Kosiah : « Mettez-moi en prison pour un millier d’années, je n’ai peur de personne »

Le procès tant attendu de l’ancien chef de guerre libérien Alieu Kosiah a débuté, à Bellinzone (Sud de la Suisse) par l’interrogatoire de l’accusé. Selon le ministère public de la Confédération, où il vit depuis plus de vingt-cinq ans, l’homme aurait commis des crimes de guerre durant la première guerre civile du Liberia. Kosiah, combatif et véhément, dément tout en bloc.

Kosiah : « Mettez-moi en prison pour un millier d’années, je n’ai peur de personne »
Accusé de meurtre, de transports forcés, de traitements dégradants et pour finir de viol, par sept plaignants, l'ancien chef rebelle libérien Alieu Kosiah est sorti de ses gonds, niant les faits qui lui sont reprochés. © New Narratives / Leslie Lumeh
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Le jeune Alieu Kosiah était mineur, selon ses dires, lors de son premier exil, en Sierra Leone, où il a rejoint le mouvement rebelle Ulimo au sein duquel il a monté les échelons de commandement. Selon l’accusation, à ce titre il a « donné l’ordre à ses troupes de commettre durant les années 1993 à 1995, dans le comté de Lofa [Nord du Liberia], notamment des meurtres de civils, un viol ainsi que des actes visant à réduire la population en esclavage et à la terroriser », qui lui valent, des années plus tard, d’être jugé au titre de la compétence universelle en Suisse, son deuxième territoire d’exil. Il s’y était replié, peu après 1997 et l’élection à la présidence du Liberia de Charles Taylor, pour échapper aux violences inter-ethniques qui touchaient sa communauté mandingue.

Après les questions préjudicielles et sur sa situation personnelle à l’ouverture du procès, le 3 décembre, le président du tribunal pénal fédéral de Bellinzone, Jean-Luc Bacher, a commencé lundi 7 décembre l’interrogatoire de l’accusé Kosiah, qu’il a soumis au feu de près d’une centaine de questions, avant de donner la parole au ministère public et à la défense. Le Libérien s’est appliqué à dénoncer, en particulier, une « conspiration » menée par l’Ong suisse Civitas Maxima et le Global Justice and Research Project (GJRP), son partenaire libérien, qui après avoir eu vent de sa présence en Suisse avaient collecté des témoignages et permis le déclenchement des poursuites.

- Monsieur l’interprète, le prévenu a-t-il répondu à la question ?
- Oui et non monsieur le juge.

L’ancien chef de guerre de l’United Liberation Movement of Liberia for Democracy (Ulimo), a souvent donné l’impression de vouloir esquiver les questions, faisant soupirer le président Bacher dans son micro, et répéter : « Je vous pose des questions, si vous ne voulez pas répondre, vous dites : je ne veux pas répondre. Ce n’est pas compliqué ! »

Combatif, entouré de piles de documents, en jaquette sombre et chemise blanche, Kosiah s’anime lorsque le juge l’interroge :

- Étiez-vous un des « big men » du groupe armé Ulimo ?
- Cela dépend. Pour certains on est un big man et pour d’autres on est un small man, tout est relatif. Durant les six années de la guerre, j’étais au front, alors que les big men restaient à l’arrière à profiter de l’air conditionné et à se la couler douce.
- Vous étiez donc le plus haut gradé sur le terrain ?
- Il y avait un chef plus haut que moi qui était à l’arrière de la ligne de front.

L’enjoignant à donner des réponses précises et concises, le juge Bacher demande à au prévenu de détailler ses déplacements durant la guerre ainsi que ses grades. Kosiah réplique qu’il ne peut « se rappeler en détail », précisant qu’il est « un humain, pas un ordinateur ».  Rebelote un peu plus tard, quand le juge l’interroge sur son grade et le nombre d’hommes sous son commandement. Kosiah perd patience :

- Quand on fait la guerre, on ne prend pas des notes. 

Le Libérien dit n’avoir pas eu d’hommes sous ses ordres avant d’être nommé colonel, malgré ses différents grades, allant de sergent jusqu’à lieutenant-colonel. C’est le juge qui perd patience :

- J’étais moi-même militaire. Quel est l’intérêt d’avoir des grades si vous ne donnez aucun ordre ? Ça n'a pas de sens !

Les procès-verbaux d’interrogatoires, dans son dossier, font près de 700 pages et l’accusé a été auditionné près de trente fois, se contredisant souvent.

« C’est une fake news, il a menti ! »

Vient alors l’interrogatoire lié au deuxième chef d’accusation, de recrutement et d’un enfant soldat surnommé « Papa », dont Kosiah porterait la responsabilité. Interrogé lors de l’instruction à la demande de la défense, cet enfant soldat a déclaré avoir été le garde du corps de Kosiah durant le conflit dans la région de Lofa, près de la frontière avec la Guinée, et avoir combattu sous ses ordres. Le juge Bacher l’interroge :

- Papa a reconnu que vous étiez au Lofa à la mi-93.
- Peut-être que les plaignants l’ont dit mais Papa ne l’a jamais dit.
- Quel âge avait Papa ?
- Approximativement 13 ans je dirais.
- Pensez-vous qu’il soit possible qu’un enfant de moins de 15 ans puisse agir de son plein gré dans un tel contexte ?
- Je pense que oui, j’en ai l’exemple… j’ai rejoint l’armée à 15 ans, personne ne m’a forcé.
- Avez-vous envoyé Papa sur la ligne de front ?
- Non, je ne l’ai pas envoyé, il y est allé volontairement de son propre chef.
- Pourtant Papa a déclaré y être allé sur votre ordre ?
- C’est une fake news ! Si Papa a dit ça, il a menti.
- Avez-vous donné une formation militaire à Papa ?
- Il dit que oui mais la réponse est non. Je me suis toujours bien comporté avec Papa. La preuve, c’est qu’il a déclaré qu’il me considérait comme son père. 

« J'ai été Kidnappé par le gouvernement suisse »

Kosiah nie tous les faits qui lui sont reprochés, indiquant ne pas avoir été dans les endroits où les crimes étaient commis et ne pas connaître les victimes. Accusé tour à tour de meurtre, de transports forcés, de traitements dégradants et pour finir de viol, par sept plaignants différents vivant au Liberia et n’ayant pas pu assister à l’audience, Kosiah finit par sortir de ses gonds. Il a été, dit-il, « kidnappé par le gouvernement suisse depuis six ans » et accuse l’ONG Civitas Maxima de complot. Le juge :

- Pourquoi pensez-vous que ces sept témoins mentent ? Quelles seraient leurs motivations ?
- Je ne sais pas. Probablement à cause des Ongs.

Puis le prévenu craque et réprime un sanglot :

- Cela fait six ans que je suis enfermé, j’ai des émotions, je ne suis pas un animal. Peut-être que les gens ici me voient comme un criminel, mais je ne connaissais aucun de ces messieurs qui m’accusent, je suis la vraie victime.

Quelques questions plus tard, le magistrat ne cachera pas son scepticisme :

- Vous avez admis avoir menti durant votre procédure d’asile en prétendant être guinéen, pourquoi devrions-nous vous croire aujourd’hui ?
- J’étais honnête sur les raisons de mon départ. Le gouvernement suisse s’est trompé, lui aussi, il a dit que j’étais Nigérian.
- Vous avez admis avoir menti. Donc soyez raisonnable. 

Mardi 8 décembre, c’est au tour du procureur Andreas Müller de questionner l’accusé. Il revient sur les déclarations de Massa Washington, la présidente de la Commission vérité et réconciliation au Liberia (TRC). Selon elle, les soldats de l’Ulimo utilisaient le viol comme arme de guerre. Kosiah déclare n’avoir jamais rencontré la plaignante l’accusant de viol, avant d’interpeller le procureur :

- Massa a fait une enquête dans le Lofa. Si elle dit que j’étais si brutal, pourquoi mon nom n’est-il pas apparu dans la TRC… si je suis un criminel ?
- Votre nom apparaît dans la troisième catégorie, celle dont la présidente Washington dit que les personnes ont commis des crimes très graves mais que la commission ne pouvait pas prouver.

Six années de détention préventive

Questionné mercredi 9 par son avocat, Kosiah explique que les mandingues, son ethnie, étaient discriminés « par le reste des Libériens » et considérés comme des étrangers. Son père, raconte-t-il, était diamantaire et la guerre a bouleversé leur vie, l’obligeant à quitter l’école. Il a également décrit la difficulté d’être enfermé durant ces six dernières années en Suisse, « sans pouvoir communiquer avec sa famille ni son fils ». Kosiah nie en bloc et met en cause les témoignages des plaignants, semblant connaître le dossier d’accusation sur le bout des doigts. Il déclare avoir mandaté un avocat pour déposer des plaintes pénales contre l’ensemble des plaignants.

Comme un fil rouge dans sa défense, Kosiah a tenté de décrire aux juges le contexte de la guerre et le décalage entre la situation en Suisse et celle au Liberia. Un décalage culturel qu’il souligne lorsque les magistrats lui demandent de répondre de manière trop détaillée sur des éléments d’une guerre civile qui s’est déroulée vingt-cinq années auparavant. Une cour que Kosiah n’hésite pas à apostropher :

- Vous pouvez bien me mettre en prison pour une centaine de milliers d’années, je ne me laisserai intimider par personne. Je n’ai peur de personne à part le Seigneur. 

Aux questions de Me Dimitri Gianoli succèdent les digressions de Kosiah. Le juge perd à nouveau patience en fin d’après-midi :

- Maître, les propos de votre client relèvent de la plaidoirie. Vous n’allez pas les répéter dans un second temps j’imagine ? L’idée n’est pas de donner la parole indéfiniment à votre client mais qu’il réponde à des questions précises.

Dans la salle réservée aux médias, la situation semble attrister Rodney Sieh, rédacteur en chef du journal libérien Frontpage Africa.Je ne comprends pas la défense mise en place par Me Gianoli, l’avocat de Kosiah. Il laisse son client se contredire sans intervenir”. Avant d’ajouter, cinglant : « Cela me fait de la peine de voir un homme noir dans un tribunal rempli d’hommes blancs qui doit se défendre tout seul.”