17.04.09 - TPIR/JURISPRUDENCE - LE « CONSTAT JUDICIAIRE » DEVANT LE TPIR (ECLAIRAGE)

Bruxelles, 17 avril 2009 (FH) - La Chambre de première instance II du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a décidé, à la demande du Procureur, de dresser le constat judiciaire de six faits dans l'affaire Augustin Ngirabatware. Cette décision intervient alors que le procès de  cet ex-ministre du Plan est encore en préparation.

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L'accusé n'aura donc pas la possibilité de contester au cours de son procès, puisqu'ils sont dorénavant exclus du débat contradictoire, les faits suivants : du 6 avril au 17 juillet 1994 i) il y a eu un génocide contre les Tutsis; ii) les citoyens rwandais étaient « individuellement identifiés» en trois classifications ethniques tombant sous la protection de la Convention contre le génocide de 1948 ; iii) les Tutsis ont été victimes d'attaques systématiques et généralisées et il en a résulté, au sein de leur groupe, un grand nombre de morts ; iv) le conflit armé au Rwanda n'était pas de caractère international ; v) le Rwanda était Etat partie à la Convention contre le génocide de 1948  qu'il a ratifié en 1975 ; vi) et enfin le Rwanda était Etat partie aux différentes Conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels qu'il a ratifiés.

Le constat judiciaire, pratique courante devant le TPIR, a notamment pour but l'économie judiciaire. Il permet en effet au Procureur de ne plus devoir apporter la preuve de faits qui sont considérés comme étant de «notoriété

publique», les procédures peuvent de ce fait être plus rapides. Alors que le procès d'Augustin Ngirabatware doit être terminé pour la fin de cette année, cette décision est la bienvenue.

Le procédé peut également viser la « cohérence des jugements » puisque les faits sont alors considérés de la même manière dans différentes affaires.

Mais pour la Défense, la pratique est, sous certains aspects, discutable.

Le constat judiciaire est organisé par l'article 94 du RPP. « La Chambre de première instance n'exige pas la preuve de ce qui est de notoriété publique, mais en dresse le constat judiciaire ». Et « l'application de cette règle n'est pas facultative » selon la jurisprudence. Ainsi, dès que les juges concluent qu'un fait est de notoriété publique, ils doivent en dresser le constat judiciaire.

C'est l'affaire Semanza, le 3 novembre 2000, qui définit pour la première fois les notions. Ni l'article 94 du RPP ni aucune des décisions précédentes n'avaient pris le soin de le faire.

Un fait de notoriété publique, explique-t-elle, est celui qui n'est « pas raisonnablement l'objet d'une contestation» donc « communément admis ou universellement connu ». Sont ainsi visés « de grands faits historiques, des données géographiques ou les lois de la nature ». Un juge avait illustré cela en citant les jours de la semaine.

Or, dans le cas d'Augustin Ngirabatware, et dans d'autres qui l'ont précédé, les juges ont considéré, comme des faits de notoriété publique, des éléments constitutifs d'infraction. En l'occurrence, et par exemple, le point iii) se rapporte au crime contre l'Humanité.

La Défense considère que cela porte atteinte au principe de la présomption d'innocence même si, d'après la vingtaine de décisions sur ce sujet, le Procureur n'est pas exempté d'établir la responsabilité personnelle de l'accusé dans la participation des faits.

En 2005, la Chambre de première instance dans l'affaire Karemera, comme d'autres avant elle, a refusé de le faire au motif que « le constat sollicité avait trait à une conclusion juridique qui constitue un élément d'un crime contre l'Humanité». Elle ajoutait que « chaque fois qu'il allègue la commission d'un crime contre l'Humanité, le Procureur doit fournir la preuve de l'existence d'une telle attaque» (Karemera, 9.11.05).

De même, dans une autre affaire, les juges ont considéré que la question du génocide « était à ce point fondamentale qu'il était nécessaire de produire des preuves formelles de l'existence de ce crime dont les éléments constitutifs fondaient la compétence du Tribunal» (Semanza, 3.11.00)

En effet, si le génocide et des attaques généralisées contre des Tutsis ne sont pas des faits contestables, ils n'en constituent pas moins des infractions au regard du Statut du TPIR. Ils doivent donc être juridiquement prouvés par le Procureur, en tant qu'éléments constitutifs de l'infraction, au-delà de tout doute raisonnable, à chaque fois qu'il les invoque.

La tâche est peut-être rébarbative et prend beaucoup de temps au Procureur mais le procédé du constat judiciaire, s'il concerne des éléments constitutifs de l'infraction, prive la Défense de son droit, prévu par le Statut du TPIR, de critiquer juridiquement la matérialité des faits qui lui sont imputés.

Les juges d'appel dans l'affaire Karemera, le 16 juin 2006, règlent rapidement la question en éludant la discussion avec une rapidité déconcertante. La Chambre d'appel dans l'affaire Semanza en mai 2005 a déjà jugé que ces faits étaient de notoriété. « La Chambre de première instance était donc tenue d'en dresser le constat judiciaire ». De plus, « les éléments constitutifs des infractions ne sont pas exclus du champ d'application de l'article 94 A) du Règlement ».

Ils prendront plus de soin à justifier qu'ils dressent le constat judiciaire du génocide.

En 1999, dans l'affaire Simic, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie avait considéré qu'un tel constat n'avait d'autorité qu'entre les parties de l'affaire dans laquelle il a été pris. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le Procureur doit renouveler sa demande de constat dans chaque affaire où il veut l'invoquer.

Mais le raisonnement semble acquis. La Chambre de première instance II dans l'affaire Ngirabatware justifie à peine sa démarche. Elle n'explique pas non plus pourquoi elle décide de retenir la formulation proposée par le Procureur, « les citoyens (...) étaient individuellement identifiés [en] classifications ethniques » tandis que dans l'affaire Karemera, la Chambre de première instance l'avait expressément refusée. Elle avait préféré une autre formulation, « l'existence des Twas, Tutsis et des Hutus comme groupes protégés au sens de la Convention sur le génocide (». Le terme « ethnique » n'était pas clairement établi par la jurisprudence, selon elle.

AV/ER/GF

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