Les forces russes maintenaient samedi leur pression sur les régions de l'est et du sud de l'Ukraine, particulièrement autour de Kharkiv dans le nord-est, où elles tentent coûte que coûte d'accentuer leur contrôle, en dépit, selon Kiev, de revers sur le terrain.
De violentes explosions ont été entendues dans la nuit de vendredi à samedi à Kharkiv, la deuxième ville du pays, pilonnée depuis des semaines par l'artillerie russe.
Vendredi, ces bombardements ont fait au moins un mort et plusieurs blessés, selon l'administration militaire régionale.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a reconnu que la situation dans cette région, où les forces russes ont recentré leur offensive, était "difficile". "Mais nos militaires obtiennent des succès tactiques", a-t-il affirmé.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a néanmoins assuré que "l'opération militaire spéciale" lancée le 24 février "se poursuivait conformément au plan", dans un entretien avec l'agence officielle chinoise Chine nouvelle publié samedi. Tous ses objectifs "seront atteints en dépit de l'obstruction de nos adversaires", a-t-il ajouté.
Selon Alexandre Bogomaz, le gouverneur de la région russe de Briansk, située au nord de l'Ukraine, "les systèmes de défense aérienne russes ont détecté un avion des forces armées ukrainiennes" samedi à 6h50 locales.
"Lors de l'exécution d'actions visant à empêcher l'objet d'entrer sur le territoire (russe), deux obus ont touché la colonie de Zhecha, district de Starodubsky", toujours dans la région de Briansk, sans faire de victimes mais où des bâtiments d'un terminal pétrolier notamment ont été endommagés par l'onde de choc, a-t-il dit sur Telegram.
Auprès de Chine nouvelle, Sergueï Lavrov a appelé "les États-Unis et l'Otan" à cesser leurs livraisons d'armes à l'Ukraine "s'ils sont vraiment intéressés à résoudre la crise".
L'aide militaire apportée à Kiev s'est fortement renforcée depuis le début du conflit et les effets commencent à se voir sur le terrain où les forces russes sont parfois en difficulté.
C'est notamment le cas à Rouska Lozova, un village repris par les Ukrainiens au nord de Kharkiv, d'où les forces russes pilonnaient la ville, selon eux. Plus de 600 habitants ont été évacués du village, occupé depuis deux mois, selon le ministère ukrainien de la Défense.
- "Comme l'enfer" -
"Ce furent deux mois de peur terrible. Rien d'autre. Seulement la peur, sans répit", a dit à l'AFP une femme évacuée, Natalia, 28 ans.
Avant d'ête libérés, "nous avons eu deux nuits qui ont été effrayantes, comme l'enfer... L'avant-dernière nuit, nous pensions que le ciel brûlait, que tout le village brûlait", a raconté Svitlana Perepilitsa, 23 ans.
"Nous sommes restés dans les sous-sols sans nourriture pendant deux mois, nous mangions ce que nous avions", a expliqué de son côté Sviatoslav, 40 ans, les yeux rougis de fatigue, refusant de donner son nom de famille.
Oleksandr Skachko, un habitant de Slatyne, près de Rouska Lozova, qui a également été repris par les troupes ukrainiennes, a déclaré que 15 personnes du village avaient été tuées. "Peu importe ce qu'on dit, peu importe ce que dit Poutine, notre peuple meurt ici", a lancé cet homme de 47 ans.
Plus au sud et à l'est, dans la région du Donbass que le Kremlin s'est fixé pour objectif de reprendre entièrement, "les occupants font tout pour détruire toute vie", a affirmé Volodymyr Zelensky, estimant que "les bombardements constants sur les infrastructures et les zones habitées montrent que la Russie veut rendre cette zone inhabitée".
Dans les régions de Donetsk et Lougansk, 14 attaques lancées par les forces russes ont été repoussées au cours des dernières 24 heures, a affirmé samedi l'état-major des forces ukrainiennes.
Selon un haut responsable du Pentagone, les forces russes "sont loin d'avoir fait la jonction" des troupes entrées par la région de Kharkiv, au nord du Donbass, avec celles venues du sud du pays, un des objectifs de l'armée russe pour prendre en tenaille les forces ukrainiennes déployées sur la ligne de front autour des zones séparatistes de Donetsk et Lougansk.
Mais "nous pensons qu'ils continuent de créer les conditions d'une offensive soutenue, plus vaste et plus longue", a-t-il ajouté.
Pour mieux affirmer leur détermination, les forces russes ont clairement assumé vendredi avoir bombardé la veille la capitale Kiev, au moment précis où s'y trouvait le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. Ce bombardement, vivement condamné par l'Allemagne et la France, a fait dix blessés et au moins un mort.
- "Humiliation brutale" -
M. Zelensky a regretté, dans un message vidéo vendredi soir, "qu'une humiliation aussi brutale et délibérée des Nations unies soit restée sans réponse".
Washington a de son côté accusé vendredi le président Vladimir Poutine de "dépravation" et de "cruauté" pour la façon dont les forces russes se comportent en Ukraine.
M. Guterres est allé jeudi à Boutcha et dans d'autres lieux proches de Kiev théâtres d'exactions imputées par l'Ukraine aux forces russes et a exhorté Moscou à "coopérer" avec l'enquête de la Cour pénale internationale sur de possibles crimes de guerre.
Parallèlement, les services de la procureure générale d'Ukraine Iryna Venediktova ont révélé que dix soldats russes avaient été inculpés pour des crimes de guerre présumés à Boutcha.
C'est la première mesure de ce type prise depuis que les corps de vingt personnes portant des vêtements civils ont été découverts le 2 avril par l'AFP gisant dans une rue de cette localité, suscitant condamnation et émoi à travers le monde.
Les Ukrainiens ont accusé les Russes, mais Moscou a démenti toute responsabilité et parlé d'une "mise en scène" de Kiev.
"Plus de 8.000 cas" présumés de crimes de guerre ont au total été identifiés en Ukraine, a affirmé la procureure.
À Marioupol, ville portuaire dans le sud-est de l'Ukraine, une opération d'évacuation était prévue vendredi.
Mais Denis Pushilin, chef de la région séparatiste orientale de Donetsk, a accusé les forces ukrainiennes "d'agir comme des terroristes purs et simples" et de détenir des civils en otages dans le complexe métallurgique d'Azovstal.
Plusieurs centaines de militaires et de civils ukrainiens sont retranchés dans des galeries souterraines à Azovstal.
L'AFP a pu entendre vendredi matin et jusqu'au milieu de l'après-midi des bombardements nourris à Azovstal, lors d'un voyage de presse organisé à Marioupol par l'armée russe.
Sur le front diplomatique, alors que le président russe a été invité comme son homologue ukrainien au sommet du G20 prévu en novembre en Indonésie, les Etats-Unis ont dit refuser de traiter avec Vladimir Poutine "comme si de rien n'était".