25.04.2000 - TPIR/BAGILISHEMA - LA DEFENSE DE l'ANCIEN MAIRE ACCUSE LE PARQUET DE GLOBALISATION

Arusha 25 avril 2000 (FH) - La défense de l'ancien maire de Mabanza (préfecture de Kibuye, ouest du Rwanda), Ignace Bagilishema, a accusé le parquet de globalisation, lors D'une déclaration liminaire, mardi, devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Le danger de la version de l'histoire du Rwanda donnée par le procureur , c'est la globalisation sur base ethnique et la banalisation des crimes graves, a dit en substance Me Maroufa Diabira, co-conseil mauritanien dans l'affaire Bagilishema.

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"l'histoire du Rwanda ne commence pas le 6 avril 1994", a dit l'avocat , ajoutant "qu'il faut savoir qu'au pays, il y avait un conflit armé et que des Rwandais avaient entrepris de conquérir le pouvoir par les armes".

"Ce conflit remonte à 1990 et pendant que dans les communes et les préfectures voisines, les gens s'entre-tuaient, la commune de Mabanza dirigée par Bagilishema s'est distinguée par l'efficacité dans le maintien de la paix", a poursuivi Me Diabira.

"l'ethnie a été instrumentalisée pour garder ou conquérir le pouvoir et dans cette instrumentalisation, Ignace Bagilishema a été un homme D'équilibre", a soutenu la défense.

En faisant du fondement du génocide que tous les Hutus sont des coupables ou des criminels dans une entente préméditée au plan national pour tuer les Tutsis, on ne peut pas prédisposer à l'accomplissement de la mission de paix et de réconciliation des Rwandais assignée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies au TPIR, a fait remarquer l'avocat. "La défense vous demande D'écarter cette version car tous les Hutus ne sont pas des criminels et tous les Tutsis ne sont pas des victimes", a plaidé Me Diabira.

"Savez-vous qu'en 1994, le président des Interahamwe [milice de l'ex-parti présidentiel] était un Tutsi? Savez-vous que le président du FPR [Front patriotique rwandais, ex-rébellion tutsie] était un Hutu?", a par ailleurs demandé l'avocat aux juges, indiquant que Bagilishema a fait ce qu'il a pu pour sauver des gens persécutés, mais qu'il n'avait aucun moyen de maîtriser les tueurs.

"Il a fait ce qu'il a pu, il a sauvé quelques vies, il a essayé de nourrir les réfugiés, il en a cachés chez lui, il a établi des faux documents pour faire des Tutsis des Hutus afin qu'ils puissent échapper aux hordes de tueurs", a poursuivi Me Diabira, alors que Bagilishema, habituellement calme et serein devant les juges, n'a pas pu contenir ses larmes.

l'avocat principal, le Français Me François Roux, a contesté les éléments de preuves fournis par le parquet. Il a notamment relevé qu'il est reproché à Bagilishema D'avoir donné le coup D'envoi des massacres au stade de Kibuye en tuant de sang froid un certain Bagambiki, alors que "trois semaines plus tard , le même Bagambiki est bien vivant lors des événements de Bisesero".

Me Roux a par ailleurs cité le jugement contre l'ancien préfet de Kibuye, Clément Kayishema, qui précise que "c'est ce dernier qui a lancé le coup D'envoi de ces massacres."

Le procureur allègue aussi que Bagilishema aurait distribué des armes à Bisesero alors qu'aucun des témoins de l'accusation ne l'a affirmé, selon la défense. Me Roux a dit aux juges qu'après les dépositions des témoins de l'accusation , la défense s'était rendue sur les sites des crimes allégés pour vérifier les faits, et avait constaté qu'il y avait beaucoup de mensonges, selon elle .

Me Roux a invité la chambre à se rendre une nouvelle fois au Rwanda, pour vérifier les affirmations des témoins à charge.

Après la déclaration liminaire de la défense, la chambre a entendu la déposition du premier témoin de la défense. Le témoin nommé "AS" dans le souci de protection de son identité, est un Hutu de 46 ans qui résidait en commune Mabanza en avril 1994. Il a quitté le Rwanda en août 1994, craignant pour sa sécurité, a-t-il dit.

"Pendant la guerre, J'avais essayé D'assister les gens, toutes ethnies et religions confondues, et par la suite J'ai été menacé parce que les autorités considéraient que J'étais un agent double", a-t-il expliqué aux juges. " Je considère Bagilishema comme un homme de paix parce que avant et pendant la guerre, il n'a jamais planifié quoi que ce soit de mal , comme il n'a jamais tenu des propos ethnisants ou discriminatoires", a affirmé le témoin. Il a également indiqué que les intellectuels tutsis de la commune Mabanza avaient confiance en Bagilishema , l'une des preuves étant que "pendant la guerre, ils ont pris refuge soit chez lui, soit au bureau communal".

Le témoin a révélé que l'accusé avait à un moment donné cherché refuge chez lui, après qu'il eut reçu un coup de téléphone D'un maire D'une commune voisine, l'avertissant de l'attaque imminente des agresseurs "Abakiga" en provenance des communes du Nord . "Bagilishema a eu peur et était plongé dans la confusion", a affirmé le témoin AS.

Selon le témoin , Bagilishema a téléphoné à la préfecture pour demander assistance en matière de sécurité, pour les Tutsis qui avaient trouvé refuge au bureau communal, mais il n'avait pas eu de suite. Le témoin a par ailleurs indiqué que l'accusé avait eu l'intention de renoncer à son poste, parce que' "il ne servait plus à rien D'être appelé bourgmestre alors qu'il ne pouvait plus protéger ni sa famille, ni les réfugiés". La défense a plaidé l'acquittement "comme seule solution de justice. La défense entend citer une vingtaine de témoins dont deux experts.

Ignace Bagilishema est poursuivi pour génocide, divers crimes contre l'humanité, et pour crimes de guerre. Son procès a commencé le 27 septembre 1999 devant la première chambre de première instance du TPIR présidée par le juge norvégien Erik Mose et comprenant en outre les juges sri-lankais Asoka de Zoysa Gunawardana et turc Mehmet Güney.

CR/PHD/AT/FH (BS%0425B)