Le président, le colonel Luc Hafner, a informé les parties qu'elles peuvent recourir en cassation dans les cinq jours.
Par ce verdict rendu en appel, la justice militaire suisse s'est montrée plus clémente, en révisant le jugement de première instance prononcé le 30 avril 1999 à Lausanne. Le Tribunal de division 2 avait alors reconnu Fulgence Niyonteze coupable "d'assassinat, d'instigation à l'assassinat, (…) et d'infractions graves aux prescriptions des conventions internationales sur la conduite de la guerre ainsi que pour la protection des personnes et des biens", et l'avait condamné à la peine maximale, soit la prison à vie.
Au terme du procès, les cinq juges de la Cour d'appel militaire n'ont donc pas retenu l'accusation d'assassinat et de tentative d'instigation à l'assassinat. Seules les violations des conventions de Genève ont été retenues.
La défense avait demandé l'acquittement, en se basant notamment sur les incohérences des témoignages. Pour le Tribunal, la défense a été trop cartésienne et il faut tenir compte des différences culturelles et du fait que certains témoins étaient illettrés. Ce n'est pas parce qu'un fait est contredit que tout le témoignage doit être rejeté, ont estimé les juges.
De son côté, l'auditeur - qui fait office de procureur dans la justice militaire suisse - le major Claude Nicati, avait requis la prison à vie pour l'ancien bourgmestre de Mushubati, en demandant la confirmation du jugement de première instance.
Faits à charge établis
L'ancien bourgmestre (maire) de Mushubati a bien tenu une réunion sur le Mont Mushubati, pendant laquelle il a appelé ses administrés à tuer les Tutsis, a estimé le Tribunal. Bien que la date précise de cette réunion ne puisse être établie, cette réunion a eu lieu au moment où l'accusé était bourgmestre et il y a participé en tant que tel, en tenant des propos invitant la population à participer à des "travaux communautaires".
Selon la Cour, compte tenu du contexte chaotique et du fait que l'ancien bourgmestre avait accepté volontairement de servir son pays en état de guerre, on peut admettre que ces propos renvoyaient bel et bien à la chasse aux Tutsis et autres "complices" du Front Patriotique Rwandais (FPR). C'est ainsi que pouvaient être compris, par interprétation du kinyarwanda, les termes de "débroussailler" et "travailler", ont estimé les juges.
Compte tenu des circonstances telles qu'elles ressortent de divers témoignages, le Tribunal n'a pas en revanche pas retenu que l'accusé aurait lui-même participé aux meurtres ou aux assassinats, mais se déclare convaincu que le discours de Niyonteze visait les Tutsis en violation des Conventions de Genève. Le Tribunal admet aussi que l'accusé porte une part de responsabilité dans l'assassinat de deux enfants lors de la réunion du Mont Mushubati.
La Cour militaire a par ailleurs admis les témoignages relevant la présence de l'accusé à l'évêché de Kabgayi, où se trouvaient des milliers de réfugiés. Le Tribunal a retenu que le bourgmestre, à bord de son véhicule de service, a pu circuler librement et à plusieurs endroits pendant cette période. "Malgré ses dénégations peu crédibles", Niyonteze s'est également rendu à Kabgayi où il a invité la population de sa commune à rentrer (…) et par conséquent à se faire tuer. Il a aussi participé à l'assassinat d'un nommé Félix et à la tentative d'assassinat de son frère" a jugé le Tribunal.
Le Tribunal relève qu'aussi bien en première instance qu'en appel, l'accusé n'a jamais regretté ce qui s'est passé dans son pays. En tant que bourgmestre, il disposait de pouvoirs réels. Le fait de pouvoir franchir les barrières des miliciens, l'obtention de bons de carburant de la part du gouvernement intérimaire, l'escorte de policiers, la convocation de réunions populaires, tout cela prouve son pouvoir réel, que l'accusé aurait pu utiliser pour protéger les civils, a relevé la Cour.
Le tribunal reconnaît toutefois que Nyonteze a sauvé des personnes menacées ainsi que sa propre famille. "On peut le ranger dans la catégorie des opportunistes, des mous, mais il a commis des actes très graves, punissables", a déclaré le président Luc Hafner en indiquant verbalement les motifs du jugement, pour conclure que l'ancien maire s'est rendu coupable de violations des conventions de Genève.
Juridiquement, le Tribunal d'appel relève, avec la défense, que la Cour de première instance n'avait pas compétence pour statuer sur les deux chefs d'accusation retirés du verdict, l'assassinat et l'instigation à assassinat.
Sur la question des crimes de guerre pouvant être commis par des civils, le Tribunal estime que le Tribunal Pénal International (TPIR), basé à Arusha, peut aussi commettre des erreurs, si bien que le jugement du TPIR dans un cas analogue, celui du bourgmestre de Taba, Jean-Paul Akayesu, peut ne pas servir de référence. Contrairement à l'arrêt Akayesu, le Tribunal militaire d'appel a considéré que même un civil pouvait violer les conventions de Genève, en rappelant que le bourgmestre est un agent de l'Etat.
En début d'audience, l'accusé a été présenté aux caméras et aux photographes de la presse. La défense, qui a soulevé un incident, a été menacée de se faire condamner à une amende, voire à être expulsée de la salle. Le président du tribunal a indiqué qu'il ne s'agit pas d'une violation du principe de la protection de la personnalité, car le but est de donner de la publicité à ce procès, dans l'intérêt de la justice, à l'exemple de ce qui se fait au TPIR.
Pourvoi en cassation de la défense
A peine le verdict connu, les deux défenseurs de Fulgence Niyonteze ont annoncé qu'ils allaient se pourvoir en cassation. Quant à l'auditeur, le major Claude Nicati, il n'avait pas encore décidé s'il va recourir contre la sentence. "J'ai cinq jours pour me décider", a-t-il dit.
Les avocats de la défense, Me Vincent Spira et Me Robert Assaël, ne décoléraient pas et ne pardonnaient pas au Président du Tribunal militaire d'appel 1, le colonel Luc Hafner, d'avoir autorisé la presse à filmer et photographier leur client. "C'est scandaleux, il s'agit d'une négation de la personnalité. Le président n'a pas tenu compte des torts que cela pouvaient provoquer aux enfants et à l'épouse de notre client " s'est insurgé Me Spira. Son confrère Me Assaël rappelait pour sa part que Fulgence Niyonteze bénéficiait toujours de la présomption d'innocence, puisqu'il recourt contre la décision du tribunal.
Au sujet du verdict, Me Assaël ne considère pas cette réduction de peine par rapport au premier verdict comme une victoire. "Le Tribunal d'appel a condamné un innocent, c'est une erreur judiciaire ", a-t-il affirmé. Les avocats se disaient en outre choqués que le Tribunal n'ait pris que douze heures et trente minutes pour délibérer et rendre son verdict. "C'est dérisoire " lançaient-ils en choeur, en rappelant que depuis le début de la procédure, ils avaient consacré un millier d'heures chacun à cette cause.
La rédaction écrite du jugement complet devrait être notifiée d'ici trois mois et les recourants disposeront alors de 20 jours pour rédiger leur recours. Selon les défenseurs, un nouveau procès devrait avoir lieu d'ici six mois ou une année si la cassation est admise. Si Fulgence Niyonteze ne devait toujours pas être acquitté, les avocats déclarent qu'ils iront jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Tout en ajoutant malicieusement que " s'il y a des faits nouveaux, une révision du procès reste possible en tout temps.
Réactions du public
Parmi le public qui a assisté à la lecture du verdict se trouvaient de nombreux Rwandais qui ont commenté le jugement en exprimant divers degrés de satisfaction. Une réaction "mitigée" a été enregistrée de la part de la Section suisse de l'association rwandaise de survivants du génocide IBUKA ("Souviens toi" en kinyarwanda). Son président, Gilbert Tshondo, a déclaré à l'Agence Hirondelle qu'il aurait préféré que le Tribunal d'appel suive l'appréciation des juges de première instance. Selon lui, Fulgence Nyonteze aurait joué un rôle plus important que celui reconnu aujourd'hui par le Tribunal. Gilbert Tshondo a toutefois exprimé sa satisfaction et salué le courage de la Suisse qui a arrêté et jugé l'ancien maire de Mushubati. "Nous espérons qu'elle (la Suisse) continue sur cette voie, car - a-t-il dit - nous pensons qu'il y a d'autres responsables sur le sol helvétique".
(JB/VB/DO/PHD/FH)