Un système judiciaire solide doit être mis en place en Syrie pour instaurer une paix durable et rendre justice aux victimes des atrocités perpétrées sous le règne du clan Assad, estime le défenseur des droits humains Mazen Darwish dans un entretien avec l'AFP.
Depuis qu'elle a pris le pouvoir en décembre, la coalition islamiste dirigée par Ahmad al-Chareh, qui a mis fin à cinq décennies au pouvoir de la famille Assad, tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l'exhorte à respecter les libertés et à protéger les minorités.
La levée des sanctions américaines annoncée mardi par Donald Trump constitue un tournant pour la Syrie.
Mais de nombreux défis restent à relever, fait valoir M. Darwish, en déplacement à Stockholm en compagnie de son épouse Yara Bader, pour recevoir un prix saluant le travail de son ONG, le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM).
- "Du temps" -
"Il y a beaucoup d'inquiétudes concernant les nouvelles autorités. Mais nous croyons que les Syriens, qui ont payé un prix aussi lourd pour en arriver là, n'accepteront pas de remplacer une dictature par une autre. Et cela prendra du temps", souligne l'avocat, né à Naplouse, dans les territoires palestiniens, au sein d'une famille alaouite.
Des dizaines de milliers de personnes ont été détenues et torturées dans les prisons sous le règne de Bachar al-Assad, par ailleurs accusé d'avoir recouru à des armes chimiques contre sa propre population, notamment au gaz sarin.
"Nous ne pensons pas qu'il sera possible d'atteindre une paix durable en Syrie si les crimes ne sont pas élucidés", souligne Mazen Darwish.
Les nouvelles autorités ont promis de rendre justice aux victimes de ces atrocités, s'engageant à juger les responsables impliqués dans la torture des détenus.
"Nous espérons qu'une feuille de route pour la justice transitionnelle verra le jour en Syrie. Nous espérons aussi qu'un système judiciaire commencera à se mettre en place pour permettre le traitement de ces affaires et de tous les crimes commis par l'ensemble des parties en Syrie", dit Mazen Darwish.
"Nous préférerions que ces cas soient jugés à Damas".
Fin février, des ONG syriennes ont dénoncé l'interdiction par les autorités d'une conférence sur la justice transitionnelle en Syrie, qui devait se pencher sur le sort des disparus et les violations infligées pendant la guerre.
Des membres d'ONG internationales, des représentants de gouvernements étrangers devaient participer à cet atelier.
La justice transitionnelle est un ensemble de mécanismes qui visent à rétablir la justice dans un État qui a vécu une crise profonde et de graves violations des droits de l'homme, dans un contexte de transition politique, et vise à reconnaître les victimes, poursuivre les responsables et réconcilier les différentes composantes de la société.
Armés de plus de 300.000 documents collectés au fil des années, le SCM veut, en attendant, obtenir justice hors de Syrie en ayant recours à la compétence universelle de la justice en France, en Allemagne, au Canada ou même aux Etats-Unis pour juger les auteurs de crimes contre l'humanité, génocide et crimes de guerre.
- La vérité -
Jeudi, il va témoigner à la barre de la cour d'assises de Paris en tant que partie civile, dans le procès d'un ex-rebelle syrien accusé de complicité de crimes de guerre en Syrie, Majdi Nema. Cet ancien membre de Jaysh al-Islam (JAI, Armée de l'islam), qui comparaît depuis le 29 avril dans la capitale française, conteste les faits.
"Pour nous, c'est l'une des affaires les plus importantes car les victimes sont nos collègues", explique Mazen Darwish.
Razan Zaitouneh, Wael Hamada, Samira Khalil et Nazem Hammadi sont portés disparus après avoir été kidnappés le 9 décembre 2013 dans leurs bureaux à Douma. La Ghouta orientale était à ce moment-là sous le contrôle de groupes rebelles, dont Jaysh al-Islam.
Grâce au travail du SCM et d'autres organisations, deux mandats d'arrêt ont été émis par des juges français contre Bachar al-Assad, qui a fui à Moscou après la chute de son gouvernement.
L'engagement de Mazen Darwish et de Yara Bader leur ont coûté cher. Arrêté en 2012, l'avocat syrien a lui-même fait l'expérience de la torture dans les geôles syriennes pour son travail de documentation.
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