Enquête pour complicité de crimes contre l'humanité après des accusations visant une filiale en Centrafrique de Castel

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Une enquête a été ouverte à Paris pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre après un rapport de l'ONG The Sentry qui accuse une filiale du géant français des boissons Castel d'avoir soutenu financièrement des rebelles en Centrafrique pour sécuriser ses installations.

Dans un communiqué transmis à l'AFP, Me Clémence Witt et Me Anaïs Sarron, avocates de The Sentry, se sont "réjouies" que le pôle crimes contre l'humanité du Parquet national antiterroriste (Pnat) ait ouvert "une enquête préliminaire pour examiner l'éventuelle implication, en qualité de complices, des sociétés du groupe Castel et de leurs dirigeants dans la commission de crimes contre l'humanité et crimes de guerre perpétrés par des milices armées en République centrafricaine".

L'enquête a été ouverte mercredi, selon une source proche du dossier, et confiée à l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine (OCLCH).

En août 2021, The Sentry avait affirmé que Sucaf RCA, filiale de la Société d'organisation, de management et de développement des industries alimentaires et agricoles (Somdiaa), elle-même contrôlée à 87% par le groupe Castel, avait "négocié un arrangement sécuritaire" avec notamment l'Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé accusé d'exactions.

Cet "arrangement" visait à "sécuriser" son "usine et les champs de canne à sucre" et "tenter de protéger le monopole de la société", selon l'ONG spécialisée dans la traque de l'argent sale.

En échange de la sécurisation du site, la Sucaf RCA a mis en place un "système sophistiqué et informel pour financer les milices armées par des paiements directs et indirects en espèces, ainsi que par un soutien en nature sous forme d'entretien des véhicules et de fourniture de carburant", selon The Sentry.

Castel est dans une "attitude de coopération pleine et entière avec la justice", a déclaré à l'AFP une source proche du groupe.

Ce dernier, qui détient plusieurs marques de vin telles que Baron de Lestac ou Listel et des enseignes comme le caviste Nicolas, est présent en Afrique où il produit des boissons gazeuses.

- Enquête interne -

"Après une enquête interne très complète (huit mois d'enquête, 45.000 mails exploités, 22 auditions dont la moitié sur place à Bangui et Ngakobo) qui a totalement infirmé les allégations de The Sentry, le parquet veut savoir qui se cache derrière les témoins anonymes à charge sur la base desquels le rapport de l'ONG s'est déterminé", a pour sa part affirmé l'avocat de Somdiaa, Pierre-Olivier Sur.

Selon l'avocat, "une vingtaine d'ONG étaient sur place, n'ont jamais rien constaté, tandis qu'au contraire elles bénéficiaient des installations de Sucaf et que les activités de l'entreprise étaient en totale transparence avec l'ambassade de France, l'armée française (Sangaris) et les forces onusiennes (Minusca)".

Me Sur a dénoncé une "tentative de déstabilisation d'un des derniers fleurons agro-alimentaires francais en Afrique" et estimé qu'un "procès en dénonciation calomnieuse" suivrait.

La Centrafrique, deuxième pays le moins développé au monde selon l'ONU, est plongée depuis 2013 dans une grave crise politico-militaire. A la suite d'une guerre civile, des pans entiers de territoires sont passés sous le contrôle de groupes rebelles qui en accaparent les ressources.

La raffinerie de la Sucaf RCA et les 5.137 ha de plantation de canne à sucre se trouvent à Ngakobo, à 400 km à l'est de la capitale Bangui, dans la préfecture de la Ouaka, contrôlée de fin 2014 à début 2021 par l'UPC.

Selon The Sentry, le chef de ce groupe armé, Ali Darassa, et celui qui était alors son numéro 2, Hassan Bouba Ali, principaux bénéficiaires de cet "accord tacite" avec la Sucaf RCA, sont responsables de l'attaque d'un camp de déplacés en novembre 2018 à Alindao, qui a fait au moins 112 morts, dont 19 enfants.

Plusieurs enquêtes visant des entreprises françaises ont déjà été ouvertes à Paris pour complicité de crimes contre l'humanité.

BNP Paribas est visé pour son rôle lors de la guerre au Darfour et dans le génocide rwandais. Le cimentier Lafarge a lui été mis en examen, soupçonné d'avoir versé via une filiale des millions d'euros à des groupes terroristes, dont le groupe Etat islamique (EI), pour maintenir l'activité d'une cimenterie en Syrie en 2013 et 2014.

edy/pa/tes

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