Guinée: l'ex-dictateur Camara devant les juges et les victimes du massacre du 28-Septembre

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Des dizaines de victimes ont pris place mercredi dans un tribunal de Conakry dans l'attente de voir l'ancien dictateur guinéen Moussa Dadis Camara répondre pour la première fois, avec une dizaine de co-accusés, de l'effroyable massacre commis le 28 septembre 2009, un procès historique qu'elles attendent depuis 13 ans.

"Je suis dans un rêve", a déclaré à un correspondant de l'AFP Asmaou Diallo, présidente de l'Association des victimes, parents et amis du 28-Septembre-2009, "c'est un rêve, bien que nous y avons toujours cru".

"Je n'ose même pas croire que mes violeurs sont encore vivants", a dit une femme préférant conserver l'anonymat à cause du stigmate social associé aux abus commis contre elle. "Mais le fait que ce procès ait lieu me soulage".

Elle se préparait mentalement à voir s'ouvrir en début d'après-midi, dans une autre salle d'audience voisine, le procès du capitaine Camara, éphémère et extravagant président autoproclamé, et d'une dizaine d'anciens officiels militaires et gouvernementaux. Ils répondront d'une litanie d'assassinats, violences sexuelles, enlèvements, incendies, pillages et autres crimes.

Lors de l'inauguration en grande pompe du tribunal construit exprès et à peine achevé, les représentants des institutions internationales qui ont accompagné et poussé la Guinée à cet effort de justice pendant des années ont souligné le caractère "historique" du moment pour ce pays dirigé pendant des décennies par des régimes autoritaires, où l'impunité de forces de sécurité quasiment intouchables a été érigée en "institution", selon une commission d'enquête internationale.

Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale, institution susceptible de se substituer à l'Etat guinéen si celui-ci manquait à rendre justice, a salué l'instant.

Mais, a-t-il ajouté, "ce n'est que le début d'un processus; le bateau a quitté le quai, mais nous devons veiller ensemble à ce qu'il arrive à destination".

Le 28 septembre 2009, les Bérets rouges de la garde présidentielle, des policiers, gendarmes et miliciens avaient fait couler le sang en réprimant un rassemblement de dizaines de milliers de sympathisants de l'opposition, réunis dans un stade de la banlieue de Conakry pour démontrer pacifiquement leur force et dissuader M. Camara de se présenter à la présidentielle de janvier 2010.

Les exactions, perpétrées avec une cruauté effrénée et une froideur inhumaine selon les témoins, ont continué pendant plusieurs jours contre des femmes séquestrées et des détenus torturés.

Au cours de ces journées, au moins 156 personnes ont été tuées et des centaines blessées et au moins 109 femmes ont été violées, selon le rapport d'une commission d'enquête internationale mandatée par l'ONU.

- "Honneur" -

Les chiffres réels sont probablement plus élevés. Les actes commis sont constitutifs de crimes contre l'humanité, a conclu la commission trois mois après les faits.

La commission impute au capitaine Camara une "responsabilité criminelle personnelle" dans les évènements, car les officiers et les unités impliqués répondaient à son commandement et, qu'il ait ou non donné l'ordre de perpétrer les crimes, il n'a rien fait pour les empêcher.

Porté au pouvoir par un coup d'Etat neuf mois auparavant, écarté quelques mois après le massacre, exilé depuis au Burkina Faso, le capitaine Camara, 58 ans aujourd'hui, est rentré dans la nuit de samedi à dimanche à Conakry pour participer à son procès et, selon ses proches, "laver son honneur".

Il a pour la première fois dormi en prison. La justice a ordonné mardi son placement en détention ainsi que celui de ses co-accusés encore libres.

- "Boussole" -

Les atermoiements du pouvoir ont longtemps fait douter de la tenue de ce procès.

Le manque de volonté politique et la peur apparente de ranimer de vieux démons ont été mis en cause pour expliquer les retards.

Le procès s'est finalement ouvert sous un nouveau chef de junte, qui l'a érigé en marqueur de la lutte contre l'impunité.

Le colonel Mamady Doumbouya, arrivé au pouvoir par la force en septembre 2021, a dit vouloir faire de la justice sa "boussole".

Les défenseurs des droits font cependant observer que les nouvelles autorités ont ces derniers mois donné un sévère tour de vis aux libertés. Ils réclament que le procès ne soit pas un faux-semblant.

L'un des chefs de file de l'opposition, Cellou Dalein Diallo, a dit craindre que la junte n'instrumentalise le procès pour éliminer certains adversaires qui figuraient pourtant parmi les victimes il y a 13 ans. Le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, a rejeté ces accusations, qu'il a qualifiées de "balivernes".

Le procureur de la CPI a insisté sur le fait que le procès devait respecter le droit international, en termes de protection des témoins comme de présomption d'innocence des accusés notamment.

La représentante spéciale de l'ONU sur les violences sexuelles en période de conflit, Pramila Patten, a félicité les nouvelles autorités pour "cette volonté politique affichée" et cette "action positive réalisée en si peu de temps".

Mais le procès sera un "véritable baromètre de la volonté du pays (de) faire face à son passé", a-t-elle prévenu, et devra être "la manifestation de la ferme volonté politique de tourner la page de l'arbitraire".