Ses crimes ont "porté atteinte à l'humanité toute entière": l'accusation a requis lundi à Paris la prison à vie pour l'ex-commandant rebelle Kunti Kamara, dans le premier procès consacré en France à la guerre civile au Liberia dans les années 90.
"Les crimes dont il s'est rendu responsable sont les plus graves qui soient. Ils ont détruit des vies et leur gravité a porté atteinte à l'humanité toute entière", a justifié l'avocate générale Aurélie Belliot en appelant la cour d'assises de Paris à condamner l'accusé de 47 ans à la peine la plus lourde du droit français.
Arrêté à Bobigny en 2018, cet ancien membre du Mouvement uni de libération (Ulimo) est jugé à Paris pour des exactions commises dans le nord-ouest du Liberia, au moment de la première guerre civile (1989-1997), au titre de la "compétence universelle" exercée par la France s'agissant des crimes les plus graves.
Poursuivi pour "actes de tortures et de barbarie" et "complicité de crimes contre l'humanité", M. Kamara est accusé d'avoir facilité le viol de deux adolescentes, d'avoir pris part à la mise à mort de deux civils, de s'être livré à un acte de cannibalisme et d'avoir soumis la population à des marches forcées.
"Votre verdict sera historique et votre décision et la peine que vous prononcerez seront scrutées au Liberia et ailleurs", a lancé Aurélie Belliot à la cour, composée de trois juges et d'un jury populaire, tandis l'autre avocate générale Claire Thouault traçait un parallèle avec les procès passés de Klaus Barbie ou de Paul Touvier.
"Leur sens est le même que ce qui vous réunit aujourd'hui : la lutte contre l'impunité pour les crimes les plus graves que notre humanité a connus", a estimé Mme Thouault, rappelant que le Liberia n'avait jamais jugé les crimes des deux guerres civiles qui ont décimé le pays et causé la mort de 250.000 personnes, soit 10% de sa population à l'époque.
- "La terreur en mode de gouvernance" -
Au cours d'un réquisitoire à deux voix de plus de quatre heures, l'accusation s'est d'abord attachée à décrire comment l'Ulimo avait érigé "la terreur en mode de gouvernance" dans la région du nord-ouest du pays dont il s'était emparé au début des années 1990 pour lutter contre le groupe rival du redouté Charles Taylor.
Exécutions publiques, coeurs arrachés, distribution de viande humaine, intestins pour délimiter les checkpoints : Aurélie Belliot a détaillé "l'infinie cruauté" subie par les civils du village de Foya où officiait le "commandant Kundi".
"La vie n'était plus qu'une question de chance", a résumé l'avocate générale, qui est revenue sur la mise à mort d'un civil en 1993, "scène d'une absolue cruauté" à laquelle l'accusé aurait pris une part "active", notamment en mangeant le coeur de la victime qui avait été arraché à coups de hache.
Selon l'avocate générale, des témoignages "constants et concordants" le désignent par ailleurs comme l'homme qui a exécuté en 1993 une femme qui venait tout juste de perdre son nouveau-né et qui a ordonné que son cadavre soit brûlé au motif qu'elle était "une sorcière".
Enfin, selon le ministère public, l'accusé a bien laissé des hommes placés "sous son autorité directe" violer à plusieurs reprises deux adolescentes de Foya, dans un contexte "d'exploitation sexuelle généralisée" des femmes. L'accusé pouvait faire cesser ces crimes mais n'a manifesté qu'une "totale indifférence", a estimé l'autre avocate générale Claire Thouault.
Selon les avocates générales, il a ainsi "légitimé" ces viols et s'est rendu complice "par aide ou assistance" de crimes contre l'humanité.
Pour l'ensemble de ces crimes, "l'oubli et le pardon ne sont pas envisageables", a estimé Aurélie Belliot.
La défense a commencé à plaider dans l'après-midi pour mettre en cause la fiabilité des témoignages, le sérieux de l'enquête et pour estimer que M. Kamara a toujours été traité comme un "présumé coupable".
Le verdict est attendu mercredi.