Le procès du Rwandais Fabien Neretse, accusé de génocide, s’ouvre en Belgique

Le parquet fédéral belge qualifie Fabien Neretse de planificateur du génocide au Rwanda, en 1994. Ancienne personnalité importante originaire du Nord-Ouest du Rwanda, il est soupçonné d'avoir aidé à un massacre à Kigali et d’avoir créé, entretenu et financé une milice d'Interahamwe, responsable de nombreux massacres de Tutsis et d’opposants hutus. Agé de 71 ans et réfugié en France, Neretse conteste avoir été la tête pensante de ces meurtres.

Le procès du Rwandais Fabien Neretse, accusé de génocide, s’ouvre en Belgique©Thierry ROGE / BELGA / AFP
Fabien Neretsé devant le palais de justice de Bruxelles, où il est jugé pour génocide.
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D'une appartenance au parti politique MRND, le parti du président Habyarimana en 1994 au Rwanda, jusqu'à un rôle actif dans la création et l'entretien d'une milice armée Interahamwe, le portrait de Fabien Neretse dressé par le procureur fédéral belge Arnaud d'Oultremont dans l’acte d’accusation, basé sur de nombreux témoignages, est celui d'un véritable organisateur du génocide des Tutsis du Rwanda.

Pourtant, d'autres versions glanées par les enquêteurs belges, qui ont effectué de nombreuses commissions rogatoires au Rwanda, s'imbriquent mal dans ce récit construit. Les avocats de l'accusé, Me Jean Flamme et Me Jean-Pierre Jacques, s'y référeront pour tenter de prouver l'innocence que leur client clame depuis le début.

Une carrière de haut fonctionnaire

L'épisode du génocide qui passe sous la loupe de la cour d'assises de Bruxelles dès ce jeudi 7 novembre 2019, se déroule à Mataba, la ville natale de Fabien Neretse, située dans l'ancienne préfecture de Ruhengeri, au Nord-Ouest du Rwanda. Bien qu'installé à Kigali dans les années 70, Fabien Neretse a gardé des attaches à Mataba et y possède toujours une maison. En 1989, il y crée notamment une école, sur la parcelle voisine de son habitation, grâce aux importants revenus dont il bénéficie.

Ingénieur agronome, diplômé à Stuttgart en Allemagne, Fabien Neretse a en effet occupé des postes élevés dans la fonction publique depuis la fin des années 1970. D'abord chercheur à l'I.S.A.R (Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda), il devient co-directeur du projet BGM (Bugesera-Gisaka-Migongo), destiné notamment à enseigner des méthodes d'agriculture à la population rurale. Puis il est coordinateur du projet GBK (Gisenyi-Butare-Kigali), financé par la Banque Mondiale et le gouvernement rwandais, destiné à protéger des forêts, reboiser certaines zones et développer de nouvelles techniques d'agriculture et d'élevage. Mais surtout, entre 1989 et 1992, Fabien Neretse exerce la fonction de directeur de l'OCIR-café, l'office qui réglementait la production et la commercialisation de café, principal produit d'exportation du Rwanda.

Des miliciens à l’école de Mataba ?

L’école qu’il a fondée à Mataba, appelée l'école ACEDI-Mataba, constitue le point de départ des accusations qui sont portées à son encontre. Dès février 1993, alors que la tension monte dans le pays, des élèves hutus extrémistes y attaquent des élèves tutsis. Neretse décide alors de recruter une dizaine de jeunes hommes pour renforcer l'équipe des gardiens de l'école. Parmi ces nouvelles recrues figurent d'anciens militaires et d'anciens gendarmes qui initient les autres au maniement des armes.

Sur base de plusieurs témoignages, le procureur affirme que ces jeunes ont ensuite formé, dès avril 1994, une milice Interahamwe dont le camp de base était l'école. Cette milice a perpétré de nombreux massacres de Tutsis et d’opposants Hutus dans le secteur de Mataba, dont le meurtre d'Anastase Nzamwita, en mai 1994, et celui de Joseph Mpendwanzi en juin 1994, selon le parquet.

D'autres témoins donnent une version très différente. Un homme d'origine tutsie indique, par exemple, que les gardiens de l'école les ont protégés, sa mère et lui, et que Neretse a personnellement veillé à leur sécurité. Un autre explique que les Interahamwe de Mataba n'étaient pas basés à l'école et que, par ailleurs, le rôle des jeunes gardiens de cet établissement scolaire était bien de protéger les élèves tutsis, rien d'autre. Un témoin va jusqu’à affirmer qu'il n'y avait aucune milice Interahamwe à Mataba...

Fabien Neretse et le MRND régional

Le procureur soutient que Fabien Neretse occupait une position « assez importante » au sein du MRND, parti dont les hauts dignitaires sont accusés d’avoir créé un climat propice au génocide.

La version de l'accusé est plus nuancée. Au cours de sa première audition par la police, Neretse confirme qu'il était membre du MRND, auquel il a adhéré à l'époque du parti unique. Il assure qu'il n'y était que peu impliqué, raison pour laquelle, selon lui, il a perdu son poste de directeur de l'OCIR-café en 1992.

Le procureur relève néanmoins que l'accusé était toujours membre, en 1994, du Comité préfectoral de Ruhengeri, dont Mataba faisait partie. Fort de plusieurs témoignages recueillis sur place, le procureur indique que Neretse a participé à des réunions et des meetings politiques – à Kigali, Ruhengeri et Mataba – au cours desquels l'élimination des Tutsis et des Hutus « modérés » était prônée. Six personnes déclarent que Fabien Neretse a participé – mais sans prendre la parole – à de telles réunions à Mataba. Trois témoins, au contraire, dont le bourgmestre de cette localité, soutiennent que ces réunions ont bien eu lieu mais qu'aucun appel au massacre n'y a été lancé. Neretse, lui, explique qu'il n'occupait qu'une fonction de conseiller technique auprès du comité préfectoral, pour apporter des solutions à différents problèmes locaux.

Meurtre de trois familles voisines à Kigali

L’acte d’accusation ne se réduit pas aux massacres commis à Mataba. Neretse est accusé d'avoir dénoncé plusieurs de ses voisins du quartier de Nyamirambo, à Kigali, où il vivait jusqu'à mi-avril 1994 avec son épouse et leurs cinq enfants.

Le 9 avril 1994, deux jours après le début du génocide, les familles Bucyana, Sissi et Gakwaya, d'origine tutsie, tentent de quitter leurs domiciles de Nyamirambo pour rejoindre un cantonnement de la Minuar (Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda). Elles se regroupent sur la parcelle de la famille Sissi. Un camion de militaires arrive alors, rapidement suivi d'un second, chargé de miliciens Interahamwe.

Les membres des familles sont conduits à l'arrière de la maison et sont violemment frappés. Les militaires tirent ensuite froidement sur eux. Dix personnes trouvent la mort, dont la Belge Claire Beckers, son mari Isaïe Bucyana et leur fille Katia. Un onzième individu est abattu en essayant de passer un barrage militaire, quelques centaines de mètres plus loin. Deux adolescents parviendront à ressortir indemnes de la fusillade. Ils seront entendus comme témoins au cours du procès.

Le procureur, ainsi que plusieurs personnes constituées partie civile, dont des membres de la famille Bucyana-Beckers, soutiennent que c'est Fabien Neretse qui a donné l'alerte aux militaires et aux Interahamwe. Certains témoins impliquent directement ou indirectement l'accusé ; d'autres ne font état que de leurs pressentiments.

Selon l'un d'eux, l'employé de maison de Fabien Neretse, nommé Emmanuel, serait arrivé sur place avec les Interahamwe. Un autre affirme avoir vu l'accusé observer les préparatifs de départ des victimes et désigner aux militaires la maison des Sissi. Un autre encore raconte que Fabien Neretse était craint dans le quartier et qu'il dirigeait des Interahamwe. Un habitant du quartier estime que seuls deux individus ont pu avertir les militaires : Fabien Neretse, voisin direct des Sissi, ou le major Evariste Nyampame, dont la parcelle donnait sur la façade arrière de la maison des Sissi.

Fabien Neretse nie avoir dénoncé ses voisins, affirmant que les Sissi étaient des amis. Il précise également n'avoir jamais eu à son service un employé prénommé Emmanuel et que sa famille elle-même a été la cible d'attaques à Kigali, fin mars 1994.

UN MOIS ET DEMI DE DÉBATS ET 126 TÉMOINS

Dans le procès de Fabien Neretse devant la cour d'assises de Bruxelles qui débute ce 7 novembre, cent-vingt-six témoins sont cités à comparaître et vingt-cinq audiences sont fixées jusqu'au 16 décembre, date où le jury devrait entrer en délibération.

Après la lecture de l'acte d'accusation aura lieu, le 8 novembre, l’interrogatoire de l'accusé. Puis, le 12 et 13 novembre, la cour visionnera deux documentaires sur le génocide au Rwanda et entendra divers auteurs et professeurs d'université spécialisés sur le sujet. Le 14 novembre, elle entendra les juges d'instruction et les enquêteurs puis, le lendemain, les personnes constituées partie civile, dont la sœur de Claire Beckers, le fils de cette dernière et d'Isaïe Bucyana, ainsi que la fille et le fils de Joseph Mpendwanzi, un opposant hutu tué le 19 juin 1994 dans la préfecture de Gitarama. La cour entendra aussi les deux victimes rescapées de la fusillade du 9 avril 1994 qui a décimé les familles Bucyana, Sissi et Gakwaya à Kigali.

Les 18 et 19 novembre, ce sont des voisins de ces familles qui sont appelés à témoigner. Entre le 29 novembre et le 3 décembre, les audiences seront consacrées aux auditions de personnes ayant connu ou côtoyé Fabien Neretse à Mataba, entre mi-avril et juillet 1994. Sont notamment cités l'ancien préfet de Ruhengeri et l'ancien maire de Mutaba, puis deux hommes qui ont été jugés coupables au Rwanda du meurtre d'Anastase Nzamwita.

Le procès de Fabien Neretse est le cinquième procès relatif au génocide rwandais jugé en Belgique.

Le 8 juin 2001, la cour d'assises de Bruxelles a condamné les « quatre de Butare ». Alphonse Higaniro, reconnu coupable d'avoir planifié des massacres via ses écrits politiques et ses lettres, a écopé de 20 ans de prison. Deux religieuses, sœur Gertrude et sœur Maria Kisito, reconnues coupables d'avoir tué un nombre indéterminé de personnes au couvent de Sovu, ont écopé respectivement de 15 et 12 ans de prison. Un professeur d'université, Vincent Ntezimana, reconnu responsable, entre autres, du meurtre d'un collègue et d'un voisin, a été condamné à 12 ans de prison.

Le 29 juin 2005, la même cour a condamné deux demi-frères, Etienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa, à 12 et 10 ans de prison respectivement, pour leur participation aux massacres commis dans la préfecture de Kibungo (Sud-Est du Rwanda).

Le 5 juillet 2007, la justice belge a condamné l'ex-major rwandais Bernard Ntuyahaga à 20 ans de prison pour sa responsabilité dans la mort, entre autres, de dix casques bleus belges de la Minuar (Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda).

Le 1er décembre 2009, une même cour a condamné Ephrem Nkezabera à 30 ans de réclusion. Haut responsable des Interahamwe, il avait notamment financé la Radio-Télévision Libre des Mille Collines, qui divulguait des messages de haine à l'égard des Tutsis. Sa condamnation a été annulée et il est mort avant d’être rejugé.

Un autre procès relatif au génocide au Rwanda est prévu devant la cour d'assises de Bruxelles. Il s'agit de celui d'Ernest Gakwaya et d'Emmanuel Nkunduwimye, suspectés d'avoir été membres des milices Interahamwe.