Sans ce grand échalas au débit inarrêtable, le premier procès en France des crimes de guerre libériens n'aurait pas eu lieu : l'avocat suisse Alain Werner a retracé mercredi, devant les assises de Paris, la difficile marche de la justice internationale.
C'est la plainte de son ONG, Civitas Maxima, qui a conduit l'ex-commandant rebelle Kunti Kamara aux assises de Paris où il est jugé pour des atrocités de la première guerre civile (1989-1997). C'est aussi lui qui a obtenu la condamnation historique, en Suisse en 2021, d'un de ses anciens compagnons d'armes, Alieu Kosiah.
Voilà bientôt vingt ans que cet avocat genevois tente de contrer l'impunité au Liberia, où les crimes de guerre n'ont fait l'objet d'aucun procès.
En 2003, il travaille à Freetown auprès du procureur de la Sierra Leone, où un tribunal international enquête sur des crimes commis dans le pays par des chefs de guerre libériens. Avec des moyens limités. "C'était une sorte d'EasyJet des juridictions internationales", se souvient Me Werner devant la cour.
En 2006, le transfèrement à Freetown du redouté rebelle libérien Charles Taylor provoque un "peu de panique" dans une juridiction en sous-effectif. "Le procureur a fait une conférence de presse pour dire +on est prêts+ mais ce n'était pas vrai", sourit Me Werner.
Il faut alors rassembler des éléments comme "dans un procès de mafieux" : faute de preuves matérielles, douze mois seront nécessaires pour "retourner" des proches et les faire témoigner contre Taylor qui écopera de 50 ans de prison en 2013.
- "Coup de semonce" -
Après un détour par le Cambodge où il représente des victimes du génocide khmer, Me Werner revient vers le Liberia, où la communauté internationale ne semble pas pressée de faire juger les crimes de guerre .
"Les gouvernements considéraient que les juridictions internationales coûtent trop cher. Ils se sont assis sur les malheurs des Libériens", affirme Me Werner, qui privilégie un autre moyen pour faire juger les criminels de guerre: la justice universelle.
Ce mécanisme permet à un pays de juger le suspect de crimes d'une particulière gravité dès lors qu'il réside sur son territoire. C'est à ce titre que Kunti Kamara a été arrêté en 2018 à Bobigny et qu'il est jugé à Paris, où il encourt la réclusion à perpétuité.
Devant la cour, Me Werner évoque une étape-clé dans l'essor de cette justice extraterritoriale: "le coup de semonce" de l'arrestation en 1998 d'Augusto Pinochet à Londres en vertu d'un mandat d'arrêt espagnol.
S'inspirant de ce précédent, Me Werner participera aux pressions pour que le Sénégal arrête l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré, qui était réfugié sur son sol. Il y sera condamné en 2016 à la prison à vie pour crimes contre l'humanité.
Cette justice universelle requiert toutefois des moyens, souligne l'avocat. Pour étoffer le dossier contre le Libérien Alieu Kosiah, il a fallu "éplucher des micro-films" stockés à la bibliothèque du Congrès américain qui ont permis d'identifier le nom de victimes citées dans la presse libérienne de l'époque. Et collecter des témoignages au Liberia alors que le pays était ravagé par l'épidémie d'Ebola.
S'agissant de Kunti Kamara, il a fallu aussi une petite dose de chance.
Jusqu'à présent, le Liberia s'était toujours opposé à la venue d'enquêteurs étrangers mais les Français ont reçu un feu vert. "Ça pourrait être lié à l'élection (en 2018) comme président de George Weah, qui était ancien footballeur du PSG et avait des liens avec la France", avance Me Werner.
L'avocat genevois n'ignore rien des limites de cette justice universelle, parfois vue comme un instrument néocolonialiste. Au Sierra Leone, raconte-t-il, "les Blancs qui sont venus pensaient tout savoir sur le pays, ses ethnies et n'écoutaient jamais les Sierra-léonais".
Jusqu'à présent, les Occidentaux ont par ailleurs été très rarement inquiétés par cette justice universelle. "Au Sierra Leone, on n'a jamais été chercher les hommes d'affaires occidentaux qui ont alimenté les groupes armés en échange des diamants", note Me Werner. "Et ces diamants n'étaient pas écoulés en Afrique".