21.02.2003 - TPIR/KAMUHANDA - SYNTHESE: VINGT-TROIS TEMOINS ONT DEPOSE EN FAVEUR DE KAMUHANDA

Arusha, le 21 février 2003 (FH) - Le procès de l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur Jean de Dieu Kamuhanda a été ajourné le 19 février au 28 avril par la deuxième chambre du tribunal pénal international pour le Rwanda. Depuis sa reprise, le 13 janvier dernier, à la fin des vacances judiciaires, vingt-trois témoins de la défense ont déposé.

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Kamuhanda répond de huit chefs D'accusation dont génocide, complicité dans le génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, notamment viol et meurtre. Selon le parquet, ces crimes ont été commis à Gikomero (province de Kigali, centre du Rwanda), la commune natale de l'accusé.

Le parquet l'accuse D'avoir personnellement mené des attaques perpétrées par des soldats et les milices Interahmwe contre des civils tutsis qui avaient
cherché refuge à la paroisse protestante de Gikomero, ainsi que dans l'école attenante.

Au cours de cette session, le conseil de Kamuhanda, la Guinéenne Aicha Conde, a déclaré à la chambre qu'elle avait l'intention de prouver que l'accusé ne se trouvait pas à Gikomero en avril 1994, contrairement à ce qu'allègue le parquet. Elle a ajouté que la défense voulait également démontrer qu'il était impossible que Kamuhanda se rende à cette époque à Gikomero puisque les routes qui y menaient depuis Kigali étaient barrées par les combats entre l'armée gouvernementale et les rebelles du FPR.

Dans la présentation de sa preuve, la défense de Kamuhanda s'est également attachée à démontrer que l'accusé n'avait aucune influence politique et
n'était pas un membre éminent du MRND, le parti au pouvoir à l'époque du génocide.

Kamuhanda ne s'est jamais rendu à Gikomero pendant le génocide
La majorité des vingt-trois témoins de la défense a déclaré que l'accusé ne s'était jamais rendu à Gikomero au cours du génocide. La plupart D'entre eux
résidaient à Gikomero au moment des faits. Ils ont indiqué qu'ils auraient vu Kamuhanda s'il avait été présent dans la commune car c'était un personnage public.

La soeur de Kamuhanda, Xaviera Nyiraminani, un des rares témoins à décharge à avoir déposé à visage découvert, a également déclaré que son frère ne se trouvait pas à Gikomero en avril 1994, lors du massacre des Tutsis à la paroisse." Je confirme que Kamuhanda ne s'est jamais trouvé à Gikomero le 12
avril 1994", a-t-elle affirmé.

Nyiraminani a ajouté qu'elle avait vu l'accusé pour la dernière fois à Gikomero le dimanche de Pâques, le 3 avril 1994, alors qu'il rendait une courte visite à sa mère malade. Il se serait ensuite rendu dans la résidence familiale du lac Muhazi, selon le témoin.

Un autre témoin, surnommé GPG pour préserver son anonymat, a affirmé que " Kamuhanda ne se trouvait pas sur les lieux des massacres le 12 avril 1994. Certains de ceux qui ont participé à ces crimes sont connus et emprisonnés".

GPG a ajouté que "si Kamuhanda s'était trouvé à Gikomero pendant le génocide, je l'aurais su étant donné son poste. Et la population l'aurait également su et en aurait fait état," a-t-il indiqué.

La même version a été donnée par un témoin surnommé GPR. Selon lui, Kamuhanda ne faisait pas partie des attaquants de la paroisse. " Je n'ai entendu personne mentionner le nom de Kamuhanda," a déclaré GPG. Ce témoin, qui aurait assisté à l'attaque, habitait près de la paroisse.

Impossible de se rendre à Gikomero
La seconde ligne de défense développée par Me Conde porte sur l'impossibilité pour Kamuhanda de s'être rendu de Kigali à Gikomero, car les routes étaient alors barrées par des combats.

Deux témoins, RGS et Laurent Hitimana, qui habitaient à Kigali avec Kamuhanda, ont déposé en ce sens. Selon eux, les rebelles du FPR s'étaient emparés des routes menant à la commune.

Ils ont indiqué que la plupart des habitants de Kigali s'étaient enfuis vers Gitarama au début de la guerre et que, pour se rendre de la capitale à Gikomero, il aurait fallu être membre du FPR puisque leurs troupes occupaient les routes qui y menaient.

RGS et Hitimana se sont servi de cartes afin de montrer les routes en question, celles qui étaient inaccessibles en raison des combats entre le FPR et l'armée gouvernementale.

Un autre témoin, VPG, a déposé dans le même sens. "Il est impossible que Kamuhanda se soit rendu à Gikomero," a-t-il déclaré. Le témoin a par
ailleurs affirmé avoir rendu visite à l'accusé à son domicile de Kigali les 9 et 10 avril 1994, et qu'ils s'étaient ensuite enfuis vers Gitarama.

Aucune influence au sein du MRND
Me Conde a également choisi de démontrer l'absence D'influence politique de son client. A travers les dépositions D'amis proches de l'accusé et D'hommes politiques, Me Conde entendait prouver que Kamuhanda ne possédait aucune influence au sein du MRND pendant le génocide.

Le parquet allègue que Kamuhanda était un membre important du MRND, ainsi qu'un conseiller du président intérimaire Théodore Sindikubwabo avant D'être nommé ministre le 25 mai 1994. Kamuhanda est également accusé D'avoir planifié et mis en place, en compagnie D'autres leaders politiques, une
stratégie visant à exterminer des civils tutsis et des opposants hutus afin de conserver le pouvoir.

La défense, au contraire, affirme que Kamuhanda n'a jamais été conseiller du président intérimaire Théodore Sindikubwabo.

Un témoin, VPG, a indiqué que Kamuhanda était un membre du MRND "comme les autres," ajoutant qu'il ne jouait "aucun rôle." VPG, également membre du MRND à l'époque, a affirmé que l'accusé n'avait aucun pouvoir D'influence sur le parti.

Il s'est souvenu avoir assisté à un meeting du MRND en compagnie de Kamuhanda en août 1993 dans la commune de Kayanga. Lors de ce meeting, l'ancien ministre fut, selon le témoin, simplement présenté à la foule en tant qu'intellectuel de Gikomero. Kamuhanda n'aurait parlé que deux minutes.

Dans ce bref discours, a expliqué VPG, Kamuhanda n'a fait aucune remarque qui aurait pu dresser les Hutus contre les Tutsis, contrairement aux
allégations du parquet. Deux témoins à charge ont en effet accusé Kamuhanda D'avoir adressé un discours incitatif, demandant à la population de ne pas s'inquiéter des Tutsis puisque l'on s'occuperait (tuerait) de ceux-ci.

Le témoignage D'Augustin Karera est allé dans le même sens. Ancien conseiller au ministère de l'Enseignement supérieur au moment où Kamuhanda était ministre, Karera a réitéré le témoignage de VPG, déclarant que l'accusé "n'occupait aucun poste official au sein du MRND."

Karera a ajouté que, bien que Kamuhanda était membre du MRND, cette affiliation n'a joué aucun rôle dans sa nomination au poste de ministre en mai 1994.

Sessions à huis-clos
La deuxième chambre a entendu les vingt-trois témoins à décharge dans un temps relativement court (vingt-deux jours). Elle a déclaré le huis-clos
pendant dix jours, soit la durée de la déposition de sept témoins.

l'article 79 du Règlement de procédure et de preuve du TPIR prévoit des audiences à huis clos pour des raisons tenant à l'ordre public et aux bonnes
mœurs ou pour assurer la sécurité et la protection D'une victime ou D'un témoin ou plus généralement "dans l'intérêt de la justice".

La défense compte faire comparaître au plus cinq témoins supplémentaires à la reprise du procès, le 28 avril.

Le procès Kamuhanda se déroule devant la deuxième chambre, présidée par le juge tanzanien William Hussein Sekule et comprenant par ailleurs la juge
malgache Arlette Ramaroson et Winston Churchill Mantanzima Maqutu du Lesotho.

CE/PJ/GF/FH (KH-0221A)