Ces dernières semaines, trois déflagrations politiques majeures ont mis en évidence l’actualité du débat à New York sur le crime d’agression. Le premier est la création d’un nouveau tribunal sous l’égide du Conseil de l’Europe sur le crime d’agression, uniquement lié à l’Ukraine. Le deuxième est un traité de paix nébuleux négocié sous l’égide des États-Unis entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Le troisième est l’attaque israélienne contre des sites nucléaires iraniens, à laquelle se sont joints les États-Unis.
Du 7 au 9 juillet, au siège des Nations unies à New York, les États parties à la Cour pénale internationale (CPI) doivent mener une discussion hautement technique sur ce sujet politiquement explosif afin de se mettre d’accord ou non sur un amendement à son statut. Concrètement, cet amendement permettrait de poursuivre les personnes responsables d’agression contre l’un des États parties à la Cour qui aurait ratifié la nouvelle disposition.
« La pression monte »
Sans surprise, des pressions sont exercées sur les délégués par un État non-membre, les États-Unis, par le biais d’une note diplomatique au ton très ferme, consultée par Justice Info, qui exprime de « graves préoccupations » concernant les efforts visant à « étendre la compétence de la Cour au crime d’agression, y compris à l’égard des États non parties ». Cette démarche diplomatique menace d’utiliser « tous les instruments diplomatiques, politiques et juridiques appropriés et efficaces pour empêcher la CPI d’affirmer cette compétence ». La Cour est déjà, par ailleurs, menacée de nouvelles sanctions de la part de Washington, qui a pris pour cible le procureur et quatre juges, au motif que la Cour vise un allié majeur des États-Unis, Israël, avec des mandats d’arrêt.
Justice Info a eu connaissance d’autres manœuvres diplomatiques, notamment de la part d’États qui suggèrent un changement de lieu de réunion, de New York à La Haye, en raison des incertitudes liées au régime des visas américains, et qui s’interrogent sur l’effectivité de l’octroi, habituel par les Nations unies, de privilèges diplomatiques aux réunions de la CPI. Usuellement, tous les trois ans, les États parties se réunissent en effet à New York pour élire ses juges. « Les gens ne se résignent pas et ne disent pas “ok, on ne le fera pas” », a déclaré une source diplomatique de haut rang qui a demandé à rester anonyme. Mais « cela devient clairement beaucoup plus difficile et la pression monte ».
En outre, un groupe d’États parties à la CPI, dont le Canada, la France, le Royaume-Uni, le Japon et la Nouvelle-Zélande, a fait circuler une contre-proposition qui reporterait toute décision visant à modifier le Statut de Rome. Selon la version consultée par Justice Info, au lieu de discuter de la proposition sur la table, les États conviendraient « qu’un délai supplémentaire est nécessaire pour permettre la poursuite du dialogue, en vue de parvenir à un consensus sur les modifications potentielles du Statut de Rome, compte-tenu de la complexité et de l’importance de la question en jeu » et ils « convoqueraient une conférence de révision pour examiner cette proposition », qui n’aurait lieu qu’une fois que les dispositions actuelles relatives au crime d’agression auraient été ratifiées par les deux tiers des États parties. À l’heure actuelle, moins d’un tiers les ont ratifiées.
« Un monstre juridique créé pour satisfaire les États-Unis »
Pour comprendre les enjeux, il faut revenir sur la manière dont la CPI a été créée. Lorsque le Statut de la CPI a été rédigé à Rome en 1998, il existait quatre crimes internationaux, issus de l’héritage du tribunal de Nuremberg : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et l’agression. Mais, pour ce dernier, sa définition n’avait pas pu être arrêtée, et la décision de l’inclure au Statut a été reportée.
Lors d’une conférence spéciale d’examen tenue à Kampala en 2010, il y a eu pourtant un accord sur une définition et une série de règles – « les conditions d’exercice de la compétence » – a été établie, explique Astrid Reisinger Coracini, de la faculté de droit de Salzbourg. Une partie de ces règles reflétait essentiellement la manière dont toute situation pouvait être renvoyée par l’Onu devant la Cour pour les trois autres crimes internationaux. En outre, les États avaient trouvé une toute nouvelle façon d’accepter la compétence de la Cour. « Plus important, la CPI ne peut aujourd’hui exercer sa compétence que sur un crime d’agression résultant d’un acte d’agression commis par un État partie qui n’a pas choisi de se soustraire à la compétence de la Cour », explique Reisinger Coracini. « En d’autres termes, la CPI ne peut jamais exercer sa compétence sur un crime d’agression commis par un État non-partie. C’est pourquoi elle ne peut exercer sa compétence sur l’agression commise contre l’Ukraine », ajoute-t-elle.
« C’était un monstre juridique créé pour satisfaire les Américains », ajoute David Donat Cattin, de l’université de New York, « avec un exercice très restreint de la compétence de la CPI ».
« Deux régimes juridictionnels parallèles à la CPI »
La réunion à New York fait suite à l’accord conclu à Kampala visant à revoir cette disposition. La semaine prochaine, une nouvelle proposition émanant du Costa Rica, de l’Allemagne, de la Sierra Leone, de la Slovénie et de Vanuatu tentera de rééquilibrer cette disposition qui ne laissait en pratique aucune marge de manœuvre pour d’éventuelles enquêtes de la CPI. Elle prévoit que toute victime originaire d’un État partie à la CPI pourra bénéficier d’une intervention potentielle de la Cour. Cette proposition est qualifiée d’« harmonisation » par ses partisans, « car nous n’aurions plus dès lors deux régimes juridictionnels parallèles en vigueur à la CPI », explique Reisinger Coracini.
Si l’on en croit la multitude d’articles académiques questionnant ce qui avait été convenu à Kampala il y a sept ans et son fonctionnement, une clarification semblait nécessaire. « Les États sont enfin prêts à modifier leur décision honteuse d’exempter les ressortissants des États non parties », déclare Donat Cattin. L’Allemagne a joué un rôle important, comme elle l’a joué dans la création du nouveau tribunal pour les crimes d’agression contre l’Ukraine. « Ainsi, à l’avenir, il ne serait plus nécessaire de créer des tribunaux spéciaux », souligne Reisinger Coracini.
Mais cette proposition peut-elle être adoptée par consensus ou par un vote à la majorité des deux tiers des 125 États membres ?
Cette fois-ci, note Donat Cattin, « j’ai l’impression que même si certaines concessions ont dû être faites, la grande majorité est prête à entamer des négociations informelles dès la première pause déjeuner ». Cependant, que les États décident de rejeter la contre-proposition demandant un report ou de procéder à la modification du Statut de Rome, une bataille restera à mener, rappelle Reisinger Coracini : « Il y a deux possibilités : soit l’amendement n’entre en vigueur que pour les États parties qui l’acceptent, soit il entre en vigueur une fois que les sept huitièmes des États parties l’auront ratifié. La discussion est toujours en cours. Ce sont les deux différents mécanismes d’entrée en vigueur prévus par le Statut de Rome ». Patrycja Grzebyk, de l’université de Varsovie, a estimé pour sa part que si l’on choisit d’attendre que les sept huitièmes aient ratifié l’amendement, si l’on se réfère au rythme de ratification de l’amendement de Kampala, « nous devrions attendre environ 44 ans » pour que les amendements de New York entrent en vigueur.
« Je pense que cela va être très, très difficile. Mais plus ces questions seront débattues publiquement, plus nous aurons de chances de réussir », souligne Donat Cattin.