Scène d'horreur et témoin capital au procès d'un ex-rebelle libérien à Paris

Les rebelles qui "jubilent" en ce jour de 1993 dans le nord-ouest du Liberia célèbrent une bien étrange victoire: le supplice d'un civil auquel ils ont arraché et mangé le coeur et dont répond à Paris l'un de leurs anciens commandants.

Cette scène, Jasper C. est venu la décrire lundi face à la cour d'assises où son compatriote Kunti Kamara, 47 ans, est jugé pour "actes de torture et de barbarie" et "complicité de crimes contre l'humanité" lors de la première guerre civile libérienne (1989-1996).

Son témoignage est capital dans ce procès inédit en France. Jasper C. est le seul intervenant du dossier qui dit avoir assisté au supplice de David NDeminin en 1993 dans la ville de Foya, alors contrôlée par les rebelles de l'Ulimo, qui voulaient s'emparer du pouvoir dans le pays dévasté par la guerre civile, et à en tenir l'accusé pour responsable.

"Ils jubilaient, ils levaient leurs fusils en criant +si vous provoquez l'Ulimo, nous mangerons votre coeur+", se souvient le témoin, dont les parties civiles souhaitent taire le patronyme par peur de représailles au Liberia, où ces crimes n'ont jamais été jugés.

Le seul tort de David NDeminin: avoir désigné, auprès d'humanitaires occidentaux, les rebelles de l'Ulimo comme responsables du pillage d'un hôpital local.

Cet enseignant et homme d'Eglise tombe alors entre les mains de chefs de cette milice, dont certains répondent aux surnoms de "Ugly Boy" ou "La Hâche". "Ils disaient: +C'est un espion, c'est un traître+", affirme Jasper C., aujourd'hui comptable dans une université libérienne.

Son calvaire se déroule au vu de la population. "C'était un avertissement lancé à la population de Foya de ne rien révéler sur ce que l'Ulimo faisait", estime cet homme massif à la mise soignée et au récit minutieux.

David NDeminin est d'abord conduit dans l'ancien commissariat de la ville où lui est infligée la torture du "tabé". Pour l'expliquer à la cour, le témoin mime ce sévice qui consiste à attacher les coudes dans le dos et à serrer les liens jusqu'à faire ressortir la cage thoracique. "Ses pleurs dépassaient l'entendement", indique Jasper C.

Ligoté, frappé à coups de crosse ou de Rangers, David NDeminin est ensuite conduit près de la maison d'"Ugly Boy" où il est tué après plusieurs heures de sévices. "Ça a duré jusqu'au soir. C'était comme un spectacle pour dire aux civils: si vous faites cela, voilà ce que nous vous ferons", assure le témoin.

- "Complot" -

Jasper C., qui était lui-même captif de l'Ulimo, assiste alors à une scène d'horreur: le coeur de la victime est arraché, découpé en morceaux et présenté sur un plateau avant d'être mangé. "C'est tellement terrible qu'un homme pénètre dans le coeur d'un autre", dit-il.

Le témoin explique qu'il se trouvait à une cinquantaine de mètres de la scène mais il est formel: Kunti Kamara faisait bien partie des tortionnaires.

Interrogé pour la première fois sur le fond, l'accusé nie en bloc. "Depuis que j'ai été arrêté (en France, en 2018, ndlr), il n'y a rien qui me dérange plus que d'être accusé de cannibalisme", dit Kunti Kamara. "A chaque fois que j'entends ça, j'ai envie de vomir".

Comme pendant l'instruction, il crie au "complot", assure n'avoir été que "commandant sur la ligne de front" et certifie que son groupe de l'Ulimo n'a jamais commis d'exactions sur les civils.

"Je n'ai jamais entendu parler de violences contre les civils. On avait un code de bonne conduite", clame-t-il. Un ex-commandant de l'Ulimo Aliu Kosiah a toutefois été condamné en juin 2021 en Suisse pour viols et meurtres de civils, jugement dont il a fait appel. Au total, 250.000 morts ont péri dans la guerre civile libérienne.

Son avocate tente d'affaiblir le témoignage de Jasper C. "Vous êtes à cinquante mètres et vous pouvez tout identifier?", l'interroge Me Marilyne Secci. Jasper C. le certifie et tente aussi d'expliquer pourquoi il est le seul témoin visuel à avoir collaboré à l'enquête.

"Certains ont peur, détaille-t-il, et d'autres ne sont pas en mesure de parler".

Verdict prévu le 4 novembre.

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