05.12.08 - TPIR/BIKINDI - LA CONDAMNATION DE SIMON BIKINDI, CHANTEUR RWANDAIS (ECLAIRAGE)

Arusha, 5 décembre 2008 (FH) -  La condamnation de Simon Bikindi, chantre du régime de Juvénal Habyarimana, pour avoir incité directement et publiquement à commettre le génocide le long d'une route une après-midi de juin 1994, fait suite a celle d'un des journalistes de la Radio télévision des milles collines (RTLM), Georges Ruggiu, et à l'affaire dite des «Médias».

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Elle contribue à documenter l'importance et l'influence de la propagande anti-Tutsi sur le génocide rwandais de 1994, même si elle ne s'appuie que sur un des six chefs d'accusation pour lesquels il était poursuivi. Il devra purger quinze ans de prison. Déja, le procureur semble se préparer à faire appel alors que son défenseur, surpris par cette condamnation, hésite sur la conduite à tenir.

Le Procureur accusait Simon Bikindi d'avoir, par ses chansons, alimenté la campagne de propagande qui a fait partie intégrante du plan du génocide qui s'est déroulé au Rwanda en 1994. Mais les juges du TPIR ne l'ont pas suivi s'estimant liés par les limites temporelles du TPIR, l'année 1994.

Pourtant, a jugé la Chambre de première instance III, il n'y a pas de doute. Les trois chansons retenues par le Procureur comme base de ses poursuites « ont manipulé l'histoire du Rwanda dans le but de prôner la solidarité Hutu», « de faire de la propagande anti-Tutsi et d'encourager ainsi la haine ethnique ».

De plus, par le biais de la campagne de propagande  à laquelle la RTLM a largement participé, elles ont incité « les auditeurs à cibler et commettre des actes de violence contre les Tutsi».

Elle considère même qu'étant donné « la tradition orale rwandaise et la popularité de la RTLM à ce moment là», « les diffusions des chansons de Bikindi ont eu un effet amplifié sur le génocide».

La Chambre a considéré quatre traductions pour déterminer la portée des chansons sources des poursuites. Elle a également pris en compte le contexte global dans lequel elles ont été composées et utilisées ainsi que le « domaine du dit et du non-dit en Kinyarwanda» pour s'approcher au plus près de leur signification.

Les interprétations des témoins du Procureur et ceux de la Défense sont aux antipodes les unes des autres. Les premiers affirment que le message de haine ethnique était clair et tournait autour de la division, et qu'il servait notamment à « stimuler le moral des troupes (§253) ». Les seconds parlent d'encouragement à l'union vers la démocratie et la république.

La Chambre constate toutefois que, dans le contexte de cette période, le mot paix pouvait signifier la lutte contre l'invasion du FPR et celui de démocratie pouvait être interprété comme le rejet des accords d'Arusha.

Les juges concluent que « si les chansons étaient aussi innocentes que telles que décrites par la Défense, elles n'auraient pas été ainsi utilisées (§250) ».

Dans quelle mesure les propos tenus par Bikindi dans ses chansons, constituant un appel à la haine ethnique d'après la Chambre, pouvaient-ils être répréhensibles ?

Comme la Chambre de première instance III le rappelle à l'occasion d'un chapitre consacré à l'analyse de l'étendue du principe de la liberté d'expression consacré par de très nombreux textes internationaux,  cette liberté d'expression n'est pas absolue. Ces mêmes textes criminalisent les propos haineux.

Mais le Statut du TPIR ne les vise pas en tant que tels, toutefois, elle est d'avis que « tandis que beaucoup de formes d'expression restent clairement dans les limites de la légalité, d'autres sont sans équivoque de nature criminelle et devraient être sanctionnées comme telles» (§383).

Il sort de l'analyse de la Chambre que les propos haineux peuvent tout aussi bien « constituer une incitation directe et publique à commettre le génocide» et « constituer une persécution au titre de crime contre l'Humanité». Cependant, elle ne peut retenir aucune des deux qualifications.

La Chambre constate en effet que les preuves apportées n'établissent pas que Bikindi avait un quelconque pouvoir sur la programmation de ses chansons à la RTLM et Radio Rwanda. Il n'est donc pas prouvé qu'il avait l'intention, par ses compositions, de directement et publiquement inciter aux attaques et aux meurtres même si elles ont été utilisées à cet effet en 1994.

Elle ajoute que le Procureur n'a pas démontré que Bikindi avait chanté ou diffusait ses chansons en 1994. En ce qui concerne celles qu'il a chantées antérieurement à 1994, le Tribunal ad hoc n'est pas compétent à cause de la limitation temporelle que pose l'article 1 du Statut du TPIR.

A l'occasion du procès « Médias », la Chambre d'appel du TPIR avait déjà eu l'occasion de s'interroger sur cette matière. Lors de l'appel en janvier 2007 une ONG vigilante sur cette liberté inscrite dans la constitution américaine était d'aileurs intervenue en tant qu'Amicus curiae. Selon elle, les propos haineux qui n'encouragent pas à la violence ne peuvent pas être assimilés au crime international « d'incitation publique et directe à commettre un génocide ».

Si les chansons de Bikindi contiennent effectivement un message haineux, elles ne constituent pas pour autant une incitation à commettre le génocide ni un crime de persécution au titre de crime contre l'Humanité. D'après la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 les incitations indirectes ne sont pas punissables.

 AV/PB/GF

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