Le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, a annoncé un plan controversé visant à déplacer jusqu’à 600.000 Palestiniens de Gaza vers une « zone humanitaire » dédiée, sur les ruines de la ville de Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza. L’accès au camp serait soumis à des contrôles de sécurité stricts afin de s’assurer que les personnes entrant ne sont pas des membres du Hamas. Une fois à l’intérieur, le périmètre serait bouclé par l’armée israélienne. Les Palestiniens ne seraient pas autorisés à quitter les lieux. À terme, le camp accueillerait l’ensemble des 2,1 millions d’habitants de Gaza. La construction du camp commencerait pendant le cessez-le-feu de 60 jours proposé, actuellement en cours de négociation entre Israël et le Hamas.
Ce plan est illégal, inhumain et risque d’aggraver la crise humanitaire à Gaza. Il consiste à forcer à terme toute la population de Gaza à aller dans le camp de Rafah. Le déplacement forcé et le confinement de toute population civile dans un territoire occupé constituent une violation du droit international humanitaire. À cette échelle, cela constituerait un crime de guerre et un crime contre l’humanité, au sens du Statut de Rome.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Assemblée générale des Nations unies et la Commission des droits de l’homme des Nations unies ont tous condamné les cas de transfert forcé dans les conflits armés. Il en va de même pour le Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui ont souligné l’interdiction fondamentale du déplacement forcé d’une population civile et la nécessité pour toutes les parties de respecter cette interdiction.
Pour leur propre protection ?
Katz décrit le camp comme une « cité humanitaire ». L’armée israélienne affirme que les Palestiniens ne seraient confinés que pour leur propre protection. Comme nous l’avons vu, le déplacement de civils est interdit. Il existe toutefois une exception, quand il peut se justifier pour des raisons militaires ou pour la protection de la population. Mais cette exception existe uniquement tant que les conditions existent pour le justifier. Toute personne soumise à une telle évacuation doit être ramenée chez elle dès que possible.
Des raisons militaires impératives ne justifient jamais le déplacement d’une population civile dans le but de la persécuter. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays consacrent le devoir des acteurs internationaux d’éviter de créer les conditions susceptibles d’entraîner le déplacement de personnes.
Katz a indiqué que les organisations internationales seraient chargées de gérer l’aide et les services à l’intérieur de la zone. Mais Israël a l’habitude de défier jusqu’aux ordonnances de la Cour internationale de justice visant à permettre l’acheminement de l’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza. Si les agences humanitaires internationales étaient appelées à intervenir dans le camp, elles seraient confrontées à un dilemme. Elles devraient décider si elles coopèrent à la gestion de l’aide dans des conditions qui compromettent leur neutralité et leurs normes éthiques, bafouent les droits humains fondamentaux et reposent sur des violations du droit international. Les organisations humanitaires risqueraient d’être complices d’un processus visant à créer un camp de transit pour les Palestiniens avant de les expulser complètement de Gaza.
Cette « cité humanitaire » deviendrait, en substance, une prison à ciel ouvert. Les Palestiniens dépendraient de l’aide internationale sous le contrôle strict de l’armée israélienne.
Expulsion massive
Le camp de Rafah pourrait-il être le prélude à une expulsion massive de Gaza et que dit le droit international à ce sujet ? Katz aurait déclaré qu’Israël avait l’intention de mettre en œuvre « le plan d’émigration, qui aura lieu », ce qui signifie que les Gazaouis seront finalement contraints de partir vers d’autres pays.
La modification de la composition démographique d’un territoire – le nettoyage ethnique – obtenue par le déplacement de la population civile de ce territoire est strictement interdite par le droit international. L’idée de déplacer les Palestiniens fait depuis longtemps partie de la stratégie israélienne, mais cette annonce marque une escalade dangereuse et l’intention de modifier de manière permanente le paysage démographique de Gaza par le déplacement et le confinement.
Selon Katz, les Gazaouis auraient l'option d’émigrer « volontairement ». En effet, s’exprimant à la Maison Blanche [début juillet], le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré qu’il n’y aurait pas d’exode forcé de Gaza : « Si les gens veulent rester, ils peuvent rester, mais s’ils veulent partir, ils doivent pouvoir le faire. »
Mais l’ampleur de la crise humanitaire à Gaza est hors de compréhension. La population a été déplacée à plusieurs reprises et 90% des maisons à Gaza sont endommagées ou détruites. Les systèmes de santé, d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène se sont effondrés. En moyenne, 100 Palestiniens sont tués chaque jour alors qu’ils tentent d’accéder à de la nourriture. Ces circonstances de crise annulent le caractère volontaire du consentement de toute personne à être transférée vers le camp de Rafah ou, en fin de compte, à quitter Gaza.
Selon Amos Goldberg, historien spécialiste de l’Holocauste à l’Université hébraïque de Jérusalem, ce que le ministre de la Défense a présenté était un plan clair pour le nettoyage ethnique de Gaza : « [Il s’agit] d’un camp de transit pour les Palestiniens avant qu'ils les expulsent. Ce n’est ni humanitaire ni une cité. »
Cet article, légèrement modifié et traduit en français par Justice Info, est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Shannon Bosch est professeure de droit international et droit international humanitaire à l'université Edith Cowan de Perth, en Australie. Elle siège au comité de rédaction de l'African Yearbook of International Humanitarian Law (Annuaire africain du droit international humanitaire). Avant d'enseigner en Australie, elle a enseigné pendant plus de 20 ans à l'université du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud.