« Siphonnage de 195 millions de dollars alloués aux victimes de la guerre de Kisangani, un autre crime financier qui attend réparation. » Tel est le titre du rapport de 29 pages publié le 24 septembre 2025 par le Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL), une ONG congolaise réputée, sur le fonctionnement du Fonds spécial de répartition et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (RDC), connu sous le nom de Frivao.
195 millions de dollars ont été versés par l'Ouganda, entre 2022 et 2024, en guise de réparations pour des crimes et destructions perpétrés à Kisangani, dans le nord de la RDC, en 2000. Ce versement a été effectué conformément à un arrêt de la Cour internationale de la justice (CIJ), rendu en février 2022. La CIJ a alors condamné Kampala à payer à Kinshasa 325 millions de dollars sur cinq ans, soit 65 millions annuels. En 2024, l'Ouganda s'était acquitté de trois tranches. Entre juin et août 2025, les équipes du CREFDL ont analysé les comptes du Frivao – relevés de comptes bancaires, listes de paiements, courriers administratifs, ainsi que la loi des finances 2022-2023. Une recherche appuyée par une cinquantaine d’entretiens.
Le constat est choquant : moins de 2% des fonds ont été versés aux bénéficiaires. « Éparpillement de fonds, retraits en cascade, faibles allocations aux indemnisations de victimes, primes de prestige à l'équipe FRIVAO », dénonce le rapport. Sur les 105 millions alloués aux indemnisations aux personnes (d’autres réparations concernent les dommages causés aux biens et aux ressources naturelles), un peu plus d'un million seulement avait été versé aux victimes en octobre 2024, soit 1,98%.
« La lenteur dans le traitement des dossiers et le faible niveau de qualification du personnel affecté à la Commission d’Identification et à celle de Certification expliquent le faible taux d’indemnisation des victimes personnes physiques », écrit le Centre. Le rapport précise que 3.163 victimes sur 14.000 identifiées à Kisangani ont été déclarées éligibles à l’indemnisation par le Frivao. « Après analyse des données, il se dégage qu’au total 998 victimes (…) ont reçu leur indemnité de deux mille dollars américains chacune fin décembre 2024. » Un montant dérisoire, ajoute le rapport, qui estime que « chacun pourrait recevoir jusqu’à 30.000 USD, si on s’en tient aux effectifs des victimes déclarées éligibles ».
Opérations douteuses
Il n’existe aucune loi de finances ni reddition des comptes qui retrace l'encaissement du montant par le Frivao et l'établissement public n'apparaît dans aucun budget voté par le parlement et promulgué par le chef de l’État, fustige le centre de recherche. Les fonds versés par l'Ouganda ont été « mouvementés » sur au moins dix comptes bancaires dont sept ont pour mandataire le ministre de la Justice, en violation du décret, note le Centre. Le 18 septembre 2023, celui-ci a demandé au coordinateur du Frivao d'ordonner un transfert de 2,6 millions de dollars avant d’opérer, deux semaines plus tard, un retrait en espèces de 1,5 millions. « Ce montant n'a pas été retracé dans la comptabilité », note le rapport. « Pire encore, l’argent des victimes a même servi à financer les activités d'un bureau de change, dénommé Clic Change Sarl, à hauteur de 4,2 millions » de dollars, s’insurge le CREFDL. Tandis que le secrétariat général du Ministère de la Justice a obtenu l'achat, en sa faveur, de deux bus pour un montant de 228,000 dollars. Une opération illégale, selon le CREFDL, et réalisée en dépit des règles sur les marchés publics.
Autre opération douteuse : le versement de 172.800 dollars au titre d’avances sur frais d’installation des membres du conseil d’administration et de la coordination du Fonds. « Ce paiement ne repose sur aucune base juridique et constitue purement et simplement un avantage indu que les mandataires publics se sont octroyés. »
La compagnie nationale d’électricité (Snel) a, quant à elle, reçu 9 millions de dollars pour la réhabilitation du réseau électrique de Kisangani. Seuls 115.000 dollars auraient été reversés à la province et 6,2 millions n’auraient toujours pas été dépensés, a indiqué la Snel. Une plainte a été déposée contre la compagnie en août 2024.

Un scandale en cascade
L'établissement public a été créé par décret, en 2019, pour gérer les réparations versées par l'Ouganda. Son premier comité a été suspendu en août 2024 par le ministre de la Justice, Constant Mutamba, pour des accusations de malversations, avant d'être réhabilité par son successeur intérimaire, Samuel Mbemba, en juillet 2025. En juin et en septembre 2025, le procureur près la cour de Cassation, Firmin Mvonde, à l'origine de l'inculpation de Mutamba, a affirmé son engagement à enquêter sur la gestion du Frivao. Début septembre, Mutamba a été condamné à 10 ans de travaux forcés pour le détournement de 19 millions de dollars du Frivao. Alors que son procès était en cours, le second coordonnateur du Fonds, Chançard Bolukola, a été arrêté pour des allégations similaires et demeure en détention.
Au terme de ses analyses, le CREFDL recommande sans ambages la dissolution du Frivao et l'attribution du fonds à un autre organisme existant, soit la Commission de gestion des biens saisis et confisqués, soit le Fonds de lutte contre le crime organisé. Il demande l'ouverture d'une enquête contre tous les gestionnaires des comptes concernés et ceux du Fonds depuis le premier versement par l'Ouganda ; la restitution des biens mal acquis ; la suspension des indemnisations et leur évaluation ; ainsi que la publication de l'audit de la cour des comptes. Cet audit avait été sollicité par Mutamba lui-même, en juin 2024.
L’Ouganda devait opérer son quatrième et avant-dernier versement de 65 millions de dollars au 1er septembre 2025. De quoi re-sonner l’alarme et aggraver les inquiétudes sur la gestion du Frivao.