"Menace existentielle": quel impact des sanctions américaines sur la CPI?

Le président américain Donald Trump a imposé des sanctions à la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête sur des crimes de guerre présumés de l'armée israélienne à Gaza.

L'AFP examine les conséquences de cette décision pour la juridiction, créée en 2002 pour juger les crimes les plus graves commis dans le monde.

- Quel impact auront les sanctions? -

Ni les États-Unis ni Israël ne font partie des 125 Etats membres de la CPI, qui siège à La Haye, mais les sanctions pourraient tout de même avoir un impact opérationnel paralysant.

Les mesures incluent une interdiction de voyager aux États-Unis pour le personnel de la CPI, compliquant son travail. Des institutions financières peuvent refuser de travailler avec la cour, craignant des représailles américaines.

Les sanctions pourraient également affecter les opérations techniques et informatiques de la juridiction, y compris la collecte de preuves. Certains craignent même que des victimes d'atrocités présumées hésitent à se manifester.

"Des entreprises et organisations pourraient simplement arrêter de faire affaire avec la CPI parce que c'est trop risqué", note James Patrick Sexton, chercheur à l'Institut TMC Asser et à l'Université d'Amsterdam.

"De gros fournisseurs comme Microsoft pourraient simplement se retirer de manière proactive", ajoute-t-il auprès de l'AFP.

Les sanctions ont entraîné une "crise interne" au sein de la CPI, observe Thijs Bouwknegt de l'Institut NIOD pour les études sur la guerre, l'Holocauste et le génocide.

Le procureur, Karim Khan, a plusieurs conseillers de nationalité américaine dans son équipe, note M. Bouwknegt.

"Ils ne peuvent plus travailler ensemble", estime-t-il, évoquant également des informations selon lesquelles des salaires ont été versés à l'avance par crainte de difficultés bancaires à venir.

"La CPI est une organisation internationale, il y a donc beaucoup de transactions bancaires internationales", explique-t-il auprès de l'AFP.

- Que peut faire la CPI en réponse? -

"Rien du tout," affirme Thijs Bouwknegt.

"On pourrait avancer des arguments moraux selon lesquels cela va à l'encontre du droit international. Mais ceci pourrait justement avoir un effet sur les partenaires américains, toujours très prudents quant il s'agit de condamner des agissements des États-Unis," soulève-t-il.

La CPI s'engagera probablement dans une campagne diplomatique pour rallier le soutien à la juridiction et à la justice internationale de manière générale, observe James Patrick Sexton.

Techniquement, le statut fondateur de la CPI lui permet de prendre des mesures contre toute personne s'attaquant au personnel de la cour, ou "entravant, intimidant ou influençant de manière corrompue" un membre de la CPI.

Légalement, cela signifie que la CPI pourrait riposter contre Trump, mais "ceci ne désamorcerait pas exactement la situation", soulève M. Sexton.

- Quelles sont les conséquences ? -

Les experts craignent que le fait d'affaiblir la CPI, qui enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, puisse donner carte blanche aux dictateurs.

Les sanctions "cherchent à saper et détruire ce que la communauté internationale a minutieusement construit au fil des décennies, voire des siècles," a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International.

"Des règles mondiales applicables à tous et visant à rendre justice pour tous", a-t-elle ajouté.

Si les sanctions visent le procureur, ce qui est probable, cela signifie que les enquêtes dans des pays comme l'Afghanistan, l'Ukraine et le Soudan seraient également affectées.

"Les victimes seront privées de procédures même dans des affaires que les États-Unis ne désapprouvent pas", analyse M. Sexton.

"Cela sapera toutes les enquêtes, pas seulement l'enquête sur la situation en Palestine", poursuit-il, notant que les sanctions arrivent à un moment déjà difficile pour la cour.

Elle est impliquée dans une dispute avec l'Italie, qui a libéré un suspect de crimes de guerre libyen recherché par la CPI, Rome affirmant que le mandat d'arrêt était mal rédigé.

Plusieurs pays ont également exprimé des réserves sur une arrestation du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, également visé par un mandat d'arrêt, s'il venait à visiter un Etat membre de la CPI, sapant ainsi la crédibilité de la cour.

Dans ce contexte, les sanctions américaines représentent "une menace existentielle pour la CPI", affirme M. Sexton.

"C'est un véritable moment de bascule", estime-t-il.

- Y a-t-il eu d'autres sanctions ? -

Oui. En 2020, le secrétaire d'État de Trump de l'époque, Mike Pompeo, a infligé des sanctions à Fatou Bensouda, alors procureure de la CPI, en raison d'une enquête sur des crimes de guerre présumés commis par des soldats américains en Afghanistan.

Le successeur de Trump, Joe Biden, a annulé ces sanctions un an plus tard.

Les États-Unis disposent également de moyens drastiques qui pourraient théoriquement impliquer une invasion américaine des Pays-Bas.

En 2002, le Congrès américain a adopté la "Loi d'invasion de La Haye" permettant au président américain d'autoriser l'usage de la force militaire pour libérer toute personne américaine détenue à La Haye par la CPI.

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