Aux assises de Paris, plongée dans "l'autre monde" de la guerre civile au Liberia

Des photos, des vidéos et des témoins pour plonger dans l'"autre monde" d'un conflit : la cour d'assises de Paris a exploré mercredi les racines de la première guerre civile libérienne et de ses atrocités, qui valent à un ex-rebelle d'être jugé pour complicité de crimes contre l'humanité.

"Les gens mourraient pour un oui ou pour un non": reporter-photographe, Patrick Robert a couvert le conflit dès son déclenchement fin 1989 et se souvient à la barre de cet "autre monde" où "les gens étaient fiers de montrer qu'ils commettaient des crimes horribles".

Une tête décapitée sur une route, le corps sans vie d'une femme et de son bébé, l'extraction du coeur d'un cadavre... Les diapositives du journaliste projetées à l'audience donnent une idée des "actes inhumains" reprochés à Kunti Kamara, ex-commandant de la milice de l'Ulimo, jugé à Paris.

"La vie et la mort n'étaient qu'une question de chance", résume un journaliste libérien dans un documentaire de 1996 diffusé devant la cour d'assises. Scène glaçante, un enfant-soldat surnommé "Hitler" y raconte qu'il prélevait parfois les yeux de ses victimes.

Venu témoigner à la barre, le journaliste libérien John Stewart peine, lui, à contenir ses larmes. "Les crimes commis sont trop horribles pour pouvoir être décrits", dit-il.

Pour mieux cerner les ressorts de ce conflit, les six jurés populaires ont également reçu un lexique qui en détaille les étapes et les principaux acteurs, dont Charles Taylor, l'ancien chef rebelle devenu président, écroué aujourd'hui pour crimes contre l'humanité au Sierra Leone.

De l'avis des "témoins de contexte" entendus mercredi, la guerre civile libérienne s'est nourrie des origines-mêmes du Liberia, le premier Etat africain indépendant créé en 1822 par des Américains pour y envoyer des esclaves affranchis.

Le pays a "échappé à la colonisation européenne" mais a été jusqu'aux années 1980 dominé par les descendants de ces esclaves qui jouissaient, selon M. Robert, d'un "monopole absolu" sur la vie politique et économique, suscitant la "frustration" de ceux qui en étaient exclus.

- Abus et exactions -

"10% de la population accaparaient les richesses du pays", abonde à la barre Thierry Paulais, un ancien urbaniste qui a travaillé dans la région.

Arrivé au pouvoir en 1980 à la faveur d'un coup d'Etat, Samuel Doe est d'abord vu comme celui qui mettra fin à ce système. Mais son régime multiplie abus et exactions contre les civils.

Surfant sur la frustration de la population, Charles Taylor pénètre au Liberia en décembre 1989 avec son mouvement du NPFL et l'appui de la Libye de Kadhafi.

Son irruption scelle le début de la première guerre civile qui s'achèvera en 1996.

Les atrocités qui s'y déroulent sont pourtant patentes: exécutions sommaires, viols, actes de barbarie. Jugé pour des faits commis en 1993-1994, Kunti Kamara est entre autres accusé d'avoir mangé le coeur d'un homme qu'il venait d'exécuter.

Il encourt la réclusion à perpétuité.

"Le niveau d'extrême violence m'a impressionné", témoigne Thierry Paulais, qui l'attribue à un mélange de facteurs alliant "la recherche de prébendes", l'influence des sociétés secrètes ou de la religion et "l'usage répandu des drogues".

Selon lui, le "complexe patchwork" ethnique du pays, s'il a pu façonner la constitution des milices, n'a en revanche jamais constitué le "nerf de la guerre". "Tout le monde a été victime de tout le monde", avait-il résumé pendant l'enquête.

Le Liberia n'a pourtant jugé aucun de ces crimes, même si l'un des plus marquants a été filmé et diffusé en partie à l'audience: le supplice et l'assassinat en 1990 du président Samuel Doe devant le chef rebelle Prince Johnson.

Aujourd'hui, ce dernier est sénateur au Liberia et ne fait face à aucune poursuite, malgré les recommandations en ce sens de la Commission vérité et réconciliation en 2009.

"Il n'y a pas eu de volonté politique", déplore M. Stewart, qui fut membre de cette commission. "Et ça a créé une culture de l'impunité qui continue depuis si longtemps".

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