Éclairage

Génocide des Tutsis au Rwanda : causes, déroulement et justice

De la période coloniale à la tragédie du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, ce petit pays d’Afrique a été témoin d'une histoire marquée par la violence politique et les tensions communautaires ou ethniques. Au milieu des traumatismes indélébiles, la quête de justice a émergé comme un pilier essentiel de la reconstruction nationale. Des tribunaux nationaux et internationaux ont été mis en place, tels que les tribunaux gacaca et le Tribunal pénal international pour le Rwanda. À travers ces mécanismes, le Rwanda a cherché à punir le crime, à réconcilier la société et à consolider la paix. Retour sur l’histoire du génocide au Rwanda et sur son traitement en justice.

Génocide des Tutsis au Rwanda - Un homme est jugé au milieu de la population dans un tribunal
Un détenu accusé de génocide s'apprête à faire face aux membres de sa communauté lors d'une séance de jugement Gacaca, le 16 octobre 2001 à Runda (Ouest de Kigali, Rwanda). © Marco Longari / AFP
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Cet article est la première publication de notre rubrique « Éclairages ». Conçue afin de faciliter l’accès à Justice Info, elle ouvre une porte d’entrée sur la justice internationale pour entrer dans la complexité de façon non compliquée.


Les racines du conflit rwandais

Les origines de l'identité Hutu et Tutsi

Le génocide des Tutsis au Rwanda dans les années 1990 a marqué les esprits, avant de devenir une matière de travail importante pour la justice internationale. Pour le comprendre, il convient de revenir sur qui sont les Hutus et qui sont les Tutsis. "Hutu" dériverait du mot rwandais "untu" qui signifie "propriétaire du sol" ou "cultivateur". Les Hutus étaient principalement des agriculteurs. "Tutsi” est souvent interprété comme dérivant de "utusi" qui signifie "celui qui possède du bétail". Ils étaient principalement des éleveurs.

Une troisième composante de la société rwandaise sont les Twas, peuple pygmée très minoritaire mais le plus anciennement installé dans la région et vivant surtout de la cueillette.

Pouvoir et rivalités entre les deux principales communautés ethniques

Ainsi se distinguent les deux principaux groupes : le premier est associé à l’agriculture, le second à l’élevage. Ils partagent cependant la même langue, les mêmes croyances et la même culture. L’intermariage est commun. Le passage d’un groupe à l’autre est possible. Les lignages claniques peuvent également être mixtes. D’où le fait que certains chercheurs ne considèrent pas les deux groupes comme des ethnies.

Avant la période coloniale, qui démarre en 1850, les Tutsis forment cependant une élite dirigeante, notamment autour du roi, le mwami. Celui-ci ne contrôle pourtant pas l’ensemble du territoire contemporain du Rwanda : dans le nord-ouest, des chefs hutus lui disputent son autorité.

La colonisation belge et l’instrumentalisation de la division ethnique

La division de l’Afrique et la colonisation belge

Au XIXème siècle, les puissances européennes s’intéressent aux richesses de l’Afrique. Les pays colonisateurs occupent alors plusieurs parties du continent. Afin d’y mettre de l’ordre et de régler les différends entre les puissances, la conférence de Berlin se tient de novembre 1884 à février 1885. C’est l’heure du grand partage colonial.

Les territoires africains sont attribués aux puissances coloniales en fonction de leurs possessions et de leur présence effective sur le terrain à ce moment-là, sans tenir compte des réalités ethniques, culturelles ou historiques des peuples indigènes. Le Ruanda-Urundi, qui comprend le Rwanda et le Burundi actuels, est attribué à l’empire allemand.

Après la défaite de l'Allemagne lors de la Première guerre mondiale, la Belgique obtient un mandat de la Société des Nations (organisation internationale créée dans le but de promouvoir la paix et la coopération entre les nations) pour administrer le Ruanda-Urundi.

Le système de classification et de favoritisme racial : diviser pour régner

Au Rwanda, la Belgique met en place un système de gouvernance basé sur la division ethnique et exerce un contrôle direct sur le territoire. Jugeant les Tutsis plus proches des Européens en raison de leur apparence physique présumée et de leur statut socio-économique supérieur, la Belgique les favorise. Les chefs tutsis administrent les régions et collectent les impôts, attisant les tensions avec les Hutus.

Les Belges figent les identités ethniques, jusque-là perméables, en établissant des cartes d’identification ethniques. La hiérarchisation entre les groupes n’est plus une question de statut socio-économique, elle est rigidifiée et se base sur des critères physiques tels que la taille, la forme du nez et la texture des cheveux. On devient irrémédiablement Tutsi ou Hutu par le père.

L'indépendance et l’escalade de la violence

De 1959 à 1990 : lutte pour l’indépendance et discrimination des Tutsis

A la fin des années 1950, la volonté d’indépendance face au régime belge s’intensifie au Rwanda et s’accompagne de violences entre Hutus et Tutsis. En 1959 a lieu un premier soulèvement hutu appelé la « révolution sociale ». Des premiers pogroms anti-Tutsis ont lieu et contraignent des milliers d’entre eux à fuir en Ouganda, au Burundi ou au Congo-Kinshasa.

En 1962, la nation obtient son indépendance vis-à-vis de la Belgique. Les Hutus prennent le pouvoir. Les Tutsis sont alors marginalisés, discriminés, ou contraints à l’exil.

En juillet 1973, Juvénal Habyarimana, un général hutu, prend le pouvoir. Il impose un régime de parti unique, le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement). Un système de quotas ethniques est fixé pour l’accès à l’éducation ou à la fonction publique.

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Entre Guerre civile et espoir de paix

La guerre civile de 1990

Au cours des années 80, les Tutsis exilés réclament de plus en plus le droit de retourner dans leur pays d’origine. Une partie d’entre eux décide que ce droit doit également être obtenu par les armes. Le Front patriotique rwandais (FPR) est créé en Ouganda.

A partir de 1990 et la fin de la guerre froide, la pression s’accroît sur le régime Habyarimana pour qu’il se démocratise et trouve une solution à la question des réfugiés. En parallèle, le parti politique de Habyarimana crée les Interahamwe, des milices composées de jeunes Hutus radicalisés et utilisés pour soutenir son régime. Ils promeuvent la propagande ethnique, recrutent des membres, organisent des entraînements militaires et mènent des attaques violentes contre les Tutsis et les opposants politiques.

En octobre 1990, le FPR attaque militairement le Rwanda à partir de l’Ouganda. Les Forces armées rwandaises (FAR) stoppent, dans un premier temps, le groupe rebelle grâce à l’intervention de l’armée française. Mais la guerre civile s’installe, avec une nouvelle percée du FPR, en février 1993, dans le nord du pays, qui l’amène à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, Kigali, provoquant un massif déplacement de populations hutues à l’intérieur du pays. Le Rwanda compte alors près d'un million de déplacés, soit un septième de la population. L’offensive du FPR est à nouveau arrêtée grâce à l’appui militaire français.

Dès le début du conflit, les représailles contre la population civile tutsie font partie de la stratégie des partisans d’Habyarimana. Des arrestations massives ont lieu ainsi que de nouveaux massacres localisés. Parmi les Hutus, la peur du FPR s’enracine, attisée par une propagande de plus en plus virulente.

Simultanément, un processus de démocratisation interne se développe. Le multipartisme est rétabli et une opposition démocrate hutue conteste avec un succès grandissant le pouvoir du MRND. Démocratisation et radicalisation politique se renforcent mutuellement, sur fond de menace armée.

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Les accords de paix d’Arusha et la création d’un gouvernement de transition

L’espoir de paix naît en 1992 lorsque le président Habyarimana et le FPR conviennent de mettre un terme au conflit armé. Les négociations durent de juin 1992 à août 1993. Elles ont lieu à Arusha, en Tanzanie, et aboutissent à un plan de partage du pouvoir, comprenant une démilitarisation progressive et la création d’une nouvelle armée nationale intégrant les combattants du FPR et la facilitation du retour des réfugiés rwandais.

Des réformes politiques sont prévues avec la création d’un gouvernement de transition dirigé par l’opposition hutue. Les accords d’Arusha, comme on les appelle, prévoient aussi l’envoi de plus de 2.000 casques bleus de l’Onu et le retrait, fin 1993, de l’armée française.

La mise en place de ces accords et l’installation des forces de l’Onu font cependant l’objet de multiples obstacles et retards.

1994: début du génocide

L'échec des accords de paix

L’installation du gouvernement de transition tarde à être mis en place et la tension ne cesse de croître dans les mois qui suivent la signature des accords d’Arusha. Les partis politiques se scindent entre partisans et opposants des accords. Les extrémistes hutus se rassemblent dans la mouvance dite « power ».

Les « médias de la haine » se propagent. Le plus célèbre d’entre eux est la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM). Kabuga, membre de la famille présidentielle et extrémiste hutu, en est le principal financier et président de son conseil d’administration. Les programmes de la RTLM, au ton moderne, attisent la tension ethnique et appellent à l’élimination des Tutsis.

De son côté, le FPR renforce son armement et est accusé de perpétrer des attentats.

L'assassinat du président Habyarimana : Un tournant fatal

Le 6 avril 1994 marque un tournant fatal. Ce soir-là, le président Habyarimana rentre à Kigali en avion, accompagné par le nouveau président burundais Cyprien Ntaryamira (un Hutu) et quelques dignitaires du régime rwandais. Alors que l’avion est sur le point d’atterrir, il est touché par deux missiles, tuant instantanément toutes les personnes à bord.

L’identité des auteurs de l’attentat n’a jamais été établie. De multiples théories ont circulé, dont les deux les plus notoires désignent les extrémistes hutus, qui auraient voulu éliminer Habyarimana jugé trop favorable au partage du pouvoir, ou le FPR, qui aurait ainsi provoqué la reprise de la guerre pour s’emparer seul du pouvoir.

L'implication de la population civile dans les massacres

Les violences débutent dans la nuit du 6 au 7 avril. Dans la matinée du 7, plusieurs des principaux dirigeants hutus et tutsis favorables aux accords de paix d’Arusha sont assassinés, ainsi que dix casques bleus belges chargés (en vain) de la protection de la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, exécutée avec son mari par la garde présidentielle.

Le génocide des Tutsis commence. Ils sont systématiquement massacrés aux barrières érigées partout dans le pays, dans les églises, sur les collines. Pendant trois mois, le pays est entraîné dans une violence inouïe. Les assaillants sont armés de machettes, de houes et de gourdins cloutés. Ils sont appuyés par les gendarmes, les policiers et les militaires. Toute la population hutue est puissamment encouragée à participer aux tueries, y compris par les autorités civiles, transformant la coutume de l’umuganda, journée de travail collectif, en devoir de tuer. La RTLM appelle directement au meurtre, guide les tueurs dans leur traque, indique les Tutsis encore vivants ou cachés. Militants des droits humains et opposants hutus sont systématiquement visés par les miliciens.

Les troupes du FPR, de leur côté, commettent aussi des crimes contre l’humanité.

Le nombre de victimes demeure controversé. Les estimations vont de 600,000 à plus d’un million de morts. Une partie considérable des Tutsis du Rwanda est exterminée dans des circonstances d’une cruauté extrême, des centaines de milliers de femmes sont violées.

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L'inaction de la communauté internationale

Face au troisième génocide officiellement reconnu au XXe siècle, l’absence de réaction de la communauté internationale a suscité des débats sans précédent. L’Organisation des Nations unies a dû faire son mea culpa sur les graves défaillances de la Mission pour l’assistance au Rwanda (Minuar), et son retrait massif dans les premières semaines du massacre. L’Union africaine a également dû instaurer une commission d’enquête. Et trois autres pays ont été particulièrement mis en cause pour leur responsabilité :

  • La Belgique, déjà mise en cause pour avoir planté les graines de la haine ethnique lors de l’époque coloniale, possédait le contingent le mieux entraîné et équipé de la Minuar. Elle s’est retirée unilatéralement du Rwanda après le massacre de dix de ses casques bleus, le 7 avril 1994. Une commission d’enquête parlementaire y a décrit les responsabilités politiques belges.

  • La France, principal appui politique et militaire du régime Habyarimana, a été accusée de « complicité » dans le génocide. Seule puissance à avoir opéré, fin juin 1994, une intervention armée pour officiellement protéger les Tutsis encore vivants – la fameuse Opération Turquoise, elle a été accusée d’avoir freiné la progression du FPR, d’avoir délaissé des Tutsis en danger dans l’ouest du Rwanda et de ne pas avoir arrêté certains responsables dans la zone qu’elle avait investie. Deux commissions d’enquête officielles ont été constituées en France après le génocide.

  • Les États-Unis sont accusés d’avoir refusé de qualifier les massacres de génocide pendant qu’ils étaient en cours pour ne pas avoir l’obligation d’intervenir, comme la Convention sur la prévention du génocide l’exige. Le président Bill Clinton a officiellement présenté ses excuses sur le sol rwandais.
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L’après génocide et les initiatives de justice

La prise de contrôle par le FPR et la crise des réfugiés

Le 4 juillet 1994, le FPR prend Kigali et à la mi-juillet il contrôle l’essentiel du pays, marquant la fin du génocide. Pour éviter les représailles, 1,7 millions de Hutus fuient le Rwanda pour se réfugier dans des camps au Burundi, en Tanzanie et au Zaïre (devenu la République Démocratique du Congo), créant une crise humanitaire sans précédent et provoquant une intervention internationale massive.

Justice de masse pour crimes de masse

Après le génocide, un gouvernement d’unité nationale est d’abord instauré. Le général Paul Kagame, chef militaire du FPR, devient l’homme fort du pays et son ministre de la Défense. Un an plus tard, la coalition au pouvoir, qui comprenait plusieurs célèbres hutus démocrates rescapés des massacres, prend fin. Le FPR, de facto, dirige seul le pays. En 2000, Kagame devient président et le demeure aujourd’hui.

La justice est centrale dans la politique gouvernementale rwandaise au lendemain du génocide. Dès 1996, les tribunaux nationaux entament les procès. Ils jugeront environ 9,000 individus. Puis seront créées les tribunaux « gacaca », expérience unique au monde de justice de masse après un crime de masse. Ceux-ci visent à la fois à tenir chacun responsable de ses actes, du plus grand criminel au plus petit profiteur de guerre. Ils visent à permettre la réconciliation nationale. Un fonds de réparations aux victimes du génocide a également été mis en place.

Il n’y a pas eu de commission vérité au Rwanda et les crimes du FPR n’ont jamais été jugés par les juridictions spéciales installées dans le pays. Le travail de mémoire, en revanche, a essaimé dans tout le pays, avec de multiples musées et mémoriaux.

Si la fin des tribunaux gacaca a dans une grande mesure marqué l’épuisement du contentieux du génocide au Rwanda, il reste quelques procès pénaux en cours ou à venir à l’encontre de suspects du génocide arrêtés à l’étranger et renvoyés au Rwanda.

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