LA PRESIDENTE DU TPIR SATISFAITE DE LA VISITE DES JUGES AU RWANDA

Arusha, le 3 septembre 2000 (FH) La Présidente du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a indiqué vendredi qu'elle avait apprécié sa visite au Rwanda et qu'en aucun cas cette visite des juges ne compromettait leur impartialité. Elle s'adressait à des journalistes africains participant à un séminaire sur la chronique judiciaire invités par l'Agence Hirondelle.

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"Nous avons le sentiment que visiter un Mémorial du génocide, avoir une rencontre avec le Président du Rwanda, n'affecte en rien notre impartialité" a indiqué aux journalistes la juge sud-africaine Mme Navanethem Pillay "parce que nous jugeons chaque cas selon les preuves fournies devant la Cour. Voir les squelettes n'est pas nécessairement un facteur déterminant. Ce que nous faisons au Tribunal est d'examiner la responsabilité criminelle individuelle et nous nous concentrons sur la question: est-ce que cet individu a fait cet acte précis ?".

La juge Pillay a effectué cette semaine une visite de 3 jours au Rwanda avec les juges Eric Mose de Norvège (vice-président du TPIR), Lloyd George Williams de Jamaïque, Yakov Ostrovsky de Russie et Mehmet Güney de Turquie. Elle a indiqué qu'ils avaient visités des mémoriaux du génocide, particulièrement celui de Nyamata, et qu'ils ont rencontrés différents officiels Rwandais de haut rang, y compris le Président Paul Kagame.

La Présidente du TPIR a indiqué que les juges ont également rendu visite au personnel du TPIR au bureau du Procureur à Kigali et que l'objectif de leur visite était de renforcer la coopération avec le gouvernement rwandais après l'affaire Barayagwiza.

Le Rwanda avait suspendu en novembre 1999 sa coopération avec le TPIR afin de protester contre la décision de la Chambre d'appel ordonnant la libération de Jean-Bosco Barayagwiza, suspecté de génocide, en raison de vices de procédure. La Chambre d'appel était ensuite revenue sur sa décision après que le Procureur eut présenté "des faits nouveaux".

"Nous avons été très satisfaits et honorés d'être reçus par le Président Kagame" a indiqué la Juge Navanethem Pillay, en ajoutant: " Il nous a dit que ce que nous faisons était une tâche complexe et un travail judiciaire délicat, et qu'il le comprenait réellement. Si nous entendons des critiques en provenance du gouvernement rwandais, nous devons comprendre que ce dernier agit dans le contexte de sa propre compréhension des événements et qu'il doit exprimer des critiques lorsqu'il en a. Cela montre que le Tribunal est quelque chose que les Rwandais ont demandé et dont ils ont besoin, et qu'il y aura donc toujours une coopération entre le gouvernement et le Tribunal".

La Juge Pillay a déclaré en outre comprendre que "du point de vue d'un accusé, on pourrait ne pas trouver équitable que les juges se rendent sur un site (de massacre) et se forment des impressions", mais selon elle, cette visite était réellement dans l'intérêt de toutes les parties.

"Nous sommes des juges pas des politiciens" a-t-elle insisté. "Nous traitons ces cas depuis quatre ans et nous avons acquis une certaine expérience. Nous connaissons la situation et constatons qu'une certaine stabilité existe au Rwanda et que nous devons maintenant considérer certaines questions. Sommes-nous en position de finaliser les procédures des prévenus attendant leur jugement ? Est-ce que le Parquet est en mesure de procéder correctement aux investigations ? Est-ce que la défense peut se rendre sur place ? Est-ce que l'on protège les témoins ? Telles sont les interrogations du Président du Tribunal que je suis. Je conduis l'ensemble du Tribunal et je suis censée m'occuper des intérêts de chacun, y compris des personnes accusées."

La Présidente Pillay a indiqué qu'elle n'avait pas reçu de réclamations sur d'éventuelles difficultés rencontrées par la défense au Rwanda, mais que " au cas où cela se produirait, je veux préparer le terrain. Nous voulons savoir quel est le service gouvernemental compétent, donnez nous des noms. Et si la défense veut citer des témoins incarcérés au Rwanda, nous voulons que cela soit facilité. Nous avons reçu des assurances pour tout cela et le gouvernement Rwandais a indiqué que leur représentant auprès du Tribunal, M. Martin Ngoga, se coordonnera avec le Greffe afin de s'assurer qu'il n'y ait aucune difficultés pour les défenseurs".

En fait, ce n'est qu'au mois de mars 1999 qu'une équipe de défenseurs s'est rendue au Rwanda pour la première fois. La plupart ne s'y sont encore jamais rendu, prétextant que la chance de trouver des témoins était trop fabile en regard des risques de sécurité qu'ils encouraient. Les avocats disent que les témoins, au cas où l'on puisse en localiser, ne voudront pas venir témoigner devant le Tribunal par peur de représailles quand ils reviendront à domicile.

"Je n'ai eu aucune réclamation spécifique d'aucun défenseur" a indiqué à nouveau la Juge Pillay lorsqu'elle a été questionnée sur ce point " Je ne veux pas qu'ils restent assis ici et imaginent que cela sera dangereux ou qu'on leur refusera l'accès. Je veux savoir si on a refusé un visa à quelqu'un, par exemple; Un défenseur a-t-il été empêché de continuer une conversation avec une quelconque personne ? Un défenseur a-t-il été harcelé ? Voilà ce que je dois savoir. J'invite maintenant les défenseurs à venir personnellement me soumettre leurs problèmes."

En ce qui concerne le recrutement d'enquêteurs pour la défense, la Juge Pillay a indiqué que le Premier Ministre du Rwanda, M. Bernard Makuza, a estimé "qu'il lui semblait, pour la question du recrutement de personnel rwandais par le Tribunal, qu'il y aurait au moins lieu de consulter les autorités compétentes afin de savoir de qui il s'agit, particulièrement en ce qui concerne les enquêteurs".

Dans le passé, certaines allégations de manque de professionnalisme, mais aussi la possibilité d'être liés à certains crimes, ont été évoquées concernant certains investigateurs de la défense. "Les autorités rwandaises sont troublés par un ou deux cas de Rwandais engagés par le Tribunal et qui n'étaient pas de vrais enquêteurs" a indiqué le Juge Pillay à l'agence de presse Hirondelle, mais elle a ajouté qu'elle n'était pas entrée dans les détails, puisqu'il s'agissait d'une nouvelle information données aux juges et que cela ne relevait pas de leur compétence. " Je suis rapidement intervenue pour dire que les juges ne sont pas compétents dans le recrutement du personnel et que ce point devait être examiné avec le Greffier".

Les juges ont également rencontrés le Ministre de la Justice, Jean de Dieu Mucyo, le Procureur général, Gérald Gahima, et le Président de la Cour Suprême Rwandaise, Siméon Rwagasore. "En substance, ce qu'ils nous ont dit," a indiqué le Juge Pillay "c'était leur réelle détresse devant le fait que le travail du TPIR ne soit pas visible pour les Rwandais. Alors que ce Tribunal est prévu pour qui d'autre plus que les Rwandais. Si ces derniers ne peuvent voir la justice rendue, alors ils mettent en doute le fait de pouvoir parvenir à la paix et à la réconciliation, à travers tout cet exercice. Nous avons trouvé tout cela réellement convaincant", a relevé la Présidente du TPIR.

Les autorités Rwandaises, a continué la Présidente Pillay, ont renouvelé leur demande tendant à ce que le TPIR tienne des audiences à Kigali. Les juges ont visité un nouveau bâtiment qui vient d'être terminé dans la capitale et qui pourrait offrir des locaux adaptés, a-t-elle mentionné. Selon elle, les juges ont répondu qu'ils allaient se pencher sur la question. "J'ai mentionné clairement que la décision de tenir des audiences au Rwanda, alors que nous en soutenons le principe, est actuellement une question complexe. Nous avons indiqué dans nos statuts que lorsque cela est nécessaire, et si les juges pensent que cela est nécessaire, nous pouvons tenir des audiences, totalement ou en partie, ailleurs. Si une partie veut se prévaloir de cette possibilité, elle peut le faire devant la Cour et il nous appartiendra à nous les juges d'examiner cette requête. Tout est ouvert, transparent et public quand les juges traitent de ces affaires", a précisé le Juge Pillay.

La Présidente du TPIR a enfin indiqué que le Tribunal ouvre un "point d'information" au Rwanda afin de mieux faire connaître son travail au sein de la population rwandaise. "Ce que nous les juges envisageons comme une option réaliste serait de diffuser les enregistrements vidéo des procès directement au Rwanda" a-t-elle ajouté, " et que nous commencions au moins de le faire dans ce centre d'information. Cette proposition a semblé convenir, pour un début, à certains représentants du gouvernement et d'autres personnes que nous avons rencontrées, mais vous et moi savons que cela n'atteindra pas la vaste majorité qui n'a pas accès aux postes de télévision.

JC/MBR/PHD/FH (RW%0903E)