Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a érodé sa crédibilité en refusant de débattre de la situation en Chine, mais aux yeux des experts c'est une victoire à la Pyrrhus pour Pékin.
C'est un rapport très attendu des Nations Unies sur la région chinoise du Xinjiang, publié le 31 août, qui a mis le feu aux poudres en évoquant de possibles crimes contre l'humanité commis par les autorités contre les Ouïghours et d'autres minorités.
Des accusations graves portant le sceau de l'ONU qui ont poussé les États-Unis et des alliés à vouloir imposer un débat sur la question devant le Conseil.
La Chine rejette ces accusations en bloc et a été hyper active, d'abord pour tenter de bloquer la publication du rapport, ensuite pour le dénoncer et, enfin, pour convaincre le plus grand nombre de pays de refuser d'en parler.
Les États-Unis avaient choisi une procédure moins agressive qu'une résolution de condamnation pure et simple, pour tenter de rallier des votes.
Mais jeudi les 47 membres du Conseil ont dans leur majorité (19 contre 17) rejeté le projet de débat et ont offert à la Chine une victoire diplomatique.
- Un nadir -
"C'est une victoire pour les pays en développement. (...) Les droits de l'homme ne doivent pas être utilisés comme prétexte pour fabriquer des mensonges et s'ingérer dans les affaires intérieures d'autres pays", triomphait le ministère des Affaires étrangères jeudi.
Pour Jo Smith Finley, maîtresse de conférence en études chinoises à l'Université britannique de Newcastle, le Conseil est "complètement dysfonctionnel".
"Il opère en fonction d'intérêts politiques et économiques" et non des valeurs universelles des droits humains, a-t-elle tweeté.
David Griffiths, consultant en droits de l'homme au groupe de réflexion Chatham House de Londres, a qualifié le vote de "nadir" pour cette instance.
Mais des groupes de défense des droits et des experts préfèrent voir le verre à moitié plein.
- Sortir du bois -
Olaf Wientzek, de la Fondation Konrad Adenauer, estime que le vote "nuit absolument à la crédibilité du Conseil", mais explique à l'AFP : le résultat a forcé tout le monde à sortir du bois et choisir son camp. "Rien que pour cela, le jeu en valait la chandelle", juge-t-il.
Phil Lynch, qui est directeur général de l'ONG International Service for Human Rights, y voit une victoire à la Pyrrhus pour Pékin : une victoire qui a un tel coût qu'elle s'apparente à une défaite.
Il en veut pour preuve le score très serré.
"Nous n'avons pas remporté le vote, mais la marge étroite donne vraiment le sentiment que c'est une cause que nous devons défendre et que la Chine ne peut pas continuer à bénéficier de l'impunité face aux crimes contre l'humanité", explique-t-il.
"La Chine s'est massivement mobilisée et a exercé une pression énorme et a proféré diverses menaces et offert des incitations aux délégations pour qu'elles s'opposent à ce texte, et malgré cela, il n'a été rejeté que de très, très peu. Cela nous donne du courage", lance t-il.
- Passé sous silence -
Le camp occidental a maintenant jusqu'au début de l'année 2023 et la prochaine session du Conseil pour tenter de trouver une stratégie gagnante.
"Ce n'est pas comme si ce rapport (sur le Xinjiang) allait être jeté à la poubelle et qu'on n'en parle plus jamais. Je serais surpris si le sujet ne revenait pas" sur la table, a déclaré M. Wientzek.
Un facteur important c'est qu'entre temps la composition du Conseil va changer.
Mardi, l'Assemblée générale des Nations Unies à New York élira 14 nouveaux membres pour siéger de 2023 à 2025. "Un ou deux pays ou gouvernements changent, et l'équilibre peut changer", souligne M. Wientzek.
Et vendredi, le Conseil des droits de l'homme a adopté sa toute première résolution imposant une surveillance de la répression envers l'opposition en Russie.
Dix-sept pays ont voté "oui", six ont dit "non" et 24 se sont abstenus.
Pour les experts ces deux votes montrent la nette différence de poids diplomatique entre la Chine et la Russie - deux des cinq membres permanents (P5) du Conseil de sécurité de l'ONU.
Moscou est très isolé depuis l'invasion de l'Ukraine. Après la déception sur la Chine, le vote sur la Russie était "une lueur d'espoir qu'au moins, pour la première fois, il y avait assez de courage pour affronter un membre du P5", souligne M. Wientzek.