06.04.14 - RWANDA/GÉNOCIDE - VINGT ANS APRES LE GÉNOCIDE, DE NOMBREUX ORPHELINS PEINENT ENCORE A RECOUVRER LES BIENS FAMILIAUX

Kigali, 06 avril 2014 (FH) - « J’ai eu des difficultés à élever mes neveux et ma nièce depuis la mort de leurs parents car leurs biens ont été vendus par une personne de la famille lointaine. Leurs terres sont occupées par six familles. Je n’ai pu récupérer qu’une parcelle en 2006 ». Eugène Ndayisaba, la cinquantaine, a dû travailler dur après le génocide, pour nourrir et habiller ses propres enfants ainsi que ceux de sa sœur tuée pendant le génocide des Tutsis d’avril à juillet 1994.

3 min 5Temps de lecture approximatif

Grâce à l’aide du gouvernement, à travers le Fonds d’assistance aux rescapés du génocide les plus démunis (FARG), ses deux neveux et sa nièce ont pu terminer l’école secondaire. « Mais, comparée aux biens que possédaient leurs parents, cette assistance ne représente rien », souligne ce maçon du district de Kicukiro, dans la ville de Kigali. Depuis des années, il lutte pour aider ces jeunes à recouvrer le patrimoine familial. « J’ai déposé une demande au district et j’ai pu être reçu par  la commission spéciale mise en place par le Premier ministre. Et ceux qui occupent ces terres ont promis de nous les rendre. Mais l’attente se fait longue », raconte Ndayisaba, priant la commission d’appuyer sur l’accélérateur.Dans le même district, les choses sont plus dures pour Odetta, une rescapée qui a dû longtemps porter à bout de bras trois nièces nées de sa sœur aînée tuée pendant le génocide. « J’ai fait tout ce que je pouvais, avec l’assistance des autorités. Mais je n’arrivais pas à couvrir leurs besoins comme le faisaient leurs parents. Deux d’entre elles ont même abandonné m’école même si le FARG payait les frais de scolarité », relate Odetta aujourd’hui mariée à un routier. « Et lorsque nous arrivons en cette période de mémoire, leur traumatisme atteint son point culminant  car elles se disent que si leurs parents étaient encore en vie, leur situation serait bien meilleure.  Nous sollicitons l’appui des autorités pour qu’elles puissent récupérer leurs biens et avoirs »

« Un obstacle énorme à la réconciliation »

Jean Pierre Dusingizemungu, président d’Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis, salue la volonté politique et les efforts du gouvernement pour aider orphelins et veufs à être rétablis dans leurs droits. Pour lui, même si certains biens  ont été restitués, il reste beaucoup à faire. « Avec la mise sur pied d’une commission ad hoc, l’objectif était d’en finir une fois pour toutes avec ce problème avant la 20ème commémoration. Aujourd’hui, il n’en est rien. C’est fort regrettable. Mais l’espoir est là, puisque  volonté politique  est là».Si, dans certains cas, les biens ont été accaparés par des membres de famille, il y aussi, selon Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d’Ibuka, des auteurs du génocide qui ont réussi à vendre des biens de personnes tuées, en pensant que personne n’allait les revendiquer. « Ceci constitue un obstacle énorme à la réconciliation. Comment pouvez-vous vous réconcilier avec celui qui vit de la sueur du front de votre père alors que vous, vous êtes dans la misère ? », interroge-t-il ?La grande difficulté, selon lui, c’est que même lorsque le rescapé arrive à rassembler toutes les preuves nécessaires, il faut qu’il aille devant la justice, pour de longues procédures. « Il faudrait une procédure simplifiée », suggère-t-il.A part les biens meubles et les lopins de terre, il y a aussi des comptes bancaires.  « L’argent de plusieurs personnes tuées pendant le génocide s’est volatilisé avec elles et leurs ayant-droit n’en ont aucune trace. Nous venons de découvrir une quarantaine  de cas et nous faisons tout pour que cet argent soit rendu aux ayant-droit», indique Naphtal Ahishakiye.Reste maintenant la question des biens pillés ou détruits pendant le génocide. Les personnes condamnées pour ces infractions sont insolvables ou ne veulent simplement pas réparer les dégâts causés.  Mais pour le président rwandais, Paul Kagame, la vraie réparation pour les victimes ne peut se réaliser que dans le cadre d’une dynamique nationale impliquant chacun, coupable ou non.  «En préparant la vingtième commémoration du génocide, nous travaillons main dans la main, dans la solidarité, pour reconstruire, au cours des travaux communautaires (umuganda, en langue rwandaise), ce que des gens ont détruit au cours des moments sombres de notre histoire », a-t-il affirmé fin mars alors qu’il participait, de ses propres mains, à la construction d’une maison dans un village de veuves à Kigali.SRE-ER