Génocide à Gaza : ce que dit la Commission de l’Onu en faits et en droit, et ce qui est en jeu

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devrait s'adresser à l'Assemblée générale des Nations unies le 26 septembre, à New York. Une semaine après qu'une enquête indépendante de l'Onu ait établi que son gouvernement commettait un génocide à Gaza. Les professeurs de droit international Sharon Weill et Olivier de Frouville expliquent l’importance de ce rapport.

Une enquête de l'Onu a établi qu'Israël commettait un génocide à Gaza. Photo : Navanethem Pillay (présidente de la commission d'enquête des Nations Unies en Palestine) s'exprime lors de la publication du rapport. En arrière-plan, le logo de l'Onu.
Navanethem Pillay, présidente de la la Commission d’enquête internationale indépendante de l’Onu sur les territoires palestiniens occupés, lors de la publication, le 16 septembre 2025, du rapport accusant Israël de commettre une génocide à Gaza. Photo : © Fabrice Coffrini / AFP
Republier

Le 16 septembre, Israël a lancé une guerre destructrice contre la ville de Gaza, entraînant des déplacements massifs de population, des centaines de blessés et de morts, ainsi que la destruction généralisée d'habitations. Le même jour, la Commission d'enquête internationale indépendante du Conseil des droits de l'homme des Nations unies a déclaré officiellement, pour la première fois, que les actes d'Israël répondaient à la définition juridique du génocide.

La Commission des Nations unies évalue la responsabilité d'Israël dans les violations de la Convention sur le génocide tant d'un point de vue factuel que juridique. Elle conclut que le comportement d'Israël à Gaza répond à la définition juridique du génocide au sens de la Convention sur le génocide de 1948, remplissant à la fois les éléments constitutifs des actes physiques et de l'intention mentale.

Elle constate qu'Israël a commis des actes interdits par la Convention : le meurtre de Palestiniens à Gaza, le fait d’infliger des dommages physiques et mentaux graves, de créer des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction physique des Palestiniens de Gaza et d’imposer des mesures visant à empêcher les naissances. La Commission détermine surtout que ces actes ont été commis avec l'intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, les Palestiniens de Gaza, ce qui est la condition essentielle qui distingue le génocide des autres crimes internationaux.

Établir l'intention

Sur le plan de sa méthode, la Commission des Nations unies considère que l'intention génocidaire peut être établie soit par des preuves directes, comme des déclarations exprimant une intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé, soit par déduction à partir de preuves circonstancielles, en tenant compte de l'ensemble des faits et des comportements. Si certains actes peuvent avoir d'autres explications (telles que des objectifs militaires), cela n'exclut pas l'existence d'une intention génocidaire, si c'est la seule conclusion raisonnable à tirer.

Dans son évaluation, la Commission examine les actions des dirigeants et des soldats israéliens, le contexte général, l'ampleur des dommages et les moyens utilisés, le nombre de victimes, le ciblage systématique de personnes en raison de leur appartenance à un groupe, la répétition d'actes de destruction et l'utilisation d'un langage dénigrant. Elle note que les crimes contre les enfants peuvent indiquer une intention génocidaire. Cela reflète également la position adoptée quelques semaines après le 7 octobre 2023 par le Canada, le Danemark, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas dans leurs plaidoiries devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans l'affaire du Myanmar : « Compte tenu de l'importance des enfants pour la survie de tous les groupes, les preuves de préjudices causés aux enfants peuvent contribuer à conclure que les auteurs avaient l'intention de détruire une partie substantielle du groupe protégé. »

Vous trouvez cet article intéressant ?
Inscrivez-vous maintenant à notre newsletter (gratuite) pour être certain de ne pas passer à côté d'autres publications de ce type.

La Commission conclut que les massacres, les graves préjudices et l'absence de poursuites pénales reflètent une tendance constante démontrant l'intention de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que groupe. Cette intention est attestée par les déclarations officielles des dirigeants israéliens et par leurs actes, notamment le recours à des tactiques de famine, le blocage de l'aide humanitaire et la destruction systématique de sites religieux, culturels et éducatifs. Le démantèlement du système de santé de Gaza, combiné au refus d'accès aux soins médicaux et aux attaques continues contre les civils, est jugé comme visant délibérément à compromettre la capacité des Palestiniens à survivre et à se relever. Le ciblage systématique des enfants est identifié comme faisant partie d'une stratégie visant à éliminer la continuité biologique et l'avenir du groupe palestinien à Gaza.

Elle établit également l'existence d'une « incitation directe et publique à commettre un génocide », sur la base des déclarations du président israélien Isaac Herzog, du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant. Bien qu'elle n'évalue pas encore de manière exhaustive les déclarations d'autres dirigeants, notamment celles du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et du ministre des Finances Bezalel Smotrich, la Commission estime que celles-ci devraient également faire partie de l’évaluation à l'avenir.

Une mise en garde sur les transferts d'armes

En affirmant l'existence d'une intention génocidaire, les conclusions de la Commission aggravent considérablement les implications juridiques et politiques internationales de la guerre menée par Israël contre Gaza, augmentant la pression sur les États pour qu'ils interviennent, en particulier en ce qui concerne les transferts d'armes. Une conséquence juridique directe est l'obligation pour les États tiers de « cesser le transfert d'armes et d'autres équipements ou articles, y compris le kérosène », si cela peut contribuer à la commission d'un génocide. Cette recommandation est particulièrement notable compte tenu d'un arrêt rendu en 2021 par la Cour de cassation française contre le cimentier Lafarge, qui a estimé que les entreprises vendant des armes peuvent être considérées comme complices de crimes internationaux si elles avaient connaissance de la commission de ces crimes, qu'elles aient ou non partagé l'intention de les commettre. Dans le contexte actuel, les conclusions de la Commission rendent impossible pour les États ou les entreprises de prétendre ignorer la commission d'un génocide à Gaza.

Ce rapport d'enquête de l'Onu s'inscrit dans un cadre juridique plus large dans lequel la CIJ examine la responsabilité d'Israël dans une affaire portée devant elle par l'Afrique du Sud fin 2023, dont la procédure est toujours en cours. Le rapport de l'Onu pourrait être soumis par l'Afrique du Sud à la CIJ dans le cadre de son processus d’établissement des faits. Cependant, le rapport de l'Onu ne traite pas de la responsabilité pénale individuelle, qui relève de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). La CPI mène actuellement des enquêtes sur des individus, et non sur l'État, et a déjà émis des mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité présumés à l'encontre de deux membres du gouvernement israélien, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. En représailles, le président américain Donald Trump envisagerait d'imposer des sanctions à l'ensemble de la CPI. Si la définition juridique du génocide est constante, le rapport de l'Onu met l'accent sur la responsabilité de l'État (voir également le rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, publié en juillet 2024).

Ce que les universitaires peuvent et doivent dire

Un appel, signé à ce jour par plus de 270 éminents professeurs de droit du monde entier sur la question du génocide à Gaza a été lancé par des professeurs français et publié cet été dans le journal français Libération. Il présente « huit observations essentielles » sur lesquelles ces professeurs de droit se sont mis d'accord, notamment l'idée que l'intention génocidaire du gouvernement israélien s'est cristallisée. L'appel souligne également que les débats sur la classification du génocide ne doivent pas occulter le fait que des crimes extrêmement graves sont commis et qu'il n'existe aucune hiérarchie, en droit international, entre le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.

En France, déclarer publiquement qu'un génocide est en cours est souvent perçu comme « prendre parti » – promouvoir (voire s'aligner sur) le programme politique du Hamas visant à détruire l'État d'Israël – ou comme de l'« antisémitisme » envers les Juifs français. Ce discours impose ainsi un choix binaire : choisir son camp. Pourtant, il n'y a pas d'opposition entre dénoncer un génocide et reconnaître les craintes et les besoins d'Israël. Au contraire, s'opposer au génocide ouvre la possibilité de penser différemment la sécurité des Israéliens. Contrairement à ce que nous disent le Hamas et le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou, il y a place pour les deux discours, tout comme il y a place pour tous sur cette terre. Refuser le discours et les cadres binaires est une étape nécessaire pour parvenir à une convergence fondamentale afin de mettre fin au génocide.

Sharon WeillSHARON WEILL

Sharon Weill est professeure de droit international à l'Université américaine de Paris et chercheur associé à SciencesPo Paris (CERI). Ses recherches portent sur la relation entre le droit international et le droit national et sur les politiques du droit international. Elle est l'auteure de «The Role of National Courts in Applying International Humanitarian Law” (Oxford University Press, 2014) et co-éditeur de l'ouvrage “Prosecuting the President - The Trial of Hissène Habré” (Oxford University Press, 2020).


Olivier de FrouvilleOLIVIER DE FROUVILLE

Olivier de Frouville est professeur de droit international à l'université Paris-Panthéon-Assas et directeur du Centre des droits de l'homme de Paris (CRDH). Il est l'auteur ou l'éditeur de nombreux ouvrages et articles dans le domaine des droits de l'homme, du droit pénal international et de la théorie du droit international public. Il est également membre et ancien président (2023-2025) du Comité des Nations unies sur les disparitions forcées et a été membre du Comité des droits de l'homme des Nations unies (2015-2019) et du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées (2008-2014).

Republier
Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.