Bernard Ntuyahaga a été condamné le 5 juillet dernier à 20 ans de réclusion pour l’assassinat de dix Casques bleus belges à Kigali, le 7 avril 1994, ainsi que pour les assassinats de plusieurs familles rwandaises et d’un « nombre indéterminé de personnes », selon les termes de l’acte d’accusation, entre le 6 avril et le 6 juin à Kigali.
164 personnes, en comptant les membres des familles des paras belges, étaient représentées en tant que parties civiles à ce procès.
Les juges, de même que lors du deuxième « procès Rwanda » de 2005, ont estimé que le droit rwandais devait s’appliquer pour le calcul des intérêts civils.
Des dispositions similaires aux codes civils belges et rwandais établissent, a argumenté la présidente Karin Gérard, que le cadre juridique de la responsabilité civile est la loi du pays où se sont déroulés les faits.
Une jurisprudence rwandaise fixe des montants d’indemnisation allant de 500 000 à 5 000 000 de francs rwandais selon le lien familial entre la victime et le plaignant. Les montants en euros sont calculés selon le taux de change en vigueur en 1994.
Contre toute attente, la Cour a largement reçu les constitutions de parties civiles rentrant dans la catégorie du « nombre indéterminé de personnes » assassinées à Kigali, sans qu’un lien de causalité entre ces victimes et les agissements de Bernard Ntuyahaga ait toujours dû être prouvé. Etablir le lieu (Kigali) et la date (entre le 6 avril et le 6 juin) de la mort d’un proche a, semble-t-il, paru suffisant à la Cour.
A rebours de cette ouverture, les magistrats, se basant sur les conditions exigées par le droit rwandais, ont été stricts sur les pièces à produire : ainsi nombre de ces parties civiles ont-elles été finalement déboutées par manque, selon les juges, de documents attestant d’un lien de parenté avec les victimes, absence de l’acte de décès, ou encore à cause d’actes de décès ne précisant pas où celui-ci a eu lieu.
Dans le même sens, l’Etat belge, qui demandait un euro provisionnel pour dommages matériels au titre de l’argent (2 412 525 francs belges) déjà versé en 1994 à chaque famille des Casques bleus, « n’est pas fondé à agir car il n’a produit aucune pièce établissant le versement de cette somme aux intéressés », est-il dit dans l’arrêt.
Les familles belges se sont vu pour leur part reconnaître des indemnités d’un total de près de 90 000 euros, également calculées selon la jurisprudence rwandaise.
Si l’Etat rwandais s’est vu reconnaître un euro provisionnel pour dommage moral en raison des « crimes de guerre » commis par Ntuyahaga qui ont « porté atteinte à son honneur et à sa considération face à la communauté internationale », les juges ont estimé manquer d’éléments pour évaluer les dommages matériels. L’Etat rwandais, par son conseil Me Serge Moureaux, avait notamment souligné la création d’un fonds d’assistance aux victimes. La Cour a décidé de surseoir à cette évaluation.
Elle surseoit aussi à la demande de Me Luc de Temmerman, avocat de Bernard Ntuyahaga, afin que l’Etat rwandais garantisse le versement aux victimes des indemnités. Me De Temmerman avait en effet estimé que le Rwanda devrait garantir ces sommes car il était l’employeur de son client, militaire au moment des faits.
Mais il s’agit d’une action civile devant une juridiction pénale, ont estimé les juges qui attendent davantage « d’explications » sur le fondement de cette demande.
Des avocats estiment qu’il s’agirait là d’un moyen pour les parties civiles rwandaises de toucher de l’argent, les conditions pour prétendre au fonds belge d’indemnisation des victimes des actes intentionnels de violence n’étant pas remplies dans ce genre d’affaires.
En 2005, en effet, des indemnités avaient été reconnues. Mais aucune somme n’a jamais pu être versée aux proches des victimes rwandaises, due à l’insolvabilité des condamnés que ne pallie aucun dispositif d’indemnisation. Lors du premier « procès Rwanda » de 2001, la Cour n’avait pas statué sur les intérêts civils.
Ces indemnités resteront également symboliques pour les familles belges, dont certaines ont déjà été indemnisées dans le cadre d’autres procédures.
Le procès de Bernard Ntuyahaga, qui s’est ouvert le 19 avril dernier et a duré 11 semaines, était le troisième en lien avec le génocide rwandais pour lequel la Belgique appliquait sa loi dite de « compétence universelle ».
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