Le dernier membre de sa nouvelle famille, Jean, il l'a recueilli il y a trois ans.« Il n'avait ni toit ni personne pour s'occuper de lui. Comme moi après le génocide. Il terminait alors l'école primaire. Aujourd'hui, il est en 3ème année du secondaire, je suis fier de lui », confie Twagirayezu. En bon samaritain, il poursuit : « Si j'en avais les moyens, j'en accueillerais d'autres, parce que je sais ce qu'on ressent quand on est seul ».
En plus de ce jeune homme adopté de fait, et d'un ancien voisin, le ménage que dirige et nourrit Twagirayezu comprend également ses deux frères, dont le plus jeune, 21 ans, vient de terminer l'école secondaire, « sans espoir de faire l'université, parce que les conditions de travail ne lui ont pas permis d'obtenir les résultats requis ».
Cette famille sans père ni mère vit dans une des 33 maisons qui constituent le village pour orphelins du génocide de Kagitarama, à un pas des bureaux du district de Muhanga. En tout, 131 orphelins vivent dans le village. A l'extérieur comme à l'intérieur, toutes ces maisons se ressemblent : murs de briques non cuites et toit en tôle ondulée, trois petites chambres et une salle de séjour sans meubles. Dans les quatre coins de cette salle, pas le moindre sac de haricots ou de manioc. Ici, dénuement et solitude se sont donné rendez-vous. S'y ajoutent souvent des cauchemars et d'autres troubles psychologiques.
Comme Twagirayezu, tout le monde dans ce village a perdu la presque totalité des membres de sa famille. « Chaque jour, et surtout au cours du mois d'avril, j'entends le râle des miens en agonie et leur appel au secours », raconte-t-il. «Chaque jour, nous avons faim et soif de biens matériels et surtout d'amour. La pauvreté et le manque d'affection nous isolent davantage », dit-il, en larmes.
Ce chef de ménage avait 13 ans pendant le génocide, et terminait à peine l'école primaire. La nuit du 22 au 23 avril 1994, il a été laissé pour mort, lui, sa mère et ses deux petits frères, au milieu d'une vingtaine de cadavres, tous membres de sa famille. Le père, deux autres frères, deux sœurs, des oncles, des tantes,... « La terre de leur village qui les avait vu naître et les avait nourris, a bu, ce jour là, leur sang innocent », se rappelle le jeune rescapé. « Ma mère est morte plus tard de ses blessures, entre les mains des membres de la Croix Rouge et je suis resté avec mes deux frères », poursuit-il. Lui-même a été blessé et les images de 1994 le hantent sans cesse. « Presque une fois le mois, ma tête gonfle suite aux coups que j'ai reçus. A la moindre vue du sang, je m'évanouis», confie-t-il.
En dépit de ce lot de difficultés quotidiennes, Twagirayezu lutte. Son objectif, devenir un jour avocat pour défendre les pauvres et les déshérités mais surtout les rescapés. Grâce à un appui du Fonds d'assistance aux rescapés du génocide les plus démunis (FARG) et de l'organisation Survival Fund (SURF), qui a construit le village de Kagitarama, il occupe un petit emploi, pendant qu'il poursuit des études de droit.
«Le crime de génocide est imprescriptible. Plus tard, je plaiderai la cause des miens », assure-t-il.
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