Le spectre des "caisses noires": pourquoi la coalition gouvernementale au Japon a implosé

La coalition au pouvoir au Japon s'est effondrée vendredi avec le départ du petit parti Komeito qui a mis en avant ses exigences d'intégrité financière des partis, fragilisant la nomination de la conservatrice Sanae Takaichi comme Première ministre.

Cette rupture, hantée par un scandale de "caisses noires", intervient moins d'une semaine après l'élection de Mme Takaichi à la tête du puissant Parti libéral-démocrate (PLD) avec l'objectif affiché de reconquérir un électorat mécontent.

-Quel est ce scandale de "caisses noires"?-

Le PLD (droite conservatrice) gouverne le Japon de manière quasi-ininterrompue depuis 1955, malgré de fréquents changements de dirigeants. Le petit parti Komeito centriste est son partenaire de longue date.

Pour justifier la rupture, le dirigeant du Komeito, Tetsuo Saito, a invoqué ce qu'il qualifie d'incapacité du PLD à durcir les règles de financement des partis politiques.

Le PLD a été l'objet l'an dernier d'un scandale retentissant impliquant des paiements douteux de plusieurs millions d'euros, liés à la vente de billets pour des événements de collecte de fonds.

Deux parlementaires du PLD avaient été inculpés. L'affaire a coûté son poste au Premier ministre de l'époque, Fumio Kishida, et entraîné la dissolution de plusieurs factions du PLD... ainsi qu'une hémorragie d'électeurs lors des élections suivantes.

Or, Mme Takaichi a suscité la consternation au sein de Komeito en nommant Koichi Hagiuda, personnalité impliquée dans le scandale, à un poste important du Parti, selon plusieurs sources.

"Pour le Komeito, qui prône l'intégrité en politique, il est difficile d'expliquer cela à ses partisans, à ceux qui travaillent dur pour ses campagnes", indique à l'AFP Hidehiro Yamamoto, professeur de sciences politiques à l'Université de Tsukuba.

Désormais peu payante électoralement, "la coalition ne présente que peu d'intérêt pour le Komeito", a-t-il ajouté.

"Ces dernières années, les problèmes entourant le financement politique du PLD ont considérablement érodé la confiance du public dans le système politique dans son ensemble", a taclé Tetsuo Saito vendredi.

-Quels autres points d'achoppement?-

Le Komeito a été fondé dans les années 1950 comme branche politique de la Soka Gakkai, importante organisation laïque affiliée à une puissante secte bouddhiste, tout en respectant la séparation entre politique et religion.

De nombreux membres du parti ont exprimé leur préoccupation envers les positions ultra-conservatrices de Sanae Takaichi.

Lorsqu'elle occupait des postes ministériels, elle s'était ainsi rendue à de nombreuses reprises au sanctuaire de Yasukuni à Tokyo, dédié aux morts de guerre japonais mais qui honore aussi la mémoire de responsables condamnés pour crimes de guerre.

La visite en 2013 de Shinzo Abe à Yasukuni, la dernière en date d'un Premier ministre en exercice, avait suscité la fureur de Pékin et de Séoul - qui considèrent le lieu comme un symbole du passé militariste japonais -, mais aussi des remontrances de la part de Washington.

-Que se passe-t-il désormais?-

La coalition PLD-Komeito a gouverné le Japon presque sans interruption depuis leur alliance en 1999, mais au cours de l'année écoulée, suite à de mauvais résultats électoraux, elle s'est retrouvée privée de majorité absolue dans les deux chambres du Parlement.

Cela a rendu difficile l'adoption de lois, obligeant le gouvernement du Premier ministre sortant Shigeru Ishiba à solliciter le soutien de l'opposition au cas par cas.

Les médias avaient suggéré que Mme Takaichi souhaitait élargir la coalition au Parti démocrate du peuple (PDP, centre-droit), dont les politiques économiques recoupent partiellement les siennes.

Le chef du PDP, Yuichiro Tamaki, a toutefois exprimé vendredi son soutien au Komeito et à sa "détermination extrêmement ferme à mettre fin aux problèmes politiques et financiers".

Le PLD et le PDP réunis ne parviendraient pas aux 233 sièges nécessaires pour obtenir la majorité à la chambre basse. Le PLD en compte 196, le PDP 27 et le Komeito 24.

-Takaichi peut-elle encore devenir Première ministre ?-

Pour être nommée par le Parlement, Mme Takaichi a besoin d'une majorité de députés votant en sa faveur, ce qui paraît désormais très compromis.

Cependant, elle pourrait être aidée par l'absence d'unité des partis d'opposition autour d'un même candidat alternatif: il est ainsi probable que chaque formation soutienne son propre dirigeant au premier tour, permettant à Mme Tanaichi de l'emporter au second tour à la majorité simple.

Elle sera probablement élue "si l'opposition ne parvient pas à s'unir", mais "la gestion du gouvernement sera extrêmement instable, tout devant être décidé en coopération avec les partis extérieurs au gouvernement", explique à l'AFP Tomoaki Iwai, professeur émérite de l'Université Nihon.

Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.