08.04.14 - TPIR/RWANDA - LA CHAMBRE D’APPEL DU TPIR ACCUSÉE DE REMUER LE COUTEAU DANS LA PLAIE

Arusha, 08 avril 2014 (FH) – «Décisions scandaleuses, acquittements alarmants, fautes professionnelles,…. ». C’est dans ce registre que puise Kigali pour juger l’action de la chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) accusée, 20 ans après le génocide des Tutsis, de « remuer le couteau dans la plaie ».

3 min 58Temps de lecture approximatif

Les critiques rwandaises visent, en particulier, l’actuel président de la chambre, le juge américain Theodor Meron ouvertement accusé d’avoir un agenda caché. Dans une pétition adressée le mois dernier au président du Conseil de sécurité, 15 organisations regroupées au sein de la Plateforme de la société civile rwandaise dénoncent « des décisions scandaleuses » de la chambre d’appel du TPIR.Les signataires s’insurgent notamment contre l’acquittement, le 11 février dernier, de deux officiers supérieurs des anciennes Forces armées rwandaises (FAR) qui avaient été condamnés en première instance.L'ex-chef d'état-major de la gendarmerie rwandaise, le général Augustin Ndindiliyimana avait été condamné en mai 2011 à 11 ans de prison - peine couvrant sa détention préventive - pour génocide et crimes contre l'humanité. Pour sa part, le major François-Xavier Nzuwonemeye, qui commandait  une unité d'élite de l'armée, s’était vu infliger 20 ans de réclusion.L’acquittement en appel de ces officiers est intervenu deux ans après celui de deux anciens ministres qui avaient également été condamnés au premier degré. « Nous demandons qu’une enquête sérieuse soit conduite sur les fautes professionnelles et motivations réelles du juge Theodor Meron », écrivent les 15 organisations, qui affirment que « le travail précédemment fait par le TPIR, si peu louable soit-il, risque d’être anéanti par l’obsession d’une juge qui poursuivrait des objectifs non avoués ».Les pétitionnaires  reprochent par ailleurs au TPIR son échec à écrire la trame du génocide. « Faut-il rappeler que jusqu’à présent, le TPIR n’a pas encore déterminé qui, parmi ses accusés, sont responsables de la planification du génocide des Tutsis ? Un génocide peut-il avoir lieu sans être planifié ? ».

Frustration et désolation

L’acquittement du général Ndindiliyimana et du major Nzuwonemeye avait également indigné le porte-parole du paquet général à Kigali, Alain Mukuralinda. Selon le quotidien rwandais privé le New Times, le magistrat avait clairement dit qu’il soupçonnait le juge Meron d’être responsable de « ces acquittements alarmants ».Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide, avait également crié son écoeurement. « Cela en rajoute à la frustration et à la désolation chez les rescapés. De tels acquittements, surtout à la veille de la 20eme commémoration du génocide, c’est comme remuer le couteau dans la plaie des victimes», avait commenté Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d’organisation.La déception d’Ibuka est d’autant plus profonde que l’association avait même dénoncé le jugement de première instance, expliquant que les peines étaient trop clémentes. Ibuka et l’ONG britannique Survivors Fund (SURF) avaient ainsi demandé à être entendues, au niveau de la procédure d’appel, pour faire valoir leurs vues concernant ces peines « inadéquates, ravalant la dignité des victimes et des survivants ».La demande avait été rejetée par la chambre d’appel. Dans cette requête rejetée, Ibuka et SURF attiraient également l’attention sur un autre procès d’officiers, dans lequel les juges d’appel avaient « drastiquement réduit les peines imposées par la chambre de première instance ». Au terme de ce procès dit « Militaires I », l’ex-directeur de cabinet au ministère de la Défense, le colonel Théoneste Bagosora qui avait été condamné à la perpétuité, avait vu sa peine réduite en appel à 35 ans de réclusion alors qu’il avait été présenté par l’accusation comme « le cerveau » du génocide. Le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva à qui les premiers juges avaient également  infligé la prison à vie, s’en était tiré avec 15 ans d’emprisonnement, soit un peu moins que la durée de sa détention préventive. Il avait, en conséquence, été aussitôt remis en liberté.

« Inefficacité et incompétence »

Les critiques viennent également du Parlement. Dans un rapport publié début mars, le Sénat rwandais juge le TPIR globalement « inefficace » et « incompétent », même s’il reconnaît « une contribution tangible du TPIR à la lutte contre l'impunité » et « un rôle pionnier dans la mise en place de la justice pénale internationale ».« Le TPIR a acquis une triste réputation d'inefficacité et d'incompétence et a connu de sérieux problèmes par rapport aux normes internationales prônées par l'ONU ». Le Sénat dénonce  « des erreurs de droit liées aux défaillances des enquêtes », « la lenteur des procès et l’incapacité de certains juges à prendre en compte la planification et le déroulement du génocide ».Le rapport fustige des  « dysfonctionnements (qui) ont conduit aux acquittements de personnes lourdement impliquées dans la préparation et dans l'exécution du génocide des Tutsis ».Au TPIR, on préfère commenter les critiques rwandaises en privé.  « Notre mission, c’est de dire le droit, pas autre chose. Le juge Meron et tous les autres juges du Tribunal sont des magistrats professionnels, expérimentés et indépendants qui ne reçoivent d’injonction d’aucun gouvernement, d’aucune institution, ni même du Conseil de sécurité », a indiqué à l’Agence Hirondelle, un membre du greffe qui a préféré garder l’anonymat.L’histoire des relations entre le TPIR et le Rwanda a été émaillée de moments difficiles. La plus grande crise s’était produite en novembre 2009 lorsque le gouvernement rwandais avait suspendu sa coopération, en guise de protestation contre un arrêt de la chambre d’appel remettant en liberté un ancien responsable au ministère des Affaires étrangères, Jean-Bosco Barayagwiza. L’activité du TPIR avait été paralysée pendant plusieurs mois, faute de témoins venant du Rwanda. Carla Del Ponte, alors procureure du Tribunal, avait  fait valoir des faits nouveaux et la remise en liberté de Jean-Bosco Barayagwiza avait été annulée en mars 2000.ER