Génocide au Rwanda: un ancien préfet jugé à partir de lundi à Paris

C'est le plus haut responsable jamais jugé en France pour le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994: vingt-huit ans après, le procès de l'ancien préfet rwandais Laurent Bucyibaruta s'ouvre lundi devant la cour d'assises de Paris.

Il s'agit de la quatrième affaire jugée par la France pour des crimes liés au génocide qui a fait au moins 800.000 morts en 100 jours au Rwanda, essentiellement issus de la minorité tutsi, mais aussi des Hutu modérés.

Après un officier militaire, deux bourgmestres et un chauffeur, Laurent Bucyibaruta, réfugié en France depuis 1997, est celui qui administrativement avait le rang le plus élevé.

Il est reproché à l'ex-préfet de Gikongoro (sud), une des régions où les tueries furent les plus violentes, d'avoir organisé ou participé à plusieurs réunions au cours desquelles ont été planifiés des massacres, en incitant notamment au regroupement de Tutsi et à leur extermination.

L'ancien fonctionnaire, sous contrôle judiciaire, encourt à 78 ans la réclusion à perpétuité pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité.

Laurent Bucyibaruta "conteste depuis le début ces accusations", ont déclaré à l'AFP ses avocats, MMe Jean-Marie Biju-Duval, Joachim Levy et Ghislain Mabanga Monga Mabanga, qui "vont plaider l'acquittement".

Le procès, prévu pour durer dix semaines, doit s'ouvrir lundi après-midi avec l'examen de conclusions de la défense demandant l'annulation des poursuites engagées il y a vingt-deux ans.

Si elle ne fait pas droit à cette demande, la cour d'assises pourra commencer à examiner le fond de l'affaire.

- Pas un "subalterne" -

Une centaine de témoins doivent être auditionnés, venus du Rwanda ou en visioconférence.

Le planning a été aménagé compte tenu de l'état de santé de l'accusé, et les audiences seront en principe limitées à sept heures par jour.

"On court derrière le temps. Tout ce qu'on espère, c'est que ça ne sera plus retardé, qu'il sera assez vaillant pour écouter ce qui est dit et être confronté" aux accusations, souligne Etienne Nsanzimana, président d'Ibuka France, une association de rescapés.

L'enquête lie l'ex-préfet à six scènes principales de massacres, qui ont fait des dizaines de milliers de morts.

"Sa défense est de dire +je n'ai rien pu faire, j'étais dépassé+. Mais il était préfet, donc responsable", estime Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR).

Fonctionnaire depuis près de trente ans au moment des faits, une carrière d'une exceptionnelle longévité, Laurent Bucyibaruta était pour l'accusation "un homme rompu à l'exercice du pouvoir".

"Ce n'est pas le subalterne qui peut faire semblant qu'il ne savait pas ce qui se passait. C'est inaudible, insupportable pour les victimes", tacle Me Rachel Lindon, avocate d'ONG parties civiles et d'un Rwandais dont la famille a été massacrée dans une église.

"Il était l'incarnation, dans cette préfecture, du pouvoir national, c'est lui qui avait tout pouvoir sur ce territoire", renchérit Me Emmanuel Daoud, avocat de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), à l'origine de la plainte en 2000.

- Tueries -

Dans la préfecture de Gikongoro, comme ailleurs au Rwanda, les tueries débutent peu après l'attentat contre le président hutu Juvenal Habyarimana le 6 avril 1994.

L'école technique en construction de Murambi, sur la commune de Nyamagabe, est le théâtre du massacre le plus effroyable de la région, et l'un des plus sanglants du génocide dans ce petit pays d'Afrique. Le site est depuis devenu un mémorial.

Le 21 avril 1994 vers 03h00 du matin, des dizaines de milliers de réfugiés tutsi, regroupés sur le site à l'initiative du préfet qui leur assurait "protection", sont encerclés et tués. Une poignée survit, en prenant la fuite ou en se cachant parmi les cadavres.

Les tueries se poursuivent dans la journée dans deux paroisses voisines, où des Tutsi avaient espéré gagner un sanctuaire.

Laurent Bucyibaruta est également renvoyé pour sa responsabilité dans le massacre d'environ 90 élèves tutsi à l'école Marie Merci de Kibeho, le 7 mai 1994, et l'exécution de prisonniers tutsi, dont trois prêtres, à la prison de Gikongoro, des accusations qu'il conteste également.

Il a en revanche bénéficié d'un non-lieu concernant le meurtre d'un gendarme rwandais et les viols de femmes tutsi par des miliciens.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) avait un temps réclamé Laurent Bucyibaruta, mais il s'était finalement dessaisi au profit des juridictions françaises.

Justice Info est sur WhatsApp
Découvrez notre première Chaîne WhatsApp et recevez, en temps réel, une notification pour chaque publication mise en ligne sur notre site, avec un résumé et des extraits ou citations. Chaque soir, vous aurez accès à notre revue des dépêches AFP du jour. Chaque fin de semaine, un récapitulatif de nos publications.
Poursuivez la lecture...