27.11.2003 - TPIR/MILITAIRES I - L’EPOUSE DE L’EX-PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE DEPOSE SUR

Arusha, le 27 novembre 2003 (FH) – L’épouse de l’ancien président de la Cour constitutionnelle du Rwanda, Joseph Kavaruganda, assassiné le 7 avril 1994, a décrit jeudi devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) les circonstances de l’enlèvement de son mari par des éléments de la Garde Présidentielle (GP). Citée comme 32è témoin du parquet dans le procès de quatre hauts officiers des ex-Forces armées rwandaises (ex-FAR) en cours devant le TPIR, Mme Kavaruganda a renoncé aux mesures de protection prises en sa faveur par le tribunal et a déposé à visage découvert.

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La veuve vit actuellement en Belgique avec ses cinq enfants.

Elle a rapporté que dans les heures qui ont suivi l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana dans la nuit du 6 avril 1994, des militaires avaient
commencé à encercler le quartier résidentiel de Kimihurura (Kigali) et à évacuer les ministres du MRND (l’ex-parti présidentiel).

Parmi les dignitaires du parti au pouvoir évacués cette nuit-là, Mme Kavaruganda a cité notamment le ministre de la santé, Casimir Bizimungu, et
le ministre des transports et communications, André Ntagerura. Tous deux sont en procès devant le TPIR.

« Vers 5 heures du matin, nous avons entendu des rafales vers notre résidence, comme si la grêle tombait sur notre maison », a relaté le témoin.
Leur résidence était gardée par des soldats de la MINUAR (Mission des Nations Unies pour le Rwanda), a-t-elle expliqué.

Dans la foulée, les casques bleus ghanéens auraient informé Kavaruganda que des militaires rwandais étaient venus le chercher pour l’empêcher de faire
prêter serment aux ministres et aux députés.

Les militaires auraient alors forcé leur entrée dans la maison en défonçant les portes. Ils auraient, vers 6 heures du matin, pris la famille en otage
après avoir coupé les lignes téléphoniques, a poursuivi l’épouse du défunt.

Le magistrat aurait reconnu parmi les hommes en uniformes un élément de la GP, le Capitaine Kabera, officier d’ordonnance du président Habyarimana,
accompagné des para-commandos. « Il [Kabera] est à la tête de ceux qui sont venus me chercher », aurait chuchoté Kavaruganda à son épouse, tentant en
vain d’obtenir l’intervention de la MINUAR.

« Pourquoi nous avez-vous obligé à forcer une résidence officielle ? Vous nous avez rendu la tâche difficile », aurait lancé l’officier. A un moment, Mme Kavaruganda a fondu en larmes en reconstituant le film des événements.

Dans l'entre-temps, a-t-elle ajouté, les ministres Faustin Rucogoza (information), et Landouald Ndasingwa (Affaires Sociales), deux figures de l
’opposition avaient déjà été arrêtées. Ils seront également assassinés le 7 avril.

Arrestation de Kavaruganda et évacuation de sa famille
Le Capitaine Kabera aurait déclaré qu’il avait été envoyé par les autorités avec pour mission d’amener Kavaruganda « là où on avait mis d’autres
personnalités ».

D’après le témoignage de son épouse, Kavaruganda a dans un premier temps été enlevé avec sa famille à bord d’une camionnette officielle. Le Capitaine
Kabera aurait par la suite ordonné que le responsable judiciaire soit arrêté seul et que les autres membres de sa famille regagnent leur résidence.

« Depuis ce jour-là, nous ne l’avons plus revu, les radios étrangères et les journaux ont parlé de sa mort le lendemain. Je ne sais pas ce qu’ils ont
fait de son cadavre », s’est souvenue Mme Kavaruganda, très émue.

Le président de la Cour constitutionnelle devait normalement présider à l’ investiture du nouveau président pour combler le vide institutionnel laissé
par la mort du président Habyarimana. Le gouvernement intérimaire a prêté serment le 9 avril, deux jours après l’assassinat de Kavaruganda.

Après avoir subi les menaces de mort des militaires à sa résidence et assisté impuissante aux pillages des ces derniers, la veuve et ses enfants
ont été conduits le même jour à l’Ambassade du Canada, avec le concours du ministre Bizimungu.

Ils seront ensuite évacués sur Nairobi par la MINUAR le 15 avril, avant de s ’envoler pour Bruxelles quatre jours plus tard, a conclu le témoin.

Le parquet maintient que dès le déclenchement du génocide dans la nuit du 6 avril 1994, Bagosora a pris « de facto » le contrôle des affaires politiques
et militaires du Rwanda. Il répond donc, à ce titre, des actes qu’auraient commis les militaires subalternes.

Considéré par le parquet comme le « cerveau du génocide », Bagosora est co-accusé avec trois autres officiers supérieurs des ex-Forces armées
rwandaises (ex-FAR).

Il s’agit de l'ancien responsable des opérations militaires à l'Etat major de l'armée, le général de brigade Gratien Kabiligi, l'ancien commandant de
la région militaire de Gisenyi (ouest du Rwanda), le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, ainsi que l'ancien commandant du bataillon
para-commando de Kanombe (Kigali), le major Aloys Ntabakuze.

Tous plaident non coupable.

Ce procès dit « Militaires I » se déroule devant la première chambre de première instance du TPIR, présidée par le juge norvégien Erik Mose, assisté des juges russe Serguei Egorov et fidjien Jai Ram Reddy.

La déposition de Mme Kavaruganda se poursuit vendredi.
GA/CE/FH (ML’1127A)