21.02.14 - TPIR/ACQUITTÉS - ACQUITTÉS PAR LA JUSTICE INTERNATIONALE MAIS TOUJOURS INDÉSIRABLES

Arusha, 21 février 2014 (FH) – Malgré leur acquittement par la justice internationale, aucun pays ne veut d’eux sur son sol. Depuis une dizaine de jours, ce sont neuf anciennes personnalités rwandaises que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est obligé de nourrir, loger et protéger, faute de pouvoir les relocaliser.

3 min 54Temps de lecture approximatif

En effet, dans un jugement accueilli comme « un outrage » à Kigali, la chambre d’appel du Tribunal a annulé le 11 février toutes les condamnations à l’encontre du général Augustin Ndindiliyimana et du major François-Xavier Nzuwonemeye.Jusqu’à présent, seulement cinq acquittés ont pu être réinstallés, alors que « l’accord de siège » entre les Nations unies et la Tanzanie stipule clairement que les personnes jugées définitivement doivent quitter le territoire de ce pays hôte du Tribunal.Pour certains parmi ces acquittés, la quête d’un pays d’accueil est vieille de plusieurs années. Le plus ancien dans cette situation est l’ancien ministre des Transports André Ntagerura qui commémore, ce mois-ci, le dixième anniversaire de sa résidence dans sa « maison sécurisée », au siège du TPIR, à Arusha, en Tanzanie. Alors que les acquittés du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) rentrent triomphalement chez eux après le jugement, ceux du TPIR ne veulent surtout pas entendre de regagner le Rwanda. Selon les responsables du Tribunal, ils disent avoir des raisons de craindre pour leur sécurité dans leurs pays et insistent sur leur souhait de rejoindre les membres de leurs familles vivant actuellement en Europe ou en Amérique avec des statuts divers. « Un défi grave » « Permettre aux personnes acquittées par un tribunal pénal international de reprendre leur vie est une expression de l’Etat de droit », estime le TPIR, dans un document interne consulté par l’Agence Hirondelle. Depuis plusieurs années, les concernés, leurs avocats et l’administration du Tribunal ont beau faire valoir le droit à la réunification familiale reconnu dans les pays occidentaux approchés. « Un défi grave », selon ce document.L’administration du TPIR, qui croit que l’union fait la force,  envisage d’engager des discussions avec la Cour pénale internationale (CPI) pour définir ensemble « une stratégie coordonnée à long-terme », selon la même source.  Basée à La Haye, aux Bas-Pays, la CPI, qui, contrairement au TPIR, n’est pas une institution des Nations unies, a jusqu’ici acquitté une seule personne qui attend de comparaître en appel suite à un recours du procureur.Premiers concernés, les acquittés ne croisent pas les bras non plus. Dans un mémorandum diffusé en février 2013, alors qu’ils n’étaient encore que sept dans les « maisons de sécurité », ils avaient eux-mêmes interpellé les Nations unies.A cette époque, quatre d’entre eux avaient des membres de famille ayant obtenu la nationalité française ou vivant dans le pays en situation régulière. Il s’agissait, en plus de Ntagerura, de l’ancien ministre du Travail Prosper Mugiraneza, du général Gratien Kabiligi et de Protais Zigiranyirazo, beau-frère de l’ex-président Juvénal Habyarimana. Pour leur part, Casimir Bizimungu et Jérôme Bicamumpaka, anciens ministres des Affaires étrangères à des époques différentes, avaient de la famille au Canada. Pour sa part, l’ancien ministre de l’Industrie et du Commerce, Justin Mugenzi voulait rejoindre les siens en Belgique.Dans leur texte de 42 pages, ils réfutaient l’argument de certains pays occidentaux selon lequel leur présence pourrait menacer la sécurité publique. « Au cours des onze dernières années, aucun des cinq acquittés réinstallés n’aura été source de troubles sur le territoire de son pays d’accueil. Ils y vivent paisiblement dans le respect des lois du pays d’accueil et ils se sont d’ailleurs progressivement intégrés dans la société en général », argumentaient les auteurs du mémorandum. Un vide juridiqueEn tête de liste, la France a accueilli les anciens maires Ignace Bagilishema et Jean Mpambara. La Belgique héberge l’ancien préfet Emmanuel Bagambiki, l’Italie a accueilli l’abbé Hormisdas Nsengimana  et l’ex-ministre de l’Enseignement André Rwamakuba a pu rejoindre sa famille en Suisse.Déplorant la tendance de certains gouvernements à « mettre en doute la validité des jugements rendus par le TPIR », les signataires du mémorandum demandaient au Conseil de sécurité d’adopter « une disposition spécifique régissant les droits des personnes acquittées » par le TPIR.Les difficultés du TPIR à relocaliser les personnes acquittées résultent notamment d’un vide juridique dans le statut du Tribunal. Ce texte fondamental est clair sur l’obligation pour les Etats de coopérer en vue de l’arrestation des accusés. Il prévoit également un mécanisme de désignation des pays où les condamnés doivent purger leurs peines. Mais rien sur le devenir des acquittés.A l’appel des différents magistrats qui se sont succédé à la tête du TPIR, le Conseil de sécurité a souvent appelé les Etats membres à ouvrir leurs portes. Mais il ne s’agit que de résolutions non-contraignantes. Rien que des vœux pieux comme le déplorait l’actuel président du TPIR, le juge Vagn Joensen lorsqu’il présentait un rapport semestriel à l’ONU en décembre dernier.  « Sur les cinq dernières années, tous les efforts du TPIR pour mener à bien la réinstallation de ces personnes ont échoué ».A côté des neuf acquittés, il y a aussi des condamnés ayant purgé leurs peines. Si certains de ces derniers ont choisi de se fondre dans la nature, il y en a aussi qui restent encore sous la protection du TPIR. Comme le Tribunal doit déposer son bilan au plus tard le 31 décembre, ce défi sera légué au Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), une structure de moindre taille déjà en fonction, avec une branche à Arusha et une autre à La Haye.FH/YL