'Australie occidentale, décrit l’approche comme « un manuel ». Il s'agit de « preuves très spécifiques et assez significatives » dont elle a été « vraiment impressionnée qu'ils aient pu les obtenir », notamment sur « le lien entre le gouvernement et les entreprises locales et les grandes entreprises ». Elle ajoute : « Ce qui me frappe dans ce rapport, c'est qu'il s'agit d'un schéma qui fait directement écho aux génocides précédents, notamment le génocide arménien, l'Holocauste, le génocide cambodgien et les génocides actuels comme celui à Gaza. Je pense donc que cela fait partie du processus, que c'est un élément essentiel du processus de génocide. »

Ce rapport pourrait-il conduire à de nouveaux mandats d'arrêt émis par la CPI ou d'autres tribunaux nationaux ? « Ce que nous cherchons à faire, c'est faciliter les poursuites pénales en nous appuyant sur des preuves solides. Je ne veux pas exagérer en disant que nous avons des dossiers prêts à être utilisés contre tel ou tel individu, mais nous disposons d'informations qui pourraient servir de base à des enquêtes », déclare prudemment Koumjian.

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