Centrafrique: les avocats aiguisent leurs compétences

En Centrafrique, les avocats s’efforcent d’acquérir l’expertise nécessaire en vue de leurs prestations devant la Cour pénale spéciale (CPS), chargée de juger les auteurs de crimes graves commis dans leur pays depuis le 1er janvier 2003. Ils se préparent de deux façons : en plaidant lors de sessions criminelles qui ont repris devant les tribunaux ordinaires et en suivant des programmes de formation organisés par des partenaires internationaux.

Centrafrique: les avocats aiguisent leurs compétences©CPS
Il est prévu un Corps spécial d'avocats auprès de la Cour pénale spéciale centrafricaine.
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Avec ses effectifs aujourd’hui en place à Bangui, la Cour pénale spéciale (CPS), juridiction hybride, créée en 2015 au sein de la justice centrafricaine avec le soutien des Nations-unies, est en mesure de passer à l’action. « Les enquêtes débuteront officiellement après la tenue de la session inaugurale de la Cour, qui devrait avoir lieu courant octobre », nous annonce Nelly Mandengue, chargée de la Communication à la CPS.

Préparer le Corps spécial des avocats

Dans cette perspective, les avocats centrafricains appelés à défendre les accusés et à représenter les victimes, se préparent. Un corps spécial d’avocats auprès de la CPS est prévu. Accusés et parties civiles pourront bénéficier de l’assistance gratuite d’un avocat. De l’avis de Me Mathias Barthélémy Morouba, coordonnateur national adjoint du Réseau centrafricain des ONG des droits humains, « iI existe quelques avocats centrafricains expérimentés, en mesure de faire face aux charges de la défense des intérêts des victimes et des accusés », tandis qu’un programme de « renforcement des capacités » a été établi pour d’autres et que des avocats étrangers « pourront intervenir dans certaines affaires ».

Avocats sans frontières (ASF) fait partie des organisations impliquées dans ce programme de soutien aux avocats centrafricains, à travers l’organisation de cycles de formation. « L’objectif c’est qu’une victime ou un accusé puisse avoir une liste sur laquelle choisir un avocat », explique Me Adrien Nifasha, directeur d’ASF en Centrafrique. « Nous comptons également mettre à la disposition des jeunes avocats centrafricains quelques confrères seniors internationaux, avec lesquels nous travaillons afin qu’ils puissent assurer un accompagnement, un appui technique sous forme de prestations pro bono », poursuit l’avocat burundais. « Nous voulons effectuer cet accompagnement devant la Cour pénale spéciale mais aussi et surtout devant les juridictions de droit commun. L’objectif ultime est de laisser un héritage au système judiciaire national car la grande majorité des suspects seront jugés par les tribunaux de droit commun alors que la CPS ne jugera qu’un petit nombre de personnes », ajoute le responsable de l’ONG.

Un accès difficile à la preuve et aux victimes

Depuis 2013, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) mène avec ses organisations partenaires en Centrafrique des actions conjointes pour documenter les crimes commis dans le pays. Dès 2014, un Collectif composé d'une quinzaine d'avocats centrafricains et de plusieurs avocats africains et européens affiliés à la FIDH, a été mise en place pour défendre les intérêts des victimes. « Il s'agit surtout de faire profiter aux confrères centrafricains de l'expérience acquise ailleurs en Afrique et dans le monde sur la façon de juger des crimes complexes et graves », explique Florent Geel, responsable Afrique à la FIDH, qui entrevoit cependant d’énormes obstacles pour tous les acteurs judiciaires appelés à jouer un rôle devant la CPS. « La plus grande difficulté, qui n'est pas spécifique aux avocats, c'est d'avoir des enquêtes, des éléments de preuves à discuter et des gens à juger », explique-t-il. « L'accès, la sécurité et la participation des victimes et des témoins constituent le grand enjeu pour les avocats des parties civiles et les associations qui les accompagnent et les soutiennent. De nombreuses victimes sont déplacées, d'autres sont localisées dans des zones enclavées et/ou toujours à la merci des groupes armés. Elles sont toutes dans des situations difficiles de vie : précarité économique, problèmes de santé souvent en raison des exactions subies, stigmatisation, surtout pour les survivantes de crimes sexuels. » Pour surmonter ou contourner de tels obstacles il faut, selon lui, « des outils spécifiques, une expérience solide en matière judiciaire, une volonté politique forte des organisations qui accompagnent les survivants, et des partenaires politiques et financiers engagés et constants dans leur soutien ».

Les tribunaux nationaux donnent l’exemple

A la Cour pénale spéciale, on est conscient de ce contexte d’insécurité, d’instabilité, de peur et d’incertitude. « La Cour fera son possible pour respecter son mandat et poursuivre des auteurs de crimes graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide). Mais il ne faut pas créer des attentes irréalistes dans le sens où, malheureusement, compte-tenu de l’ampleur et du nombre des crimes commis dans ce pays, il sera impossible à la Cour spéciale de poursuivre à elle seule tous les auteurs de ces crimes », indique Nelly Mandengue.

La CPS n’a pas encore ouvert de procès mais les juridictions ordinaires centrafricaines, elles, sont déjà à pied d’œuvre. Des sessions criminelles ont repris à travers le pays, dont une s’est achevée le 31 août devant la cour d’appel de Bangui. Une autre est actuellement en cours, depuis la mi-septembre, devant la cour d’appel de Bouar. Un test réussi pour une justice centrafricaine qui se remet progressivement en selle, même si des observateurs indépendants déplorent la faiblesse de certains dossiers, surtout quand ils sont liés à des crimes graves. « La reprise des sessions criminelles en République centrafricaine est une avancée en ce qu'elle démontre le retour d'une justice, certes imparfaite, mais fonctionnelle. L’engouement suscité par les sessions criminelles auprès de la population est révélateur du besoin et des attentes envers la justice en Centrafrique », estime Florent Geel. « Il est temps que la CPS agisse et que les populations perçoivent son action dans les prochains mois », ajoute -t-il.