10.03.2003 - TPIR/CYANGUGU - l'EX-PREFET BAGAMBIKI ETAIT DESARME, SELON UN TEMOIN DE LA DEFENSE

Arusha, le 10 mars 2003 (FH) - l'ex-préfet Emmanuel Bagambiki était "désarmé" pendant le génocide anti-tutsi de 1994 alors que "le pouvoir était dans la rue", a affirmé un témoin de la défense, lundi, dans le procès du groupe Cyangugu (sud-ouest du Rwanda) en cours devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). "Je trouve qu'il s'est passé des choses horribles dans sa préfecture que personne ne peut nier.

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Mais je suis convaincu qu'il doit être innocent dans
cette affaire", a ajouté MOH, le seizième témoin cité par la défense de l'ancien préfet.

Tout en reconnaissant que l'ancien préfet est resté en fonction en 1994, le témoin a expliqué que "on avait l'impression qu'il avait les mains liées. Il
n'avait pas une marge de manœuvre suffisante. Et il n'arrêtait pas D'en pleurer".

Selon le témoin, l'ancien préfet a bien agi en ne démissionnant pas, car s'il l'avait fait "la situation aurait empiré."

"On sentait qu'il perdait du terrain, que ce n'était pas lui qui dirigeait. Mais aussi que sa présence était indispensable. Il a fait ce qu'il a pu", a dit le témoin.

MOH a décrit Emmanuel Bagambiki comme "une personnalité sensible, humaine et vraiment sage", ajoutant que l'accusé avait caché chez lui des gens menacés.

Le témoin a par ailleurs rapporté que l'ancien préfet avait été profondément touché par le massacre de plusieurs de ses administrés et qu'il lui en avait
fait part. "Une bonne partie de ma population est morte. Mais en mourant dans ces conditions, sans que je puisse l'aider, elle a emporté avec elle une partie de mon âme", aurait déclaré Bagambiki au témoin au plus fort du génocide.

Le témoin a également évoqué les allégations de participation aux massacres de Tutsis à Bugesera (sud de Kigali) en mars 1992 quand l'accusé était préfet de Kigali rurale.

MOH a indiqué que telles allégations avaient été propagées par des médias et des partis D'opposition pour le discréditer. Le témoin appartenait lui-même
à un parti D'opposition, le Mouvement démocratique républicain (MDR). "Dans cette guerre que nous avons menée, il fallait disqualifier certaines personnes importantes" du parti au pouvoir en vue de l'affaiblir, a expliqué le témoin.

Le femme de Bagambiki dépose en sa faveur
Le témoignage de MOH a été corroboré par celui de l'épouse de l'accusé, Bernadette Mukandekezi, qui a également comparu lundi.

"En mars 1992, je n'ai pas entendu ces accusations. Au contraire, les gens de Bugesera m'en disaient du bien", a dit Mme Bagambiki, citant une religieuse et une enseignante tutsie de la région.

"Cette accusation n'est tombée qu'au mois de juillet 1992. Elle venait des responsables du MDR qui ont distribué des tracts à Cyangugu et à Kigali.", a indiqué Mme Bagambiki.

"Quand nous sommes arrivés à Cyangugu, l'accueil de la population n'était pas chaleureux", a-t-elle déclaré, se rappelant que "parfois quand J'allais
dans un magasin, on ne voulait pas me servir, prétextant que les stocks étaient épuisés". Mme Bagambiki a ajouté que "ils ont mis du temps pour comprendre" que ces allégations n'étaient pas fondées.

Elle a également indiqué que son mari était resté serein durant cette période, estimant que "les gens vont me juger sur mon travail et non sur la base de tracts".

Le témoin MOH a expliqué que lorsque Bagambiki a été muté à Cyangugu, il a prêché la cohabitation pacifique et la tolérance. Selon lui, Emmanuel
Bagambiki avait réussi à désamorcer la violence dans sa préfecture en février 1994, s'appuyant sur divers responsables locaux et des autorités religieuses.

MOH a déclaré qu'après l'assassinat D'un homme politique hutu originaire de Cyangugu, Bagambiki avait mené une"campagne de pacification" visant à la
sensibilisation de la population "à ne pas tomber dans des agressions mutuelles et dans la violence". Il a également déploré qu'avec la mort de
l'ancien président Juvénal Habyarimama le 6 avril 1994, tous ces efforts soient tombés à l'eau. Mme Bagambiki a indiqué que son mari a malgré tout
essayé de porter assistance à des personnes en danger. Réagissant à une opinion émise par un expert de l'accusation, le sociologue français André Guichaoua, selon laquelle "le courage eût été de partir", Mme Bagambiki, a indiqué: "la population avait besoin de lui. On ne pouvait pas partir. C'eût été un manque de courage.[…] Je ne regrette pas D'être resté."

Emmanuel Bagambiki est co-accusé avec l'ancien ministre des transports et communications, André Ntagerura, ainsi que l'ancien commandant du camp
militaire de Karambo à Cyangugu, le lieutenant Samuel Imanishimwe. Tous plaident non coupables.

Les débats se poursuivent mardi devant la troisième chambre présidée par le juge de Saint-Kitts et Nevis George Lloyd Williams et comprenant les juges russe Yakov Ostrovsky et slovène Pavel Dolenc.
AT/CE/GF/FH (CY'0310A)