Si vous aviez assisté régulièrement aux audiences de la Cour internationale de justice (CIJ), vous auriez reconnu certains visages parmi les avocats qui ont présenté leurs arguments, la semaine dernière, sur les obligations d'Israël en tant qu'État occupant et membre des Nations unies. Ils ressemblent fortement à ceux qui ont précédemment plaidé dans le cadre du dossier distinct intenté par l'Afrique du Sud contre Israël en vertu de la Convention sur le génocide – une affaire qui a abouti à plusieurs mesures provisoires ordonnées par la CIJ exigeant qu'Israël fournisse des moyens de survie à la population civile de la bande de Gaza, dans le contexte de l'offensive de l'armée israélienne contre le Hamas depuis le 7 octobre 2023.
L’avis consultatif demandé par l'Assemblée générale des Nations unies est toutefois différent du dossier de génocide et de l'avis consultatif rendu l'année dernière sur les responsabilités d'Israël en tant que puissance occupante. L'avis de l'année dernière ne traitait de la question que jusqu'en octobre 2023, avant l'attaque du Hamas, note Wim Muller, professeur de droit international public à l'université de Maastricht. Celui de cette semaine a trait à la situation actuelle à Gaza, telle que décrite une nouvelle fois, le 3 mai, par le chef de l'agence des Nations unies chargée des affaires humanitaires et des secours d'urgence (OCHA) : « Bloquer l'aide affame les civils. Cela les prive de soins médicaux de base. Cela les prive de leur dignité et de leur espoir. Cela inflige une punition collective cruelle. Bloquer l'aide, c'est tuer », a déclaré Tom Fletcher, dans une adresse écrite à « ceux qui peuvent encore raisonner » avec les autorités israéliennes.
« C'est pourquoi l'Assemblée générale des Nations unies a explicitement demandé à la Cour de tenir des audiences accélérées », explique Muller, « en réponse directe à la crise humanitaire qui se déroule à Gaza ». Mais au final, tous ces dossiers différents, qui ont chacun leurs propres restrictions et limites, constituent « une sorte de puzzle » à propos du conflit israélo-palestinien, estime Muller. Et en effet, les preuves présentées à la Cour ont réitéré la tragédie en cours, avec des détails plus récents sur l'intensité des menaces qui pèsent sur les femmes et les enfants palestiniens et le bilan quotidien des morts et des blessés dont les médecins sont témoins et qu'ils sont incapables de soigner.
« Gaza compte aujourd'hui la plus grande cohorte d'enfants amputés au monde, la plus grande crise d'orphelins de l'histoire moderne, et toute une génération menacée de souffrir d'un retard de croissance, causant des déficiences physiques et cognitives irréparables ; plus de 15.600 enfants ont été tués violemment. Des dizaines de milliers d'autres enfants de Gaza sont blessés ou portés disparus, et beaucoup de ceux qui ont survécu sont tellement traumatisés qu'ils expriment ouvertement leur souhait de mourir », a déclaré devant la Cour, au nom de la Palestine, l'avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh, qui avait représenté l'Afrique du Sud dans le dossier pour génocide. Une vidéo du Dr Muhamad Mustafa, un médecin australien qui était volontaire à Gaza en mars dernier, a été diffusée, dans laquelle il déclarait : « Les bombardements sont incessants. Nous n'avons plus de kétamine, nous n'avons plus de propofol, nous n'avons plus aucun analgésique. Nous ne pouvons plus endormir personne, nous ne pouvons plus leur donner d'analgésiques. Lorsque nous intubons les gens, ils se réveillent et s'étouffent parce que nous n'avons pas de sédatifs. Sept filles vont être amputées des jambes, sans anesthésie... Il y avait surtout des femmes et des enfants, brûlés de la tête aux pieds, avec des membres arrachés, la tête coupée. »
L'isolement d'Israël
Juliette McIntyre, professeure de droit à l'université de South Australia, estime que le rôle de la Cour est important car elle permet de réaffirmer les règles pour tous, y compris pour les États qui pourraient être tentés de refuser l'accès à l'Onu. « C'est comme un bras de fer. Chaque fois qu'un État désobéit ou enfreint une norme, celle-ci s'affaiblit, car les autres États voient qu'il s'en tire à bon compte et se disent : « Oh, je pourrais faire la même chose ». Lorsque la Cour intervient et réaffirme la norme, celle-ci s'en trouve renforcée. »
Une quarantaine d'États et d'organisations internationales ont affirmé, dans des communications écrites et orales à la Cour, qu’Israël a l'obligation légale d'autoriser l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza et de coopérer avec l'agence d'aide des Nations unies pour la Palestine, l'UNRWA, créée en 1949 après la création de l'État d'Israël, afin de soutenir les réfugiés palestiniens répartis dans des camps dans plusieurs pays.
En octobre 2024, le Parlement israélien, la Knesset, a interdit l'agence. Dans ses conclusions juridiques présentées à la CIJ, Israël affirme que l'organisme des Nations unies constitue une menace pour sa sécurité. Dans leurs conclusions, de nombreux États ont souligné que les allégations concernant le manque de neutralité de l'UNRWA et son infiltration par le Hamas ont fait l'objet d'enquêtes indépendantes, que l'agence a été exonérée et qu'elle mettait en œuvre des réformes. Mais Jérusalem a présenté à la Cour un mémoire écrit de 37 pages, dans lequel l'UNWRA est mentionnée 278 fois. « Le non-respect par l'UNRWA de son mandat et des principes fondamentaux de neutralité, d'impartialité et d'indépendance, que l'Onu reconnaît depuis longtemps comme essentiels à la fourniture de l'aide humanitaire, est aussi incontestable que flagrant », affirme-t-il. Le document soutient qu'Israël est en droit de mettre fin à sa coopération avec l'organisation pour sa propre sécurité.
La position d'Israël est qu'il respecte le droit international. Elle est soutenue par les États-Unis et la Hongrie. « Ce qui est vraiment intéressant dans cette affaire, explique McIntyre, c'est la simplicité du droit et le fait que tout le monde, à l'exception des États-Unis et de la Hongrie, soit d'accord. » Y compris des pays comme la Russie et la Chine, ce qui est « assez inhabituel », selon elle. Muller estime que cela montre à quel point la position juridique d'Israël est désormais isolée. « Il semble qu'il soit en train de perdre le débat », dit-il.
Qu’est-ce qui n’est pas clair ?
Le recours insistant à la CIJ pour des disputes et pour des demandes d'avis consultatifs est frappant. « De plus en plus d'États se tournent vers les tribunaux et déposent des requêtes, même si l'on peut se demander pourquoi ils y consacrent leurs ressources », dit Muller. « Cela montre simplement qu'ils considèrent la Cour comme une instance légitime pour présenter leurs points de vue et les faire connaître sur la scène juridique internationale. »
McIntyre reconnaît que bon nombre des arguments portaient sur les réparations. « Ce qui est le plus intéressant dans ce dossier, c'est qu'il n'est pas intéressant, car tout le monde est là pour dire la même chose. Le droit relatif à l'occupation est très clair. Le droit relatif à l'immunité est extrêmement clair. Il n'y a vraiment pas beaucoup de marge de manœuvre ici. »
Alors, quelle décision peut-on attendre des juges ? « C'est évidemment toujours difficile à prédire », répond Muller. En raison de la formulation particulière de la question – « Quelles sont les obligations d'Israël, en tant que puissance occupante et membre des Nations unies, à l'égard de la présence et des activités des Nations unies, y compris de ses agences et organes, d'autres organisations internationales et d'États tiers, dans le territoire palestinien occupé et en relation avec celui-ci, y compris pour garantir et faciliter la fourniture sans entrave des biens de première nécessité indispensables à la survie de la population civile palestinienne, ainsi que des services de base et de l'aide humanitaire et au développement, au profit de la population civile palestinienne et à l'appui du droit du peuple palestinien à l'autodétermination ? » –, la Cour pourrait l'interpréter de manière restrictive, en se contentant de réaffirmer le droit. Ou bien, selon Muller, « le contexte offre la possibilité de statuer sur un champ très large, car il inclut même une référence au droit des Palestiniens à l'autodétermination. On peut également déduire de la manière dont certains États ont réagi et du type d’observations qu'ils ont présentées que certains d'entre eux l'interprètent également de manière très large, allant même jusqu'à envisager toutes sortes de mesures de réparation ».
Au cours de l'audience qui a duré une semaine, trois des juges de la CIJ ont posé des questions spécifiques sur le blocus israélien actuel. « Il est possible qu'à la lumière des faits, la Cour fasse un pas de plus et se prononce de manière un peu plus large que ce à quoi nous pourrions nous attendre », estime Muller. « La Cour est consciente du contexte. Elle se contente de répondre à la question tout en étant parfaitement consciente des enjeux politiques qui l'entourent », explique McIntyre.
Dans le même temps, Israël a divulgué les détails d'un nouveau plan d'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza qui exclurait complètement l'UNWRA. Cette proposition, qui pourrait être approuvée lors de la réunion du cabinet israélien dimanche, a déjà été largement rejetée par les organisations humanitaires. Muller estime qu'en réponse, « si Israël parvient à trouver une autre solution qui satisfait également aux normes juridiques, cela pourrait avoir une certaine influence, dans le sens où cela pourrait réduire la portée de la décision ou inciter la Cour à épargner Israël d'une manière ou d'une autre dans son avis. Je pense que cela pourrait jouer un rôle, car la Cour a tendance à être assez pragmatique. »