Les juges ont de nouveau motivé leur décision par leur crainte pour la protection des témoins, ainsi que par leur refus que l'accusé risque l'emprisonnement à perpétuité en isolement.
A la lumière de ce raisonnement, les juridictions européennes ont rejeté elles aussi les demandes d'extradition du Rwanda contre ses ressortissants résidant à l'étranger et suspectés d'avoir participé au génocide. Seule la Grande-Bretagne a pour le moment accepté d'extrader quatre ressortissants rwandais suspects de génocide : V. Bajinya, C. Munyaneza, E. Nteziryayo et C. Ugirashebuja. En juin, après s'être livrée à un examen minutieux, la Cour britannique n'avait observé aucune raison de s'y opposer. Cette décision est en appel.
Au contraire, la Cour d'appel de Paris vient de refuser d'extrader Isaac Kamali, naturalisé français depuis 2002. Deux décisions identiques ont été prises auparavant concernant Pascal Simbikangwa par la Cour d'appel de Mamoudzou de Mayotte où il avait été arrêté en octobre, et Marcel Bivugabagabo par la Cour d'appel de Toulouse. Ce dernier était sous écrou extraditionnel depuis le mois de janvier.
Claver Kamana attend toujours une décision. La Cour d'appel de Chambéry avait donné un avis favorable à son extradition, mais « circonstance rare » selon Me Philippe Gréciano, conseil dans plusieurs affaires de ce type, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la juridiction de Savoie considérant qu'elle « n'avait pas exercé son devoir de contrôle du bien fondé de l'extradition». L'affaire est dorénavant entre les mains de la Cour d'appel de Lyon.
L'Allemagne a elle aussi refusé de livrer les suspects de génocide Onesphore Rwabukombe et Callixte Mbarushimana. Les juges allemands ont considéré que le refus du TPIR de transférer des affaires vers le Rwanda « au motif que les droits de la personne n'étaient pas garantis », n'était « pas un cas d'espèce» a expliqué Me Greciano à l'agence Hirondelle, mais « qu'il s'agissait de l'affirmation d'un principe fondamental à valeur constitutionnelle », ce qui les a autorisés à déclarer irrecevable les demandes de Kigali sans même les examiner sur le fond.
L'avocat voit notamment deux obstacles à ces extraditions. Selon lui, les demandes rwandaises contiennent beaucoup d'erreurs de droit présentes à différentes étapes de la procédure. « Cela révèle l'existence d'un fossé culturel entre les pratiques et les traditions juridiques qui ne laisse pas la communauté internationale insensible quand il s'agit de faire un travail de justice et de vérité dans un esprit de mémoire et de réconciliation ». Ensuite, la position du TPIR dans son refus de transférer certaines de ses affaires vers le Rwanda par la procédure de l'article 11 bis de son Règlement de procédure et de preuve est « symbolique ».
En effet, accepter d'extrader un suspect du génocide vers le Rwanda alors que le TPIR affirme que les droits de l'Homme n'y sont pas garantis (problème du procès équitable, de la protection des témoins, prison à perpétuité en isolement), engagerait la crédibilité et la responsabilité des Etats de droit sur la scène internationale et surtout devant la Cour européenne des Droits de l'Homme au risque de se faire condamner (cf. affaire Bozano c. France 1986).
A cela s'ajoute les critiques d'ONG telles qu'Human rights watch ou Amnesty international. Cette dernière, dans un rapport de 2007, rejette les extraditions « tant que le Rwanda n'aura pas fait la preuve de sa capacité et de sa volonté de mener les procès de manière équitable et impartiale et de protéger les victimes et les témoins ». Aux critiques du TPIR, Amnesty ajoute des attentes « manifestement déraisonnables » pour juger les accusés et l'absence d'un « mécanisme permettant de suivre l'application des peines des détenus transférés au Rwanda ».
Sur la liste des 93 suspects de génocide se trouvant à l'étranger pour lesquels le Rwanda a émis des mandats d'arrêt internationaux, onze au moins ont déjà été identifiés notamment en Europe.
Emmanuel Bagambiki a été acquitté par le TPIR en 2006, mais le Rwanda dit vouloir le poursuivre pour d'autres faits. André Sebatware a comparu en 2002 devant le TPIR en tant que témoin de la Défense dans le procès de Eliézer Niyitegeka. Wenceslas Munyeshaka et Laurent Bucyibaruta sont poursuivis par les juridictions françaises. Les sept autres suspects ont fait l'objet de procédures d'extradition auprès de différents pays européens qui pour le moment les ont toutes rejetées.
Une organisation française intitulée Collectif des parties civiles pour le Rwanda a posé le problème récemment en demandant aux juges français de prendre leurs responsabilités et de juger eux-mêmes ces accusés. Amnesty International « exhorte » d'ailleurs tous les États qui se sont jusqu'à présent déclarés incompétents pour traiter ce genre de dossiers, « à réexaminer leur législation et, si nécessaire, à la modifier pour que leurs juridictions nationales puissent connaître des crimes relevant de la compétence du TPIR ».
AV/PB/GF
© Agence Hirondelle