"Au Yémen, pas de héros, que des criminels et des victimes" (ONG)

2 min 38Temps de lecture approximatif

"Au Yémen, il n'y a pas de héros, que des criminels et des victimes. Et il y a urgence": militante des droits humains, Radhia Al-Mutawakel sillonne les capitales pour alerter la communauté internationale sur le chaos dans son pays, au bord de la famine, en proie à la guerre et au choléra.

La cofondatrice de Mwatana, une ONG indépendante qui répertorie les violations des droits au Yémen, a un but: convaincre les Occidentaux de soutenir la création d'une commission d'enquête internationale indépendante lors de la prochaine session du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, en septembre, à Genève.

"En 2015, les Pays-Bas, avec le soutien de l'Allemagne, avaient demandé une telle commission mais personne d'autre ne l'avait soutenue", rappelle-t-elle, de passage en France cette semaine.

"Et maintenant, nous avons le choléra, la famine, les frappes contre des zones résidentielles, des marchés, des hôpitaux, des ponts, des écoles et des usines. L'espace pour la société civile se rétrécit, l'espace de travail des ONG se rétrécit", relève avec tristesse la jeune femme, au visage encadré d'un foulard.

Selon Mwatana, les deux parties en conflit "ont utilisé la torture comme méthode systématique pour asseoir leur domination des zones qu'elles contrôlent", ont enrôlé des enfants soldats, se sont rendus coupables de détentions arbitraires, de disparitions forcées, d'exécutions, bloquent l'aide humanitaire... "Des deux côtés ce ne sont que des milices", soupire la présidente de l'ONG, qui avait tenu le même réquisitoire fin mai, face au conseil de sécurité de l'ONU.

Depuis plus de deux ans, une guerre oppose le gouvernement soutenu par une coalition militaire arabe menée par l'Arabie saoudite, aux rebelles chiites Houthis, alliés à des unités de l'armée restées fidèles à l'ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh. Les Houthis, accusés de liens avec l'Iran, tiennent de vastes territoires, dont la capitale Sanaa, les loyalistes contrôlant le Sud.

Ce chaos profite à des groupes jihadistes comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) et l'organisation Etat islamique (EI).

 

- Le choléra, conséquence du conflit -

 

Aujourd'hui, près de 80% des enfants ont besoin d'une aide humanitaire immédiate et deux millions d'entre eux souffrent de "malnutrition aigüe", a mis en garde l'ONU mercredi.

Le choléra, réapparu en avril dans ce pays pauvre de plus de 27 millions d'habitants, a fait plus de 1.800 morts, pour 400.000 cas suspects.

"Or le choléra, c'est un désastre dû à l'homme: les hôpitaux détruits, l'absence d'électricité, les salaires impayés dans la fonction publique depuis dix mois, sauf exceptionnellement, ce qui fait qu'il n'y a plus de ramassage d'ordures...", énumère Radhia Al-Mutawakel, 41 ans, engagée depuis 2004 dans l'action militante.

Si rien n'est fait, le pays peut encore s'enfoncer davantage et "d'ici à 2018, ce sont 30 millions de Yéménites qui auront besoin d'une aide humanitaire", prévient-elle, en mettant en garde contre "la montée de groupes religieux extrémistes, salafistes, jihadistes" dans certaines zones, en particulier le sud du pays.

"S'ils gagnent en puissance, ceux-là n'iront jamais à la table des négociations", souligne-t-elle.

Car, pour elle, c'est bien ce à quoi aspire l'immense majorité des Yéménites: la reprise et l'aboutissement de négociations de paix. 

"La création d'une commission d'enquête serait un premier pas" en ce sens. "Pour rétablir la confiance, il faudrait aussi rouvrir l'aéroport de Sanaa, libérer les détenus - prisonniers politiques, journalistes, activistes....- et rétablir les salaires", plaide-t-elle.

A Paris, elle a été reçue à l'Élysée jeudi et a rencontré des parlementaires. "La France n'a dit ni oui, ni non, mais nous avons l'impression que le Yémen n'est pas une priorité, ce qui est triste car son soutien est essentiel. Dans le champ des droits de l'homme, les gens attendent beaucoup de la France", affirme la jeune femme, lors de l'entretien avec l'AFP dans les locaux de Human Rights Watch, avant de poursuivre son périple au Royaume-Uni et en Jordanie notamment, avant Genève.