LA PARTIE CIVILE QUITTE LE PROCES AU TROISIEME JOUR

Lausanne, 14 avril 99 (FH) Le procès de l'ancien maire de la commune rwandaise de Mushubati, Fulgence Nyionteze, accusé d'assassinat et de crimes de guerre, se poursuivra devant le Tribunal militaire de division 2, en l'absence de toute partie civile. L'habitant de la commune qui s'était constitué partie civile à l'ouverture des débats a renoncé mercredi à cette qualité, pour pouvoir bénéficier de l'anonymat garanti aux témoins.

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Père de famille, ce Rwandais a perdu son épouse tutsie en mai 1994, assassinée par des miliciens Interahamwe dans la commune de Mushubati. Il avait été cité à comparaître comme témoin par le procureur. Il fait partie des onze témoins rwandais auxquels la justice militaire suisse a garanti l'anonymat lors de leur déposition au procès, pour éviter des représailles.

Sur la base d'une procuration signée début mars en faveur d'un avocat rwandais, sa participation au procès comme partie civile avait été acceptée par le tribunal militaire le premier jour du procès. Sa qualité de victime, en relation avec l'acte d'accusation dressé contre l'ancien maire, avait été reconnue par la Cour.

En dépit de l'absence d'une disposition légale à ce sujet dans le droit militaire, l'assistance judiciaire lui avait été accordée et un avocat genevois, également mandaté dans ce procès, désigné comme conseil d'office.

Obligation de choisir son statut

Arrivé mardi en Suisse comme témoin et placé sous la protection du Tribunal comme d'autres témoins venus avec lui du Rwanda, l'intéressé a été prié de choisir son statut par le président du Tribunal, le colonel Jean-Marc Schwenter. Le statut de partie civile en droit militaire ne permet pas de garantir l'anonymat de la personne qui se présente devant la Cour, a souligné le président.

Le Tribunal a en outre refusé de laisser ce "témoin" s'entretenir avec son avocat avant de prendre sa décision. S'exprimant dans sa langue maternelle, le kinyarwanda, par l'intermédiaire d'un interprète, l'intéressé a déclaré n'avoir pas clairement compris ette différence avant de venir et il finalement déclaré vouloir comparaître comme témoin seulement, pour pouvoir être protégé.

Avocat rwandais scandalisé

"Je suis scandalisé par le fait que le Tribunal ait fait signer à mon client une déclaration de retrait de partie civile, sans qu'il puisse me consulter" a déclaré à la presse l'avocat rwandais Me François Rwangampuhwe, venu de Kigali pour le procès. Selon cet avocat, il n'y a pas de différence au Rwanda entre témoin et partie civile, lorsqu'il s'agit d'une victime.

Au Rwanda, la notion de protection par l'anonymat n'existe pas, témoins et parties civiles se présentent à visage découvert, et "c'est l'Etat qui assure la protection de tous" a poursuivi l'avocat rwandais. Selon lui, "les victimes du génocide seront désormais absentes du prétoire".

Le conseil d'office de la partie civile, l'avocat genevois Jacques Emery, a fait part aux journalistes de son sentiment de gêne face à l'attitude du Tribunal. "Le droit d'être entendu et le droit à un procès équitable n'ont pas été respectés" par la désignation d'un seul conseil et l'impossibilité pour la victime de consulter son avocat avant de devoir choisir son statut. Me Emery n'exclut pas un recours, s'il est mandaté pour le déposer, mais il n'entend pas entraver la marche du procès.

Pour Me Olivier Russbach, un spécialiste du droit international également consulté pour la partie civile, la décision imposée à l'intéressé, sommé de choisir son statut, a été biaisée. La participation active d'une victime aux débats aurait pu influencer le sort du procès.

Résultat positif pour les ONG

Parlant au nom de la plate-forme d'organisations non gouvernementales créée il y a six mois pour réfléchir, diffuser et agir en matière de justice internationale, Pierre Vincke, de l'organisation belge Réseau des Citoyens, a relevé l'aspect positif de cette première reconnaissance du statut de partie civile devant une juridiction étrangère. L'action avait été décidée alors que l'affaire était en cours.

Pour Peter Vincke, "la parole de la victime est la dernière à émerger, pour des raisons psychologiques évidentes, mais juridiquement, ce n'est pas la parole la plus facile à faire valoir".

PHD/FH (FU§0414a)