Brésil: Bolsonaro donne des ailes aux nostalgiques de la dictature

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En ordonnant des commémorations du 55e anniversaire du coup d'Etat qui a instauré un régime militaire au Brésil de 1964 à 1985, le président d'extrême droite Jair Bolsonaro a suscité des critiques, mais aussi ravivé la flamme des nostalgiques des années de plomb.

Le chef de l'Etat brésilien, entré en fonction en janvier, "ne considère pas le 31 mars 1964 comme un coup d'Etat militaire", mais comme un moyen de faire rempart au communisme, a indiqué le porte-parole de la présidence au moment d'annoncer ces commémorations prévues dimanche dans les casernes.

Un organe du Parquet fédéral, responsable de la Défense des droits du citoyen, a fustigé cette "initiative qui sonne comme une apologie de la pratique d'atrocités", ajoutant que ces cérémonies sont "incompatibles avec l'Etat de droit démocratique".

Selon un rapport publié en 2014 par la Commission nationale de la vérité, 434 assassinats ont été perpétrés au cours des 21 ans de régime militaire, sans compter les centaines de détentions arbitraires et cas de torture d'opposants.

Plusieurs appels à manifester ont par ailleurs été lancés pour la journée de dimanche sur les réseaux sociaux, notamment à Rio de Janeiro et Sao Paulo, sous le slogan "Dictature, plus jamais".

- "Restaurer la vérité" -

Mais Jair Bolsonaro, ex-capitaine de l'armée dont le gouvernement comprend huit militaires parmi les 22 ministres, a également reçu de nombreux messages de soutien.

La députée Joice Hassemmann, leader du Parti social libéral (PSL) de Bolsonaro au Congrès, a déclaré sur Twitter que ces commémorations visaient à "restaurer la vérité" de l'histoire. "Vous pouvez hurler, vous êtes libres de pleurer, mais grâce aux militaires, le Brésil aussi a été libéré", a-t-elle ajouté.

"Le Brésil se doit de célébrer le 31 mars, date à laquelle nous étions sur le point de basculer dans le communisme. Nous aurions pu connaître le sort du Venezuela ou de la Corée du Nord", a affirmé à l'AFP Heitor Freire, un autre député du PSL fraîchement élu.

Mais la presse brésilienne fait état de divergences parmi les militaires au sein du gouvernement, qui préfèreraient une posture plus discrète à ce sujet.

Jair Bolsonaro, 64 ans, est le premier président du Brésil à faire ouvertement l'apologie de la dictature militaire depuis le retour à la démocratie en 1985.

En 2011, la présidente Dilma Rousseff (gauche), ex-guérilléra torturée lors des années de plomb, avait interdit à tous les corps de l'armée quelque commémoration que ce soit de la dictature.

Cela n'avait pas empêché M. Bolsonaro, alors député, de se poster plusieurs années de suite devant le ministère de la Défense, un fumigène à la main, pour célébrer la date du 31 mars, notamment en 2014 lors du cinquantenaire.

En 2016, lors du vote de destitution de Dilma Rousseff à la Chambre des députés pour maquillage des comptes publics, il avait dédié son vote au colonel qui était le chef du renseignement sous la dictature et qui était un tortionnaire notoire.

La même année, lors d'un entretien à la radio Jovem Pan, l'ancien parachutiste avait déclaré que "l'erreur de la dictature a été de torturer sans tuer".

Une fois au pouvoir, il a continué dans la même veine, tressant notamment des lauriers aux dictatures d'Alfredo Stroessner (1954-1989) au Paraguay et d'Augusto Pinochet (1973-1990) au Chili, lors de visites officielles dans ces deux pays.

- Impunité -

Pour l'historien Carlos Fico, de l'Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), la posture du président Bolsonaro est un exemple classique de négationnisme.

"C'est un discours purement idéologique. Il y a toujours eu au Brésil des tentatives de rendre légitime le régime militaire, mais les preuves sont indiscutables", explique-t-il.

"Il n'y a pas le moindre doute sur le fait qu'il s'agissait d'un coup d'Etat militaire avec le soutien de civils, au nom de la lutte contre le communisme", renchérit Paulo Sergio Pinheiro, ministre des Droits de l'Homme sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002).

Mais, selon lui, l'impunité des crimes du régime militaire au Brésil a suscité une sorte d'amnésie collective.

"Contrairement à l'Argentine, au Chili ou à l'Uruguay, où les crimes de la dictature ont été punis, ce ne fut pas le cas ici, en raison de l'auto-amnistie que le régime s'est octroyé en 1979 (en échange de l'amnistie des opposants au régime en cas de retour au Brésil)", conclut M. Pinheiro.

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