Le 23 juillet, la plus haute juridiction des Nations unies a déclaré que les pays qui ne respectent pas leurs obligations climatiques pourraient se rendre coupables de violations du droit international et être tenus d'indemniser les États qui ont subi un préjudice. La Cour internationale de justice (CIJ) a qualifié le changement climatique de « problème existentiel aux proportions planétaires qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète ».
La lecture de l'avis consultatif était attendue avec impatience par des militants venus de Papouasie occidentale, des Fidji et d'autres pays pour la suivre sur un grand écran installé à l'extérieur du Palais de la Paix à La Haye, siège de la CIJ. Scandant des slogans et brandissant leurs drapeaux nationaux, une cinquantaine de manifestants étaient réunis sous une grande banderole sur laquelle on pouvait lire : « Les tribunaux ont parlé, les gouvernements doivent maintenant agir ». La déclaration était également attendue par les représentants des États et d’autres organisations qui remplissaient la galerie publique.
« Je ne m'attendais pas à un résultat aussi positif, cela va bien au-delà de nos espérances », déclare Ralph Regenvanu, ministre de l'Adaptation au changement climatique, de la météorologie et des risques géologiques, de l'énergie, de l'environnement et de la gestion des catastrophes de la République de Vanuatu, dans le sud-ouest de l'océan Pacifique, lors d'une conférence de presse après l'audience. « Aujourd'hui, c'est une étape historique pour l'action climatique et une très importance rectification du cap à prendre. » Selon lui, l'avis de la Cour montre que l’obligation de protéger l'environnement « n’exprime pas une aspiration idéaliste, comme certains le prétendent », mais « un devoir contraignant ».
Il s'agit de l'affaire la plus suivie de l'histoire de la CIJ. À l'initiative de Vanuatu en 2023, l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant un avis consultatif à la Cour. Au cours de deux semaines d'audiences en décembre dernier, 96 États et 11 organisations internationales – un nombre record – ont présenté leurs arguments sur les deux questions soumises à la Cour : quelles sont les obligations des pays en vertu du droit international pour protéger le système climatique contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre ? Et quelles sont les conséquences juridiques pour les pays qui ont causé des dommages à l'environnement, en particulier en ce qui concerne les petits États insulaires et les communautés vulnérables ? Les pays du Sud et les petits États du Pacifique, fortement touchés par l'élévation du niveau de la mer et des phénomènes météorologiques extrêmes, ont demandé une responsabilisation des États, tandis que les principaux pollueurs, tels que la Chine et les États-Unis, ont déclaré que leurs obligations étaient déjà définies dans les traités existants.
Un environnement propre, sain et durable est un droit humain
Dans sa lecture de l'avis, qui a duré deux heures, le président de la CIJ, le juge Yuji Iwasawa, répond que les États ont l'obligation de collaborer pour réduire leurs émissions et s'adapter au changement climatique. « Le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique mondial contre les émissions de gaz à effet de serre — notamment par la production et la consommation de combustibles fossiles, l'octroi de licences d'exploration de combustibles fossiles ou l'octroi de subventions pour les combustibles fossiles — peut constituer un fait internationalement illicite », déclare-t-il.
« Les États doivent coopérer pour atteindre des objectifs concrets de réduction des émissions », poursuit-il. Il souligne que l'Accord de Paris contient des obligations « en matière d'atténuation, d'adaptation, de pertes et de dommages, et de coopération sous forme d'aide financière, technologique et de renforcement des capacités ». Toutes les parties doivent donc prendre des mesures pour remplir leurs obligations, dit-il, et celles-ci doivent se refléter dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Il s'agit de plans climatiques soumis par les pays tous les cinq ans. Si certains ont fait valoir que les États disposaient d'une certaine marge d'appréciation pour les élaborer, la Cour estime que « chaque partie a l'obligation d’une diligence raisonnable pour faire tout son possible pour que les CDN qu'elle présente reflètent son ambition la plus élevée », afin de rester dans la limite de 1,5°C de réchauffement climatique par rapport aux niveaux préindustriels, seuil que la CIJ fixe comme norme juridique. Le juge Iwasawa note que la science indique que l'augmentation des gaz à effet de serre est « causée sans équivoque » par les activités humaines et que les risques de pertes et de dommages liés au changement climatique « s'intensifient à chaque augmentation du réchauffement climatique ».
L'Onu a déjà prévenu qu'avec les politiques actuelles, la température augmentera de plus de 3 degrés par rapport aux niveaux préindustriels d'ici 2100. Pourtant, l'administration Trump a de nouveau retiré les États-Unis de l'accord de Paris sur le climat de 2015 et a supprimé les fonds destinés à la recherche scientifique sur le changement climatique. Mais les pays qui ne sont pas parties aux traités sur le climat sont toujours liés par les mêmes obligations en vertu du droit international coutumier, déclare le juge Iwasawa.
Lors des audiences de décembre, bon nombre des principaux pollueurs avaient fait valoir que l'Accord de Paris et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) constituaient les traités déterminants pour définir les obligations juridiques des États face au changement climatique. La Cour répond aujourd’hui que les différentes lois qu'elle a examinées ne présentent aucune incohérence, qu'elles se complètent donc et qu'elles sont toutes applicables. Ces lois comprennent la Charte des Nations unies, le Protocole de Kyoto, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et d'autres traités environnementaux tels que la Convention sur la couche d'ozone, le Protocole de Montréal, la Convention sur la diversité biologique et la Convention sur la désertification, etc. Le droit international coutumier s'applique également, notamment le devoir des États de prévenir les dommages environnementaux importants et le devoir de coopérer pour la protection de l'environnement, ainsi que les principes fondamentaux des droits de l'homme. À titre de principes directeurs pour l'interprétation et l'application des lois, la Cour met en évidence celui du développement durable, des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, celui de l'équité, de l'équité intergénérationnelle et celui de l'approche ou du principe de précaution.
La Cour indique clairement qu'« un environnement propre, sain et durable est une condition préalable à la jouissance de nombreux droits de l'homme, tels que le droit à la vie, le droit à la santé et le droit à un niveau de vie suffisant, y compris l'accès à l'eau, à l'alimentation et au logement. La Cour conclut donc qu'en droit international, le droit de l'homme à un environnement propre, sain et durable est essentiel à la jouissance d'autres droits de l'homme ». Début juillet, la Cour interaméricaine des droits de l'homme était parvenue à des conclusions similaires, reconnaissant la forte interaction entre les droits de l'homme et l'environnement ; dans son propre avis consultatif sur le changement climatique.

La fin de l'impunité climatique ?
Après avoir énoncé les obligations des pays en matière de prévention des dommages causés à l'environnement, la Cour se penche sur les conséquences d'une violation de ces obligations. Elle déclare qu'un manquement à ces obligations « constitue un fait internationalement illicite ». Avec des conséquences juridiques. Cela « peut obliger un État à révoquer toutes les mesures administratives, législatives et autres qui constituent un fait internationalement illicite ». Et cela peut ouvrir droit à des réparations. Les réparations accordées aux États lésés peuvent prendre la forme d'une restitution, qui peut signifier « la reconstruction des infrastructures endommagées ou détruites et la restauration des écosystèmes et de la biodiversité », ou d'une indemnisation lorsque cela n'est pas possible. Ces mesures seront décidées au cas par cas, précise la Cour. Elle rappelle qu'il doit exister un lien de causalité suffisant entre le fait illicite et le préjudice, mais estime que ce lien est en principe possible à établir.
« Dans cet avis, la Cour fournit un cadre complet pour tenir les États responsables des pollutions internationalement illicites, illégales et causant un préjudice à d'autres États, même lorsqu'aucun préjudice n'a encore été causé », commente Margaretha Wewerinke-Singh, conseillère juridique de Vanuatu devant la CIJ et avocate internationale au cabinet Blue Ocean Law. Elle fait valoir que « toute une série de moyens de défense qui auraient pu être invoqués par les États pollueurs ont déjà été rejetés ».
Les juges examinent plusieurs arguments avancés en décembre par les États riches. Certains d'entre eux faisaient valoir que le changement climatique est causé par des actions collectives et qu'il est difficile, voire impossible, d'attribuer une responsabilité, tandis que les comportements illicites des acteurs privés ne relèvent pas de la responsabilité des États. Dans son avis consultatif, la Cour conclut néanmoins que la science est suffisamment avancée pour permettre de clarifier les responsabilités et les impacts historiques, et que chaque État lésé peut tenir séparément un État pollueur pour responsable. Elle déclare également qu'« un État peut être responsable lorsque, par exemple, il a manqué à son devoir de diligence en ne prenant pas les mesures réglementaires et législatives nécessaires pour limiter la quantité d'émissions causées par des acteurs privés relevant de sa juridiction ».
« C'est un jour véritablement historique pour la justice climatique », réagit Vishal Prasad après la lecture de la Cour. Il fait partie des étudiants en droit qui, en 2019, ont commencé à faire pression sur le gouvernement de Vanuatu pour que l'affaire soit portée devant la CIJ. Selon lui, la Cour a désormais répondu « sans ambiguïté ». « Elle a dit au monde entier que l'impunité climatique n'est plus tolérée et que ceux qui ont causé les plus grands dommages sont tenus d'indemniser les personnes les plus touchées. En confirmant les conclusions scientifiques, la CIJ a enjoint aux pays de supprimer progressivement et de toute urgence les combustibles fossiles. Cet avis est une bouée de sauvetage et une occasion de protéger tout ce qui nous est cher ».
L'utilisation future des conclusions de la CIJ
L'avis consultatif a été adopté à l'unanimité par les 15 juges. Il n'est pas contraignant mais, selon les avocats, il revêt un poids juridique et politique considérable pour les futures affaires liées au climat. Regenvanu déclare que la décision de la CIJ va désormais inspirer de nouveaux litiges climatiques à travers le monde. Selon les chiffres de 2025 de l’Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l’environnement, basé à Londres, au moins 226 nouvelles poursuites climatiques ont été intentées en 2024, portant le nombre total de ces litiges à 2.967, dans près de 60 pays à travers le monde. « Les plaignants nationaux pourront s'appuyer sur l'avis de la CIJ pour renforcer leurs arguments selon lesquels les États qui ne prennent pas de mesures crédibles pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 manquent à leurs obligations légales et peuvent donc être tenus responsables devant les tribunaux », assure Margherita Cornaglia, avocate spécialisée dans la justice climatique et environnementale au cabinet Doughty Street Chambers, au Royaume-Uni.
Regenvanu explique que la prochaine étape consistera à renvoyer l'avis consultatif de la CIJ à l'Assemblée générale de l’Onu et à « obtenir une résolution visant à soutenir la mise en œuvre de la décision ». Il pense également à la Conférence des Parties des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra en novembre prochain au Brésil. « Nous approchons de la COP30 et cela fait dix ans que l'Accord de Paris a été signé. Il est maintenant très important de veiller à ce que nos actions soient conformes à ce qui a été décidé aujourd'hui. »
Selon Wewerinke-Singh, « l'époque où les pollueurs pouvaient décider librement de leurs politiques climatiques est bel et bien révolue. Nous sommes entrés dans une ère de responsabilité où les États peuvent être tenus responsables de leurs émissions actuelles si elles sont excessives, mais aussi de ce qu'ils n'ont pas fait dans le passé ». Dans un entretien à Justice Info devant le Palais de la Paix, elle explique que, du point de vue du droit international, cet avis doit être respecté, indépendamment des systèmes nationaux. « Si l'État ne fait pas ce qu'il est censé faire, et cela peut inclure une mauvaise interprétation des obligations par un juge ou une décision contraire à ce qu'a dit la CIJ, cela constitue en soi un acte illicite dont l'État dans son ensemble peut être tenu responsable, car les tribunaux sont également des organes de l'État. »
Un outil dans une bataille beaucoup plus vaste
La Cour a également saisi cette occasion pour affirmer que les migrants climatiques doivent être protégés par la loi. Elle déclare ainsi que « les conditions résultant du changement climatique, qui sont susceptibles de mettre en danger la vie des personnes, peuvent les conduire à chercher refuge dans un autre pays ou les empêcher de retourner dans le leur ». Les États ont l'obligation de ne pas les renvoyer dans leur pays d'origine s'il existe un « risque de préjudice irréparable ». En outre, elle souligne qu’un État continue d'exister même s'il perd ses territoires et que sa population est déplacée. S’ils étaient immergés, les petits États insulaires conserveraient leurs frontières maritimes.
Au cours des dernières années, Vanuatu a été frappé par plusieurs cyclones qui ont détruit plus de la moitié de son PIB. Dans l’attente de l’avis de la CIJ, des manifestants ont observé une minute de silence « pour ceux que nous avons déjà perdus » à cause du changement climatique. Ils ont également lu des poèmes, un artiste fidjien a exécuté une danse traditionnelle et joué une chanson à la guitare. « Les océans s’élèvent, et nous aussi », scandent les manifestants en brandissant des banderoles.
Vêtu d'une chemise traditionnelle et portant un sac arborant le drapeau de la Papouasie occidentale, Raki Ap, porte-parole du Mouvement de libération unifié pour la Papouasie occidentale, fait partie des personnes qui ont suivi l'audience devant le Palais de la Paix. S'adressant à Justice Info avant l'audience, il déclare que l'île indonésienne est marquée par les structures coloniales, le militarisme et les industries extractives, abritant l'une des plus grandes mines d'or au monde et l'un des plus grands projets de déforestation. « Pour la Papouasie occidentale, la signification de la décision de la Cour est claire : nous pourrons par exemple demander des comptes à ces entreprises et à l'armée qui les soutient. » Il ajoute qu'ils utiliseront l'avis de la Cour pour lutter pour « l'existence des tribus qui vivent là depuis des milliers d'années, en équilibre avec cette forêt, ces rivières et ces montagnes ». Les juges de la CIJ « m'ont montré que nous ne sommes pas impuissants, que lorsque l'on s'organise, le changement est possible », ajoute Raki Ap. « Il s'agit maintenant de savoir comment utiliser cet outil pour obtenir davantage d'actions », conclut Sahil Chandra, responsable des relations avec les médias pour l'organisation des Étudiants des îles du Pacifique en lutte contre le changement climatique.
La Cour reconnaît toutefois que le changement climatique est un problème que le droit ne peut résoudre à lui seul. « Une solution complète à ce problème considérable et infligé par nous-mêmes nécessite une mobilisation dans tous les domaines de la connaissance humaine », déclare le juge Iwasawa en conclusion. Une solution durable « nécessite la volonté et la sagesse humaines – aux niveaux individuel, social et politique – pour changer nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuel afin d'assurer un avenir pour nous-mêmes et pour ceux qui viendront après nous ».