09.05.08 - TPIR/SYNTHESE HEBDOMADAIRE - CHOC AU TPIR APRES LA DISPARITION D’UN TEMOIN

Arusha, 9 mai 2008 (FH) - Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est resté sous le choc depuis la disparition, mardi, d’un témoin protégé qui s’apprêtait à comparaître dans un procès en cours.

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C’est la première fois qu’un tel incident survient depuis le début des procès il y a onze ans.

Le témoin, un Rwandais seulement désigné par le nom de code GFA, avait été rappelé à la barre après avoir admis qu’il avait fait un faux témoignage dans une précédente déposition. Il a disparu alors qu’il était hébergé dans « une maison sécurisée » sous la garde d’éléments de la police tanzanienne, supervisés par des agents du TPIR, quelques heures seulement avant sa nouvelle comparution.

La police tanzanienne, en collaboration avec le service de sécurité du TPIR, a lancé une opération visant à le retrouver. Le chef de la police tanzanienne à Arusha, Basilio Matei, a clarifié que le rôle de ses hommes se limitait à contrôler l’entrée de la maison sécurisée et que toutes les opérations à l’intérieur de l’enceinte relevaient de la responsabilité du tribunal.

Basilio Matei a déclaré à l’agence Hirondelle que les premières informations tendent à indiquer que le témoin aurait sauté par-dessus le mur de la maison sécurisée, alors qu'il effectuait des exercices physiques. Dans la maison, il a cependant laissé un message expliquant qu'il se rendait chez son amie, sans indiquer le nom de cette dernière ni le lieu où elle réside, a expliqué le responsable.

Dans ce message, le témoin se plaint de ne pas avoir reçu les 400 dollars qu’il attendait pour pouvoir les envoyer à sa famille. Les témoins protégés qui viennent devant le TPIR sont indemnisés à hauteur de 20 USD par jour.

GFA avait témoigné pour l’accusation dans plusieurs procès, dont celui de 4 ex-ministres du gouvernement intérimaire en place pendant le génocide de 1994.

Parmi les accusés, figure l’ex-ministre des affaires étrangères, Jérôme Bicamumpaka.

Récemment, GFA avait contacté la défense de Bicamumpaka pour lui dire qu’il avait menti lors de son témoignage à charge, en échange de sa libération d’une prison du Rwanda où il était poursuivi pour des crimes en rapport avec le génocide de 1994.

La chambre avait alors autorisé les défenseurs de l’ex-ministre à aller rencontrer à Kampala (Ouganda) le témoin en présence d’un représentant du procureur.

Avant d’entendre sa nouvelle déposition, à son retour à Arusha, la chambre lui a d’abord expliqué qu’un faux témoignage est passible de sanctions. Il a alors demandé l’ajournement pour bénéficier de l’assistance de juristes. Après avoir rencontré de nouveau des avocats, il aurait dû comparaître mardi, le jour de sa disparition.

Mercredi et jeudi, la défense de Bicamumpaka a fait comparaître Johann Swinnen, qui était ambassadeur de Belgique au Rwanda en 1994. Le diplomate a rencontré l’ancien ministre Bicamumpaka, le 9 avril 1994, peu après la prestation de serment du gouvernement intérimaire. Bicamumpaka s’était rendu à la résidence de l’ambassadeur en compagnie de deux de ses collègues au gouvernement.

Selon l’ambassadeur, les ministres voulaient expliquer l’extrême difficulté dans laquelle se trouvait le gouvernement intérimaire. Ils ont déclaré que le gouvernement était cependant déterminé à restaurer la paix et la sérénité dans le pays et entamer un travail de reconstruction. Le diplomate leur a répondu que certaines conditions devaient être remplies pour permettre d’engager un dialogue serein et crédible avec son pays.

On attendait de « voir rapidement, pour ne pas dire immédiatement, des gestes, des signaux positifs et convaincants », a indiqué Johann Swinnen. Bruxelles n’a jamais reconnu le gouvernement intérimaire rwandais.

Johann Swinnen est arrivé au Rwanda le 16 août 1990. Il a quitté ce pays le 12 avril 1994, évacué par les militaires belges. Il est actuellement ambassadeur de son pays à Kinshasa. Lors de son témoignage, Johann Swinnen a déploré qu’aucune enquête sérieuse sur l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana n’ait abouti. « Ca m’étonnera toujours qu’on n’ait pas réussi à mener une enquête sérieuse aboutissant à des résultats» a-t-il dit.

« Je serais le dernier à affirmer quoique ce soit mais beaucoup de questions sont sans réponse » a-t-il ajouté. « Nous devons avoir l’honnêteté intellectuelle, morale, politique d’admettre que beaucoup de choses n’ont pas trouvé de réponse » a-t-il souligné.

Les débats se sont par ailleurs poursuivis dans le procès « Karemera et autres » dans lequel comparaissent trois anciens dirigeants de l’ex-parti présidentiel. Les accusés sont Edouard Karemera, Matthieu Ngirumpatse et Joseph Nzirorera, tous membres du comité directeur du parti.

Le Tribunal a notamment entendu cette semaine, le témoin protégé XQL, une femme cadre du parti présidentiel. Elle a été citée par la défense de Karemera. Lors du contre-interrogatoire par le procureur, Mme XQL s'est vue demander si elle n’avait pas été, à un moment de sa vie, fiancée avec Juvénal Habyarimana, l'ancien chef de l’Etat.

«J’appelle ça des démarches de macho» a répondu le témoin, très indigné, expliquant qu’il est malheureux de penser qu’une femme ne peut accéder à un poste de responsabilité sans se servir de ses charmes. Les avocats de la défense ont crié au « scandale » et à « l’outrage ».

A noter enfin que le tribunal a commencé cette semaine un nouveau procès. Il s’agit de celui de Callixte Kalimanzira, un ancien haut fonctionnaire rwandais poursuivi pour génocide.

Le procès a démarré lundi après plusieurs retards. Né en 1953 dans le commune de Muganza, dans la préfecture de Butare (sud), l’accusé, un agronome de formation, répond de trois chefs : génocide, complicité dans le génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide. Kalimanzira plaide non coupable.

« Kalimanzira a participé aux campagnes génocidaires dans la préfecture de Butare », a déclaré à l’ouverture du procès, Christine Graham, représentant le bureau du procureur. Il jouissait, à Butare, a-t-elle poursuivi « d’un pouvoir, d’une autorité et d’une influence » dont il a abusé en incitant la population hutue à tuer les Tutsis en plusieurs endroits de la préfecture. Mme Graham a accusé Kalimanzira d’avoir joué « un rôle clé » dans le massacre vers fin avril 1994 de plus de 20.000 Tutsis qui avaient cherché refuge sur la colline de Kabuye, dans la commune de Ndora. « Des réfugiés tutsis se sont approchés de lui, lui ont demandé de l’aide mais au lieu de cela, il a encouragé les assaillants à poursuivre le massacre », a assené la représentante du procureur.

AT/PB/GF

© Agence Hirondelle