13.06.08 - TPIR/TRANSFERTS - LE JUGE UNIQUE RWANDAIS NE FAIT PAS PEUR AUX CHAMBRES DU TPIR (ECLAIRAG

Arusha, 13 juin 2008 (FH) - Les deux premières décisions de refus du 28 mai et 6 juin, du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), de transférer Yussuf Munyakazi et Gaspard Kanyarukiga vers le Rwanda ne reprennent pas tous les arguments soulevés lors de la séance publique du 24 mai à ce sujet, notamment à propos du juge unique. La première a déjà fait l’objet d’un appel et la seconde va l’être également.

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Pour les trois autres requêtes, les chambres, qui sont les mêmes pour deux d'entre elles, n’ont pas encore rendu leurs décisions.

Comme la chambre III, la chambre I a passé en revue le cadre légal dans lequel s’inscrit le transfert, l’absence de condamnation à la peine de mort, les mesures prévues pour garantir un procès équitable ainsi que l’organisation du contrôle des procédures par une institution extérieure, mais elle refuse le transfert au motif qu’elle n’est pas certaine que Gaspard Kanyarukiga bénéficiera d’un procès équitable.

De même, elle prédit que l’accusé rencontrera des difficultés à obtenir des témoins résidents au Rwanda parce qu’ils ont peur, et à faire comparaître des témoins qui résideraient à l’étranger parce que la protection organisée ne sera pas suffisante d’après elle. Enfin, elle craint que l’accusé, s’il est condamné, doive purger sa peine en enfermement solitaire.

Mais elle ne formule aucune réserve sur le fait que la procédure sera menée par un juge unique. Le 28 mai la Chambre III, avait dit que l’indépendance de la justice ne pouvait pas être ainsi garantie. La Chambre I observe pour sa part que les instruments légaux internationaux ne mentionnent pas un nombre de juges minimum pour garantir l’indépendance de la juridiction.

D’après la Chambre III, la disposition retenue dans la loi du 16 mars 2007 dite des « transferts » qui prévoit que les transférés du TPIR ainsi que les accusés extradés par un pays étranger seront jugés devant la Haute Cour de la République par un juge unique, est contraire aux standards internationaux du procès équitable.

Ces standards, et la Chambre cite à l’appui la Convention européenne des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, imposent que les procès soient menés de manière équitable par une juridiction indépendante et impartiale.

L’indépendance d’une juridiction, à l’égard du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et des parties au procès, explique la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’arrêt Findlay contre le Royaume-Uni de 1997, se mesure notamment aux garanties prises pour la préserver des pressions extérieures.

Celles prévues par la loi rwandaise sur les transferts ne suffisent pas d’après la Chambre III.

Le Tribunal international considère en effet « qu’il est trop d’attendre d’un individu d’être capable de résister aux pressions d’un Etat qui par ses pratiques antérieures a montré des interférences avec des décisions judiciaires».

Pour illustrer ces interférences, elle revient sur l’interruption de la collaboration du gouvernement rwandais avec le TPIR au moment où ce dernier avait prononcé l’acquittement d’Emmanuel Bagambiki en 2006 et déplore son attitude en réaction aux mandats d’arrêts lancés en 2007 contre des membres du FPR par les juges Bruguière (français) et Fernando Andreu (espagnol).

Ces deux faits démontrent selon les juges internationaux, l’absence de distinction par le gouvernement rwandais entre le politique et le judiciaire laissant craindre que le Rwanda ne respecte pas l’indépendance des juridictions.

Le Procureur rappelle, lui, que le Rwanda n’est pas le seul pays à ne faire siéger qu’un seul juge en matière criminelle. Dans le même sens, Martin Ngoga, Procureur général du Rwanda, explique que la loi sur les transferts a été adoptée après une étude comparative des législations votées en matière d’affaires passibles de la peine capitale au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, à la République d’Afrique du sud, au Botswana et en Zambie. Elles prévoient toutes un juge unique.

La Chambre de première instance III dans l’affaire Munyakazi, déplore enfin que la procédure en appel devant la Cour suprême ne permette pas de pallier à ce risque d’influence sur le premier juge. Cette Cour, composée de trois juges, n’est compétente que pour remédier à des erreurs de faits pouvant entraîner un déni de justice et ne permet le renvoi en première instance que dans des circonstances plus que limitées.

Le point sur lequel les deux Chambres se rejoignent concerne la protection des témoins. Les juges internationaux constatent et ne contestent pas la réglementation existante sur ce point mais déplorent que la réalité n’y soit pas fidèle.

Tandis que Martin Ngoga, le procureur général rwandais et Gatera Gashabana, pour le Barreau de Kigali, sont cités dans la décision du 28 mai, pour leurs explications sur les nouveaux mécanismes interinstitutionnels visant à faciliter la comparution des témoins (article 14 de la loi sur les transferts), l’Association internationale des avocats de la défense dénonce que « beaucoup de témoins rwandais croient que les autorités rwandaises violent les mesures de protection».

L’Association parle aussi du risque, pour eux, « d’être exclus de la communauté, maltraités, arrêtés, détenus, battus ou même torturés».

La Chambre III, considérant le nombre de meurtres de témoins (huit en 2007 selon le rapport de Human Rights Watch, une ONG présente dans les deux dossiers au titre d’ami de la Cour) et le désavantage de la Défense du à la résidence à l’étranger de la majorité de ses témoins, ne trouve pas que le droit de la Défense de pouvoir présenter ses témoins dans les mêmes conditions que l’Accusation soit garanti.

Ce raisonnement ne laisse rien présager de bon pour le sort des témoins du Tribunal dont le Rwanda devra assurer la protection à la fin du mandat du TPIR.

Mais la République du Rwanda ne doit pas désespérer de recevoir un jour les transférés du Tribunal international encouragent les juges de première instance dans leur conclusion. Si elle continue de développer ainsi son système judiciaire, « le Tribunal pourra avec un peu de chance transférer de futurs cas aux tribunaux rwandais». Déjà la chambre d’appel a été saisi cette semaine d’un premier recours, un second est prévu cette semaine.

En attendant, le Royaume-Uni a autorisé la semaine dernière l’extradition vers le Rwanda de quatre hommes recherchés par Kigali. Le juge Anthony Evans qui l’a autorisée a considéré que les garanties, notamment du procès équitable, étaient mises en place et que le fait que « la loi n’a pas encore été testée » ne constitue pas « un argument pour ne pas extrader ».

AV/PB