02.07.07 - TPIR/TEMOINS - PREMIERE POURSUITE POUR FAUX TEMOIGNAGE DEVANT LE TPIR (ECLAIRAGE)

  Arusha,  2 juillet  2007 (FH) -  L’acte d’accusation lancé récemment devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour faux témoignage est une première dans un tribunal où aucun procès n’a été exempt de ce type de soupçon.

5 min 42Temps de lecture approximatif

Cet acte fait suite à une enquête indépendante lancée en 2005 par le procureur en chef Hassan Bubacar Jallow à la suite d’accusations lancées lors du procès en appel de Jean de Dieu Kamuhanda, ancien ministre rwandais de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture. D’autres cas ont antérieurement été invoqués mais n’ont jamais été poursuivis.   La problématique des « faux témoins » est régulièrement soulevée tant du côté de l’accusation que de la défense. Parmi les précédentes procédures, certaines plaintes ont été abandonnées faute de preuves, d’autres, comme dans l’affaire Nsengiyumva (ancien officier) où la défense avait déposé une requête en juillet 2003, n’ont tout simplement rien donné.   Jean de Dieu Kamuhanda a été condamné à la prison à perpétuité en janvier 2004. Pendant le procès en appel, deux témoins à charge se rétractent. Une enquête pour faux témoignage ou outrage à la cour est diligentée en mai 2005.   La Chambre d’appel confirmera la peine en septembre 2005 sans attendre les résultats de l’investigation menée par une magistrate américaine indépendante du TPIR, Loretta Lynch.   Cette procédure pour faux témoignage pourrait avoir d’importantes conséquences pour l’affaire Kamuhanda close depuis trois ans. En effet, le témoin GAA visé par l’acte d’accusation, était l’un des principaux à avoir déposé contre l’ex-ministre. Il pourrait être envisagé, sur la base de ces faits nouveaux, une demande en révision.   Cette affaire a connu un nouveau bouleversement avec l’arrestation au Rwanda d’un avocat rwandais, Léonidas Nshogoza, qui était membre de l’équipe de défense de Kamuhanda. Dans une autre affaire, les autorités rwandaises lui reprochent d’avoir tenté d’amener un témoin à revenir sur des déclarations faites en faveur de l’accusation.   Tant les dossiers du TPIR que du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) sont principalement construits sur des témoignages.   Devant le TPIR, beaucoup de témoins sont des repentis. D’autres ont été jugés par les juridictions rwandaises et certains avouent d’ailleurs y avoir menti pour « sauver [leur] peau ».   La défense s’insurge souvent et accuse certains d’être des « témoins fiction », « menteurs effrontés et patentés » ou encore d’être une « clique de délateurs ». Elle considère qu’il ne peut pas être accordé une grande force probante à ce genre de témoignages.   De nombreux témoignages sont en tout cas fragiles. Lorsque les témoins se présentent au procès, c’est plus d’une dizaine d’années après les faits et les déclarations ne sont parfois pas identiques aux premières faites devant les enquêteurs. Il n’est alors pas rare que les témoins passent de la liste de l’accusation à celle de la défense et vice versa.   Le TPIY n’a connu qu’une seule histoire de faux témoignage en 1996. Dragan Opacic, condamné à 10 ans de prison pour génocide et crimes de guerre par une juridiction de Bosnie-Herzégovine, avait été appelé à témoigner contre Dusko Tadic, ex-membre dirigeant du Parti démocrate serbe et ex-membre des forces paramilitaires.    Après son témoignage, l’accusation faisait savoir à la Chambre de première instance qu’elle ne considérait plus le témoin comme de bonne foi. Deux mois plus tard, la Chambre ordonnait une investigation. Après enquête, le procureur n’avait finalement pas considéré que le cas du témoin justifie des poursuites au titre de l’article 91du Règlement, la Chambre ordonna toutefois le retour en Bosnie-Herzégovine du témoin détenu.   Quand il ne s’agit pas de « faux témoins », ce sont les parties qui s’accusent de subornation ou de pression sur les témoins. Dans l’affaire Kamuhanda, la demande d’enquête de la Chambre d’appel portait à la fois sur un faux témoignage et sur l’attitude de deux anciens membres de la Section d’aide aux victimes et aux témoins du TPIR qui caractériseraient un outrage au Tribunal (menace, intimidation, lésion ou tentative de corruption).   L’acte d’accusation déposé par le procureur, qui se disait impatient de poursuivre, ne concerne aucun membre du TPIR. Il ne fait pas non plus mention des faits de subornation soupçonnés dans l’affaire Hassan Ngeze (ancien journaliste) également visés par l’enquête engagée en 2005.   Tandis  que le TPIR ne connaît pas de poursuites antérieures pour outrage, seize affaires ont déjà été traitées par le TPIY. Treize ont concerné la divulgation d’identité de témoins protégés dont cinq ont également porté sur des intimidations ou des pressions. Les poursuites ont abouti à sept condamnations. Devant le TPIY, l’outrageant, comme le responsable d’un faux témoignage, risque sept ans de prison contre cinq ans devant le TPIR.   La poursuite de l’outrage à la cour par les tribunaux internationaux organisée par l’article 77 du Règlement de procédure et de preuve, résulte, selon la jurisprudence du TPIY principalement, de leur pouvoir inhérent de sanctionner toute entrave à la bonne administration de la justice dans le but de garantir que leur « fonction judiciaire fondamentale [soit] sauvegardée » (affaire Tadic, arrêt du 31 janvier 2000 relatif aux faits d’outrage allégués à l’encontre de Milan Vujin). Elle vise également à veiller à ce que la protection des témoins organisée par les tribunaux ne soit pas vaine.   Sur ce point, les deux tribunaux internationaux ne mènent pas la même politique. Ceci étant, la protection des témoins venant du Rwanda ou de l’ex-Yougoslavie n’a pas la même portée. Il est avéré que celle organisée au Rwanda est secret de polichinelle. Le territoire est petit et les liens communautaires sont très forts, ce qui met facilement en échec un programme de protection puisque celle-ci devient rapidement de notoriété publique. La garantie de la protection des témoins, et donc son éventuelle sanction, est un problème complexe pour le TPIR.   Les rapports annuels du TPIR rappellent régulièrement que « sans témoins, il n’y aurait pas de procès » car en vertu de la règle de la common law, ils sont la principale source d’informations et de preuves. « Aucun témoin n’acceptera de venir à Arusha pour déposer s’il ne se sent pas convenablement protégé»  a répété le TPIR. Sans pour autant prendre de position ferme à ce sujet.   AV/PB/AT © Agence Hirondelle