Le 7 novembre, la 17ème chambre du tribunal correctionnel l'avait acquitté des accusations de diffamation et de provocation à la haine raciale. La liberté d'expression, principe fondamental érigé comme tel par la Déclaration universelle des droits de L'homme, ne peut être sanctionnée que pour des atteintes prévues par la loi, avait-elle rappelé, en affirmant que même si certains propos du journaliste enquêteur étaient choquants, ses formulations ne constituent pas pour autant une diffamation publique et raciale, ni une provocation à la discrimination raciale.
A la suite de la parution en 2005 du livre de son livre « Noires fureurs, blancs menteurs », SOS racisme, une association française de lutte contre le racisme, a déposé plainte. D'autres organisations telle que la Ligue des droits de l'homme avaient refusé de s'associer à cette démarche. SOS racisme considère que Péan, en accusant les Tutsis « de recourir systématiquement au mensonge et à la dissimulation, en employant des manœuvres douteuses et frauduleuses, dans le seul but de tromper la communauté internationale concernant la justesse de sa cause », portait atteinte à « l'honneur et à la considération de cette ethnie ».
Les délits de diffamation et de provocation à la discrimination sont régis en France par la loi sur la liberté de la presse de 1881. L'article 29 de cette loi, jamais encore modifié, dispose que « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». Le fait que cette allégation soit faite à l'encontre d'un « groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » aggrave la peine encourue.
La 17 ème Chambre du tribunal correctionnel, appelée "chambre de la presse" a estimé que pour que l'infraction soit caractérisée, il aurait fallu que l'allégation se présente « sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ». Elle constate alors que, « replacée dans son contexte, la formulation culture du mensonge et de la dissimulation, ne peut être considérée comme l'imputation d'un fait précis visant à jeter le discrédit sur l'ensemble des Tutsis ». Elle estime également que les propos ne visent pas les Tutsis dans leur ensemble.
Péan aurait, selon la Chambre, mal traduit le terme ubwenge. Certains témoins considèrent qu'il l'a même interprété de manière « sommaire et équivoque ». Des experts présentés par la défense y ont vu une « forme particulière de l'intelligence ».
Quant à la provocation à la discrimination raciale à l'encontre d'une personne ou d'un groupe tel que décrit plus haut, c'est l'article 24 de la loi de 1881 qui la sanctionne. La Chambre définie la provocation comme « l'incitation du public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers le groupe considéré ». Tout en admettant que la formulation employée « peut légitimement heurter ceux qu'il vise », elle ne constitue pas pour autant une telle incitation. La loi française impose que ces délits, appelés délits de presse, aient été commis par la voie de la publication dont les différents moyens sont énumérés dans l'article 23 de la loi de 1881.
La Chambre a cependant débouté Péan de sa demande en procédure abusive estimant qu'il s'était « naturellement exposé à la critique, les rescapés du génocide ayant pu croire de bonne foi que le discrédit était jeté sur la réalité des drames et des souffrances vécus (...) ; que la seule considération pour les victimes du génocide aurait dû conduire Pierre Péan à davantage de précautions dans la formulation de ses propos ».
Les textes qui autorisent des atteintes à la liberté d'expression utilisent expressément une terminologie concise dans le but de poser un cadre précis aux limites possibles. Ces limites ne concernent pas les propos « manifestement choquants ».
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