10.03.2003 - TPIR/PARQUET - LE FONCTIONNEMENT DU TPIR

Arusha, le 10 mars 2003 (FH) - Le 28 janvier 2003, le Sud-africain Bongani Christopher Majola a été nommé procureur adjoint pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Cette nomination était très attendue.

8 min 11Temps de lecture approximatif

Le poste était en effet vacant depuis mai 2001 et le départ du Camerounais Bernard Muna.

Durant cette période, des voix se sont élevées pour déplorer le retard accumulé dans la nomination D'un fonctionnaire aussi important au sein du parquet, le ministère public pour les justiciables devant le TPIR.

Partagé entre la Haye, Kigali et Arusha, le procureur en chef Carla del Ponte, également procureur pour le TPIY, délègue en effet l'essentiel de ses pouvoirs à son adjoint, un homme de terrain en charge de la coordination au quotidien des activités liées à l’instruction des dossiers et à l’exercice de la poursuite.

Le gouvernement rwandais a été le premier à se plaindre de cette vacance prolongée et a crié à la "mauvaise gestion". "Bien que son budget lui permette de recruter de nombreux fonctionnaires indispensables pour assurer son fonctionnement, le Tribunal a tout simplement omis de le faire", lisait-on dans une lettre adressée au président du Conseil de sécurité de l'ONU, le 26 juillet 2002, par l'ambassadeur du Rwanda à New York. Le diplomate alléguait une procédure D'engagement "souvent viciée, se fondant sur le népotisme et non sur le mérite".

Au cours du cinquième comité administratif et budgétaire des juridictions ad hoc de l'ONU (TPIR et TPIY), réuni en novembre 2002, plusieurs délégués ont
également stigmatisé cette carence. Considérant que cette situation affectait négativement le travail du TPIR, le comité avait suggéré qu'une enquête soit menée à ce sujet au sein du parquet. Depuis fin janvier, cet important organe de la juridiction habilitée à juger les actes de génocide et D'autres violations flagrantes, généralisées et systématiques du droit international humanitaire commis au Rwanda en 1994 peut donc de nouveau tourner à plein régime.

Totalement indépendant, le parquet, appelé aussi bureau du procureur, est subdivisé en deux sections : les enquêtes et les poursuites. La section des
enquêtes réunit les preuves contre les suspects, tandis que celle des poursuites comprend des avocats généraux responsables de la conduite des
affaires devant le Tribunal, ainsi que des conseillers juridiques. Le bureau du procureur dispose par ailleurs D'une unité D'information et des éléments
de preuve placée sous l'autorité directe du procureur adjoint.

A la recherche des suspects
A ce jour, le Tribunal a mis en accusation quatre-vingt personnes. Sur les soixante-quatre suspects déjà arrêtés, trois ont été relaxés; le quatrième est mort en détention.

Des mandats d’arrêt ont été par ailleurs délivrés contre des suspects en fuite. Ne disposant pas D'un service de police propre, comme cela est le cas
dans les juridictions nationales, le parquet du TPIR sollicite à cet effet la coopération des Etats, prévue dans le Statut du Tribunal, et de la police
internationale, Interpol. Les Etats peuvent être sollicités dans l'identification, la recherche, l'arrestation, la détention et le transfert des suspects vers le centre de détention de l'ONU à Arusha, la réunion des témoignages et la production des preuves ou encore l'expédition des
documents.

Depuis les premières mises en accusation du TPIR en 1995, des suspects ont été arrêtés un peu partout dans le monde. En décembre 2001, le TPIR classait ainsi les pays qui avaient procédé aux arrestations de suspects. Le Kenya venait en tête avec treize interpellations, suivi du Cameroun neuf et de la Belgique six. La Tanzanie a pour sa part procédé à cinq arrestations, la Zambie trois, la France, la Suisse, le Togo, le Mali,la Côte d’Ivoire deux arrestations chacun tandis que la Namibie, le Royaume Uni, le Burkina Faso, le Danemark, le Sénégal, les Etats Unis, l'Afrique du Sud et les Pays-Bas avaient interpellé chacun un accusé. Depuis, de nouveaux pays se sont ajoutés à la liste tels les deux Congo, l'Angola et l'Italie.

Certains pays ont de surcroît mis en place des programmes spéciaux de coopération avec le TPIR ou sont en voie de le faire. Le programme américain, "Rewards for Justice", mis en route en juin 2002, offre par exemple une récompense allant jusqu'à cinq millions de dollars à des informateurs qui permettraient de faire arrêter une dizaine de suspects.

Quatre suspects se trouvant sur cette liste ont déjà été arrêtés. Il s'agit de l'ancien chef D'Etat-major des ex-Forces armées rwandaises, le général Augustin Bizimungu, interpellé en Angola le 12 avril 2002, l'ancien préfet de la ville de Kigali, le colonel Tharcisse Renzaho, en République démocratique du Congo le 29 septembre 2002, l'ancien maire de Murambi (province Umutara, est du Rwanda), Jean-Baptiste Gatete, le 11 septembre 2002 au Congo Brazaville ainsi que l'ancien commandant du camp militaire de Ngoma (province Butare, sud du Rwanda), le lieutenant Ildephonse Hategekimana, le 16 février 2003 au Congo Brazaville.

Parmi les suspects les plus en vue encore en cavale, figure notamment l'homme D'affaires Félicien Kabuga, accusé D'avoir financé les milices Interahamwe actives pendant le génocide. Kabuga était par ailleurs président du comité D'initiative de la Radio-télévision libre des Mille collines (RTLM) qui a incité au génocide.

Un autre programme spécial de coopération avec les Etats est celui évoqué dans le dernier rapport annuel du TPIR. Des négociations sont en effet en cours avec la Belgique et la République Démocratique du Congo (RDC) en vue D'y ouvrir des antennes du bureau du procureur. Celles-ci permettraient, espère-t-on, de faciliter l'arrestation de suspects qui résideraient ou transiteraient par ces pays. Une équipe spéciale est chargée de repérer les suspects en fuite, car, selon le procureur Carla del Ponte, ce sont "des cibles mouvantes". Cette équipe de recherche a été scindée en deux groupes géographiques. L’un s’occupe de l’Europe et de l’Amérique du Nord, l’autre de l’Afrique.

Le processus de mise en accusation
Le Statut autorise le procureur à ouvrir "une information d’office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources, notamment des gouvernements, des organes de l’ONU, et des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Il évalue les renseignements reçus ou obtenus et décide s’il y a lieu de poursuivre."

S'il ne possède pas de force de police, le bureau du procureur dispose néanmoins de pouvoirs de police. Il est par exemple habilité à interroger les suspects, les victimes et les témoins, à réunir des preuves et à procéder sur place à des mesures d’instruction. S’il décide qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites, le procureur établit un acte d’accusation, ensuite transmis à un juge pour confirmation. Si au moins un des chefs D'accusation est confirmé, le juge peut délivrer un mandat d’arrêt contre le suspect qui acquiert dès lors le statut D'accusé. Le nombre D'accusés augmente au fur et à mesure que le procureur affine ses enquêtes.

Le greffier transmet le mandat D'arrêt et D'autres documents annexes aux autorités nationales de l’Etat où l’accusé réside ou avait sa dernière résidence connue. Si l'accusé est susceptible de passer d’un Etat à un autre, ou si son lieu de résidence est inconnu, le mandat D'arrêt peut être adressé à tous les Etats.

Au cours de la procédure, le procureur peut être autorisé à modifier l'acte D'accusation ou, le cas échéant, à le retirer, sur la base de nouveaux témoignages. Dans l'affaire de l'ancien maire Jean-Paul Akayesu ou dans celle de l'ex-directeur D'usine Alfred Musema, le procureur a été autorisé à inclure de nouvelles charges se rapportant aux violences sexuelles.

Considérées comme hautement sensibles (des associations de défense des droits de l'homme estiment que lors du génocide rwandais, les violences sexuelles ont été utilisées comme "une arme de guerre"), les enquêtes en matière de violences sexuelles ont reçu une attention particulière. Un noyau D'agents assure la coordination des ces enquêtes.

Des retraits D'actes D'accusation sont quant à eux intervenus deux fois. En mars 1998, le procureur a expliqué que l'affaire du major Bernard Ntuyahaga ne s'insérait pas dans le cadre de sa stratégie globale des poursuites, tandis qu'en août 2002, il a conclu à l'insuffisance des preuves dans l'affaire du général de brigade Léonidas Rusatira.

Une stratégie de fin de mandat
Le mandat du TPIR devrait s'achever en 2008. Compte tenu de ces échéances, le procureur a modifié sensiblement son programme D'enquêtes, passant de 136 nouveaux suspects à 14. A ceux-là s'ajoutent 10 enquêtes déjà en cours. Selon ses prévisions, le procureur aura bouclé ses investigations à la fin de 2004.

Parallèlement, le procureur a identifié 40 suspects qu’il compte faire juger par des juridictions nationales. Quinze D'entre eux se trouveraient dans des pays qui ont adopté le principe de compétence universelle et pourraient donc y être jugés. Les 25 autres n’occupaient pas des postes importants au Rwanda en 1994, et pourraient donc être remis aux autorités rwandaises, à la condition que le Rwanda supprime la peine de mort de son code pénal.

Depuis sa création en 1994, le TPIR a eu trois procureurs en chef : le Sud-Africain Richard Goldstone, la Canadienne Louise Arbour et le titulaire actuel, la Suisesse Carla del Ponte. Richard Goldstone a établi les premiers actes D'accusation dont celui regroupant huit personnes originaires de Kibuye (ouest du Rwanda), celui de l'ancien maire Jean-Paul Akayesu et celui de l'homme D'affaires Georges Rutaganda. Louise Arbour a de son côté mis en place une stratégie de poursuite visant à cibler "les gros poissons" (membres du gouvernement, responsables politiques, chefs militaires, responsables des médias etc…).

Carla del Ponte, quant à elle, se bat pour démontrer la conspiration en vue du génocide à travers des poursuites conjointes et milite pour une plus grande participation des victimes à l'œuvre de justice.

Interrogée récemment par l'agence Hirondelle sur ses motifs de satisfaction, Carla del Ponte a répondu: "Nous avons le sentiment de faire quelque chose de positif en matière de justice. Instruire ces enquêtes, ces procès, avec toutes les difficultés rencontrées, c'est accomplir ce qui est contenu dans le mandat du Conseil de sécurité. Ce n'est pas seulement de la répression, c'est une contribution à la réconciliation et à la paix."

Pourtant, Carla del Ponte ne s'accommode pas du fait qu'elle doive compter essentiellement sur la coopération des Etats pour opérer. "Je suis un procureur sans police judiciaire. Nous avons donc besoin de l'appui des Etats, notamment de la coopération du gouvernement rwandais sans qui les enquêtes et les procès sont impossibles".

Les entraves aux poursuites
Or, les relations entre le TPIR et le Rwanda ont été particulièrement tendues en 2002, ce qui a influé négativement sur le travail du Tribunal. Le TPIR a notamment accusé le Rwanda de ne pas collaborer suffisamment en matière de voyages des témoins. Le Rwanda, pour sa part, a qualifié le TPIR D'institution politisée. Mais, "la vraie raison est à chercher ailleurs", comme l'a reconnu Carla Del Ponte. D'après elle, Kigali ne veut pas entendre parler des enquêtes sur des éléments de l'APR (branche armée du FPR, ex-parti rebelle au pouvoir depuis juillet 1994) suspectés de crimes de guerre. Or, pour Del Ponte, "une victime est une victime, un crime est un crime, indépendamment de l'identité, de l'ethnie ou des idées politiques de la personne qui a commis ledit crime. Personne ne doit rester à l'abri des poursuites."

De manière générale, Carla del Ponte déplore que la politique entre en jeu dans l'évaluation que les Etats font de leur coopération avec le parquet du TPIR."Notre grande bataille, c'est de repousser tout raisonnement politique qui pourrait affecter cette coopération", a-t-elle déclaré à Hirondelle.

Avant le Rwanda, le Kenya avait été en conflit avec le TPIR. l'ancien président kenyan, Daniel Arap Moi, avait par exemple déclaré que des enquêteurs qui se rendraient dans son pays pour traquer les suspects seraient arrêtés. En 1997, il a néanmoins changé D'avis et permis l'arrestation de plusieurs Rwandais, dont l'ancien premier ministre Jean Kambanda.

Organe responsable de la poursuite, le parquet est en quelque sorte la locomotive du TPIR. C'est à lui que revient la prérogative de déclencher toute procédure judiciaire. Le fardeau de la preuve lui incombe. Tout comme lui incombe l'atténuation de la souffrance des victimes et le respect des droits sacro-saints des accusés.
AT/CE/GF/FH (PQ'0310A)